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science, mais un art, et il n'y a que bien peu de chose dans l'art qui soit susceptible de transmission'. »

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Quelle est donc, dit l'auteur que j'ai déjà cité, quelle est la logique intérieure ? Quelle est la logique la plus nécessaire ? c'est celle qui attaque les principes mêmes de nos erreurs; celle qui nous fait connaître les diverses défectuosités des raisonnements qu'on appelle sophismes : 1o de prouver autre chose que ce qui est en question; 2o d'apporter un cercle vicieux pour preuve, comme lorsqu'on prétend prouver deux propositions incertaines, l'une par l'autre ; 3o de supposer pour vrai ce qui est en question, ce qu'on appelle pétition de principe; 4o de prendre pour cause ce qui n'est point cause; 5° l'énumération insuffisante des parties, ou un dénombrement imparfait; 6° juger d'une chose par ce qui ne lui convient que par accident; 7o passer du sens composé au sens divisé, ou du sens divisé au sens composé; comme ceux qui se promettraient le ciel, en demeurant dans le crime, parce que JésusChrist a dit qu'il est venu pour sauver les pécheurs, ce qui doit s'entendre dans le sens divisé, de ceux qui cesseront d'être pécheurs; et quand saint Paul a dit que les médisants, les fornicateurs, les avares, n'entreront point dans le royaume des cieux, cela doit s'entendre dans le sens composé, de ceux, non qui auraient été médisants, fornicateurs, avares, mais qui demeureront coupables de ces péchés sans en faire pénitence; 8o passer de ce qui est vrai à quelque égard, à ce qui est vrai simplement; 9° abuser de l'ambiguité des mots; 10° tirer une conclusion générale d'une proposition particulière.

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» La logique la plus nécessaire est de déraciner les préjugés introduits ou par l'éducation, ou par les passions ; de nous tenir en garde contre les séductions de l'amour-propre; de nous affranchir de l'autorité des opinions vulgaires; de nous accoutumer à éviter la précipitation de nos jugements; à discerner les objections présentes et à prévoir les futures, de manière que nous envisagions d'une seule vue tous les avantages et tous les inconvénients que nous pouvons trouver dans l'opinion préférée; à mesurer les degrés de conviction par les degrés de certitude: car, quoique toutes sortes de propositions ne puissent pas être en soi plus vraies l'une que l'autre, la force plus ou moins grande des preuves ou des présomptions doit nous engager à y donner plus ou moins de croyance. Soit qu'il

1 T. 1, Introduction, p. cxxxvII.

s'agisse de déterminer notre entendement ou notre volonté, remontons toujours à un principe qui mérite notre consentement. C'est de toutes les règles la plus essentielle, ou pour la tranquillité de notre conscience, ou pour la satisfaction de notre esprit.

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La logique la plus nécessaire est de nous précautionner contre les occasions fréquentes des faux jugements, telles que l'air imposant, l'autorité, l'extérieur de ceux qui nous parlent. Le riche1 a parlé, dit l'Ecclésiastique, et tous se sont tus en sa présence, ou n'ont ouvert la bouche que pour élever son discours jusqu'aux nues. Le pauvre a parlé, et l'on a demandé qui est cet homme? Et s'il fait un faux pas, on le fait tomber tout à fait.

>>> La logique la plus nécessaire est celle qui fait remédier à tant de maladies de nos esprits, si différentes entre elles, et souvent contraires les unes aux autres; simplicité rampante, présomption, curiosité outrée, excès d'indifférence, précipitation, lenteur, crédulité puérile, pyrrhonisme extravagant.

» La véritable logique doit bannir l'opiniâtreté, et nous faire éviter la ressemblance de ces pédants pointilleux que Cicéron 2 appelle des hommes livrés à l'opinion, et qui, selon Quintilien, croiraient commettre un crime s'ils changeaient de sentiment, comme s'ils y étaient attachés les liens d'un serment, ou par par les entraves de la superstition *.

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Tel est le caractère des formules syllogistiques, qu'elles semblent imaginées pour fournir un moyen de juger sans voir, de raisonner sans réfléchir, qu'elles réduisent le plus noble exercice de l'intelligence à un travail presque mécanique. Elles composent l'art d'argumenter, et non l'art de penser. Elles font descendre celui qui en fait usage, de la dignité de philosophe, à une sorte de métier dans lequel il ne reste qu'un soin d'exécution 5, »>

Après avoir reproduit l'opinion de plusieurs auteurs, s'il m'est permis d'énoncer la mienne, je dois me mettre en dehors de toute idée systématique; car il s'agit, dans la première partie de cet ouvrage, de poser, ou plutôt de constater les bases solides sur lesquelles repose l'édifice de nos convictions, et non pas d'amuser l'esprit du lecteur par des spéculations frivoles.

1 Dives loquutus est, et omnes tacuerunt. (Ecclesiastic., XIII, 28 et 29.)

2 Opiniosissimi homines. (Cic., Acad. Quæst., lib. 4.)

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Quique velut sacramento rogati, vel etiam superstitione constricti, nefas ducunt à suscepta semel persuasione discedere. (Quintil., lib. 12, Instit., c. 11.) * Traité de l'opinion, liv. 2, de la Logique.

Histoire comparée des systèmes de philosophie, par M. Degérando, t. 2, p. 381. Paris, 1822.

