Page images
PDF
EPUB

disant que si dès le commencement on lui eût proposé deux chemins, celui des assemblées et de la tribune et celui de la mort, et qu'il eût su par avance tous les maux qui accompagnent le gouvernement, les craintes, les envies, les calomnies, les dangers, les combats et les travaux continuels, il n'aurait pas balancé un seul moment, et se serait jeté tête baissée dans celui de la mort. »

Voilà donc ce que donne de bonheur une des plus brillantes carrières, une des renommées les plus colossales de l'histoire!

On peut voir dans Plutarque comment, après la mort d'Alexandre, la stupide multitude qu'on nomme le peuple athénien, après avoir rappelé Démosthènes en le comblant d'honneurs, le condamna à mort, lui et ceux de son parti qui résistaient avec courage aux Macédoniens. L'infortuné s'empoisonna pour ne pas tomber dans les mains d'Antipater.

J'ai pensé que l'analyse de toutes les harangues de Démosthènes serait aussi fastidieuse qu'inutile. Les faits qui leur prêtaient un intérêt brûlant ne sont plus qu'un souvenir vague et décoloré. Comme orateur, il a été le modèle de Cicéron et de tous les hommes célèbres dans la carrière de l'éloquence. Il est, nous le croyons, le premier de tous par la fermeté et la clarté de son style, la largeur de ses conceptions, la puissance de ses moyens de défense,

l'audace de son attaque et les harmonieuses proportions de ses discours.

Ce qui palpite surtout dans la prose de Démosthènes, c'est une puissante passion pour la vie politique. Il s'en faut bien que son âme ait toujours été saisie de ce dégoût amer que nous lui voyons dans l'exil; mais il est impossible d'intéresser vivement notre siècle avec des travaux qui n'embrassent pas la destination tout entière de l'homme dans le monde visible et dans le monde invisible. Les écrits de Platon grandiront avec les siècles; ceux de Démosthènes perdront chaque année de leur intérêt. Il appartient essentiellement aux vieilles idées d'antagonisme sous l'empire desquelles chaque pays voyait une ennemie dans une contrée voisine. A mesure que les peuples s'éclaireront par la paix et les nobles communions de pensée qui la suivent, le mot d'humanité sera compris, et celui de patrie ne rappellera plus toutes les passions de haine qu'il enfantait autrefois.

XI

Poésie pastorale.—Théocrite 1.

La critique a été peu clairvoyante relativement à Théocrite; le livre qui a présidé jusqu'à ce jour aux études françaises cite, à propos de la poésie pastorale des Grecs, une petite pièce qui semble un débris musqué des salons de la marquise de Pompadour, et F. Schlegel laisse tomber une page assez dédaigneuse sur le poète de la Sicile. On sait qu'il vécut environ trois siècles avant l'ère chrétienne; les poésies qu'il a léguées au monde sont å notre avis un des plus précieux morceaux de l'antiquité grecque.

Finissons-en d'abord avec une question qui a été plusieurs fois agitée, et qui ne nous semble pas

[ocr errors]

Né à Syracuse.Il vécut longtemps à la cour d'Egypte, sous Prolémée Philadelphe, vers 285 avant J.-C.

d'un intérêt bien élevé. La vie pastorale peinte par Théocrite est-elle bien réelle?-Les hommes ont commencé à cultiver la terre avant de songer à bâtir des palais; ils se sont d'abord abrités sous des tentes, nous en avons pour garantie ces grands souvenirs de la vie patriarcale conservés dans les Livres saints. Il a donc pu se rencontrer dans les campagnes riantes de la Sicile, sous un ciel embaumé, dans un climat fécondant qui rendait la vie si facile, des hommes coulant dans l'aisance et la mollesse des jours tourmentés seulement par les passions du cœur que tous les vieux monuments poétiques expriment constamment dès l'origine du monde. Nous croyons probable que Daphnis, qui mourut d'amour, est une légende populaire que Théocrite a pu recueillir de la bouche même des pâtres siciliens, et qu'il l'a embellie de sa ravissante poésie. Sans doute on peut remarquer quelquefois dans le langage de ses pasteurs une recherche digne de professeurs d'Athénées, mais combien plus souvent ce langage est simple et naturel sans cesser d'être poétique!

1

Nous ne connaissons dans le monde rien de plus réel, de plus vrai que l'églogue des Pêcheurs. Il n'y a pas moyen d'appliquer ici ce reproche banal de recherche et de prétention; c'est une imitation parfaite de la vie du peuple des bords de la mer, et tous les hommes qui les auront habités seront doucement impressionnés par ce tableau exquis.

« PreviousContinue »