Page images
PDF
EPUB

siasme fut grand dans la Grèce lorsque l'historien lút au peuple assemblé cette glorieuse chronique où se déroulaient tous les malheurs de Xerxès, tous les triomphes des Grecs. Hérodote est varié comme un poète, il sème son récit de toutes les bizarres coutumes remarquées pendant son long voyage à travers le vieux monde oriental; puis son style a un charme antique que rappelle chez nous celui d'Amyot ou de Montaigne. Hérodote est d'abord un voyageur intéressant, qui a légué à la postérité de précieux monuments de géographie; il est quelquefois licencieux comme Boccace et Arioste, mais chez lui il n'y a aucune intention de libertinage, c'est une sorte de naïveté primitive. Les savants modernes se sont beaucoup moqués de cet homme de génie à cause des fables qu'il sanctionne, disent-ils, de son autorité. Hérodote nous a paru rapporter ce qu'il a vu, mais non adopter sans examen les superstitions des peuples qu'il visite, approuver leurs mœurs bizarres et souvent cruelles. Hérodote, dans la seconde partie de son travail, est un historien pittoresque et fécond de tout ce vaste ébranlement du monde oriental, de cette avalanche de peuples qui tomba sur la Grèce pour s'y engloutir en grande partie; et à ce titre il était cher au peuple dont il avait célébré la déli

vrance.

Nous arrivons à une autre brillante époque de la poésie grecque; elle est connue généralement

sous le titre de siècle de Périclès. Ses grands hommes naquirent au milieu de la guerre du Péloponèse. Ce qui la distingue surtout, c'est quelque chose de reposé et de solennel, ce n'est plus la foudre d'Eschyle, c'est un fleuve abondant, qui coule avec majesté sans inonder ses bords. Le Parthénon n'est pas plus parfaitement harmonieux qu'une tragédie de Sophocle. Harmonie dans la forme, harmonie dans les idées, la beauté de son âme se reflète dans chaque scène. On l'a dit, Sophocle est le poète de la beauté morale, c'est un prêtre qui a compris l'art comme nous nous efforçons de le faire comprendre en France aujourd'hui; il l'a compris non comme une occasion de peindre, croyant qu'il est parvenu à son but dès qu'il émeut, mais comme un sacerdoce, comme un puissant moyen d'action sur la société; il l'a compris comme les élèves du Christ doivent le comprendre, et c'est admirable chez un Grec antérieur à Platon. Sophocle n'avait sans doute pas de la Divinité l'idée si haute et si pure que nous devons à la révélation, mais il y a en lui un pressentiment évident de ces sublimes vérités. Toutes ses pensées offrent une morale si élevée, il sent si profondément la dignité de la vertu et la gloire du sacrifice, qu'il faut reconnaître en lui le précurseur de Platon, une lueur qui annonce le glorieux jour du christianisme.

Sophocle marque le sommet de la poésie grec

que. Nous allons assister à une dégénérescence rapide, la poésie mourra en Grèce avec l'indépendance et la gloire. Thucydide, dans son immortelle histoire, nous a laissé un tableau palpitant de vérité. C'est là qu'il faut étudier ces idées qui se confondent, ces mœurs qui se corrompent, cette unité de la Grèce qui disparaît, ces peuples divers qui ne se battent plus que pour des intérêts de ville, pour des amours-propres étroits. Thucydide est le père de l'histoire rationnelle; placé près de Périclès, minutieux et profond observateur des faits, il les analyse avec une patience et une clarté admirables. C'est de l'histoire humaine dans toute la force du terme; l'auteur ne voit dans les malheurs des peuples que de l'inhabilité, il ne s'occupe presque jamais des vues providentielles. Il n'a aucun rapport avec Hérodote, rien de commun avec la poésie; c'est un prosateur sévère: Thucydide est, avant tout, un homme d'État.

Si l'historien nous a montré les désordres politiques, Aristophane nous a initiés à la vie de la rue et du foyer; ses comédies présentent une peinture animée de toutes les turpitudes sociales de cette époque, et surtout de l'état d'avilissement où était tombée la femme dans un pays qui vit naître Sophocle, le chantre admirable de la vertu et de l'abnégation féminines. Sans Aristophane, nous n'aurions qu'une connaissance très imparfaite des mœurs d'Athènes, du dévergondage sensuel de ses

conversations, de cette manie de procès qui faisait tourner toutes les têtes, de cette folie oratoire qui inspirait au peuple ce mot: Prenez garde, ne remuez pas cette pierre, il va en sortir un orateur. Aristophane nous a présenté toutes ces choses avec une liberté incroyable, liberté que nous retrouvons en France chez Rabelais, chez Brantôme, et malheureusement chez bien d'autres. L'observateur qui étudie le poète comique d'Athènes trouve dans. ces mœurs une cause suffisante de l'extinction d'un peuple; c'est ainsi que Rome a péri. Quand la vertu meurt, les peuples s'en vont.

Nous avons jusqu'à présent suivi les Grecs dans leur mouvement poétique. A l'époque où nous sommes parvenus, l'éducation était aux mains de sophistes qui corrompaient l'intelligence; car l'erreur de la pensée suit ou précède toujours la dissolution des mœurs. On se ferait difficilement une idée de l'anarchie intellectuelle qui désorganisait la société. Notre dix-huitième siècle, si audacieux et si désordonné dans ses attaques, était plein de décence auprès de ce temps, où chaque sophiste haranguait les jeunes hommes sur la place publique. Le juste et l'injuste étaient confondus, la morale traitée de fable et sans cesse présentée d'une manière ridicule. On enseignait à soutenir le pour et le contre sur toutes les questions; comme rien n'était vrai, rien n'était faux. L'existence de Dieu fut niée ouvertement, et l'athéisme

se répandit dans les intelligences, lorsque parut un homme qui devait changer la face de la science et payer de sa vie la prédication de ses doctrines.

Socrate se trouva dans une position terrible. Extravagance de tous côtés : de l'un, des dieux absurdes que sa haute raison rejetait avec mépris; de l'autre, des athées sans dignité et sans pudeur, sapant les bases de la morale d'une main brutale et impie. Les premiers travaux de la philosophie grecque nous sont à peine connus; mais il m'a toujours semblé que, jusqu'à Socrate, plusieurs poètes s'étaient fait de la Divinité une idée plus nette que les philosophes, tout enveloppée que fût cette idée des images symboliques de la poésie. Il est évident que Thalès et Héraclite, les chefs de la secte ionique, n'avaient de Dieu qu'une notion bien imparfaite. Mais il faut reconnaître les services qu'ils ont rendus à la science en recherchant, les premiers, la cause de l'univers.

Pythagore était allé plus loin qu'eux; ce philosophe entrevit peut-être la nature de l'âme, et il ne lui restait qu'un pas à faire; il est vrai que ce pas était immense: il ne le fit pas. Cependant, avec sa transmigration des âmes, cet homme fut longtemps l'oracle de ce qu'il y avait de plus distingué dans la Grèce, et les Pythagoriciens regardaient les autres sectes du haut de leur orgueil. Il y avait d'ailleurs quelque chose d'amusant et de poétique dans ces âmes qui changeaient de corps, et les hom

« PreviousContinue »