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fant dans les palais de Philyras, faisait, en se jouant, de grands travaux, maniant souvent un court javelot, et, aussi prompt que le vent, combattant et tuant des lions sauvages et des sangliers. Puis il portait leurs corps sanglants au centaure.

On verra que tous les poètes grecs ont reproduit ainsi continuellement la vie de leurs héros et de leurs dieux. Il nous est resté bien peu de choses des rivaux de Pindare, Alcée, Sapho, Stésichore, Ibycus, Bacchylides, Simonides.

J'ai lu d'Alcée quelques vers à la louange d'Harmodius et d'Aristogiton, et plusieurs chansons qui cherchent à prouver qu'il faut beaucoup boire. L'ode de Sapho, inspirée, dit un grand écrivain par une chaleur putride, n'en est pas moins un morceau très remarquable sous le rapport de l'art ; il y a d'elle une hymne à Vénus qui est moins célèbre et moins belle. Les autres ne nous ont rien légué de bien important. Cependant, au milieu de toutes ces brillantes immoralités, nous avons trouvé dans Simonides des pensées austères, exprimées avec bonheur.

« Le temps de la vie est court; mais le mortel couché sous la terre y est étendu pour toujours.

» C'est en vain que la voix veut se faire entendre dans les enfers; le silence règne chez les morts, et les ténèbres coulent dans leurs yeux. »

Ces idées dantesques contrastent singulièrement

avec les rires des débauchés d'Athènes; nous regrettons les œuvres de Simonides, dont nous avons conservé des iambes que nous examinerons ailleurs.

Il convient de parler ici d'un homme dont le nom est dans le monde entier synonyme de grâce, et qui fit longtemps par ses chansons les délices de toutes les élégantes fêtes de la Grèce. Malgré l'abondance de ce genre de poésies en France, et le jugement léger de Voltaire, nous ne connaissons rien que l'on puisse comparer au poète grec sous le rapport de l'art, et, nous le dirons en toute vérité, nous croyons impossible d'approcher de cette mé lodie continuele, de cette exquise douceur, de ce charme étrange, en parlant une langue moderne. Notre langage ne porte pas avec lui une musique assez puissante pour tenir lieu de sentiments profonds, de pensées élevées, ou de spirituelles plaisanteries. Notre poésie ne peut pas vivre seulement d'images. Qu'y a-t-il dans Anacréon1? Il dédaigne les richesses de Gygès, et la science des rhéteurs, et tout ce qui excite l'ambition des hommes; aime les femmes, mais surtout le vin : Bacchus pénètre en lui, tous ses soucis s'évaporent dans les airs ; quand il a bu un vin suave, il se couronne de fleurs, de roses surtout. Anacréon dort sur les roses; il leur adressé des odes toutes parfumées il chante aussi sa coupe où il puise

1 Il vivait vers 532 avant J.-C.

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quand

82 HISTOIRE DES LETTRES AVANT LE CHRISTIANISME.

tant de bonheur. L'amour est le plus souvent pour lui un petit enfant endormi aussi sur des roses, ou décochant des flèches, sujet insipide et fade, dont nos peintres ont tant abusé. Il supplie les jeunes filles de ne pas s'effrayer de ses cheveux blancs : Les lis, leur dit-il, ne se mêlent-ils pas aux roses?

Je ne pense pas qu'il y ait dans Anacréon une idée qui ne se trouve dans ces lignes. Aucun poète n'est plus exclusivement sensualiste et terrestre; pour lui le monde finit à la mort. Il n'y a pas là un seul mot de plainte. Rien ne manque au poète; il est heureux, il semble ignorer que l'homme ait une autre destinée. Il vit de ce rêve brillant de voluptés qui peut bien éblouir quelques années de jeunesse; mais il est vieux et ne s'en aperçoit pas.

Pour résumer notre manière de voir sur la poésie lyrique des Grecs, nous rappellerons qu'à l'origine elle jeta des lueurs radieuses; elle chanta l'unité de Dieu, sa puissance, le culte qui lui est dù; puis, adoptant les sytèmes homériques, elle devint mythologique et païenne, historique et nationale; puis enfin elle divinisa les sens et chanta le plaisir. Elle eut le sort des peuples, qui s'éteignent presque tous dans la mollesse et la volupté.

LES

TRAGIQUES GRECS:

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