Or, dans cette vue, je dis 1o qu'il faut distinguer entre l'ordre de conception ou l'ordre logique considéré en lui-même, et les diverses formes accidentelles qu'il peut revêtir, et qu'il a revêtues selon les temps. L'ordre logique en lui-même existe, c'est-à-dire qu'il est vrai. En effet, il est constant que tous les hommes éprouvent un penchant inné à déduire des principes qu'ils connaissent les conséquences. qui y sont renfermées, et que ces conséquences se formulent en paroles, ou se produisent par des faits. Cette observation s'applique non-seulement aux individus isolés, savants ou ignorants, mais elle s'applique surtout aux hommes pris collectivement, en sorte que toujours les peuples marchent vers les conséquences des principes qu'ils ont une fois admis dans l'ordre religieux, moral, politique, scientifique. L'histoire est là pour le prouver. L'histoire est la logique du genre humain.

Il est constant encore que si nous voulons considérer la masse de nos connaissances, nous trouverons qu'elles se composent d'abord de certains principes généraux, de premières vérités, mais surtout d'une multitude de conséquences qui s'engendrent les unes les autres, comme une chaîne dont tous les anneaux se tiennent et se prolongent à l'infini.

Il est constant enfin, d'après les résultats positifs de la science, que des raisonnements basés sur l'observation des faits sont justifiés par d'autres faits prévus et démontrés à l'avance par des calculs mathématiques. Allez dans un laboratoire de chimie, ou dans un cabinet de physique; écoutez le démonstrateur : il vous dira qu'en vertu d'une loi qu'il vient d'énoncer, tel phénomène doit se produire lorsqu'il aura combiné différents corps. L'expérience se fait, le résultat est obtenu. Direz-vous qu'il n'y a pas de con→ naissances logiques? Ecoutez un astronome; il vous annoncera qu'à tel jour, à telle heure, à telle minute, il doit y avoir une éclipse de soleil ou de lune; au moment indiqué, vous vous munissez de vos instruments d'optique pour contempler le corps céleste ; l'éclipse commence et finit à la minute indiquée par les calculs de la science. Direz-vous qu'il n'y a pas de connaissances logiques? Ecoutez le moraliste: il vous dira que quand l'empire de la conscience s'affaiblit, les lois humaines deviennent impuissantes; que l'ambition, la cupidité, la haine, la volupté bouleversent le monde comme le souffle de la tempête bouleverse l'Océan. Interrogez ensuite les différentes époques de l'histoire, voyez ce qui se passe autour de vous; vous reconnaîtrez que les peuples se sont enfoncés dans le crime d'autant plus qu'ils ont plus méconnu la loi morale.

Il y avait une effroyable logique dans les échafauds de 93! Je dis 2o que les formes accidentelles de la logique pouvant changer, aucune d'elles n'est absolument nécessaire. Ce qu'il y a d'essentiel et d'impérissable, c'est la justesse d'observation, et la rectitude de déduction, qui nous empêchent d'adopter des faits non constatés, ou de les rejeter dès qu'ils le sont; d'en tirer des conséquences fausses, ou de repousser celles qui sont vraies. C'est iei le point capital de la difficulté, où les esprits droits et forts se distinguent des esprits faux et faibles. Ce serait donc se tromper étrangement que de proclamer esprit fort quiconque se contente de nier obstinément ce que d'autres regardent comme certain, sans prendre même la peine de l'examiner. De là est venu ce vieil adage : Un âne peut nier plus qu'un philosophe ne peut prouver. »

Je dis 3o que la logique envisagée de la sorte, dégagée des cátégories, des entités, des modalités, des formes substantielles, des règles du syllogisme, nous apparaît comme une simple méthode à suivre dans la recherche ou la démonstration de la vérité. Ainsi, ce mot de méthode, dont les dialecticiens n'ont fait qu'une partie de la logique, la renferme tout entière dans un sens plus large, et préside à nos opérations intellectuelles, depuis le point de départ jusqu'au terme de la course. Il faut donc mettre de côté ces mots de méthode ascendante et descendante, dans le sens restreint que le langage de l'école leur donne encore. Une méthode est une logique; c'est l'art de bien déduire. Appliqué à chaque objet de nos connaissances, cet art prend différents noms, quoiqu'il se compose toujours des mêmes éléments. Ainsi, on dit la méthode des géomètres, les méthodes des physiciens et des chimistes, des métaphysiciens, des théologiens, etc.; mais dans ces méthodes vous trouverez toujours comme parties constitutives la définition, la division, la classification 1 et le raisonnement.

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Je dis 4° que chacun pourrait à la rigueur se faire une méthode. ou logique adaptée à la portée et à la tournure de son esprit, à ses habitudes, à l'objet de ses investigations. Mais il faut pour cela, une certaine force intellectuelle dont le grand nombre est incapable. «Tout homme de génie qui se livre, soit à l'étude générale de la nature physique et intellectuelle, soit à l'étude spéciale de quelqu'une des parties de cet univers, se fait une méthode qui lui est propre, et à laquelle il doit ses succès dans la découverte de la vé

C'est à cette troisième opération que les logiciens ont communément restreint la dénomination de méthode.

rité. Plein de reconnaissance pour le service que lui a rendu cet instrument, il veut en célébrer les mérites, ne pas le laisser périr entre ses mains, et le transmettre à ses successeurs. Telle est l'ori · gine du Novum Organum de Bacon, et du Discours de la méthode de Descartes. C'est en se mettant à l'œuvre de la science que les grands hommes ont vu se former peu à peu leur méthode, et qu'ils en ont connu toute la valeur. Il ne faut pas croire qu'ils aient spéculé sur la méthode en général, avant d'aborder un objet spécial de recherches. C'est en parcourant le pays qu'ils en ont dressé la carte; de même que c'est en composant un poëme qu'on se fait une poétique 1. >> Dans la réalité, il n'y a donc que les hommes transcendants qui se frayent ainsi un chemin. Les résultats qu'ils obtiennent constatent la bonté de leur méthode, et la font peu à peu adopter par les autres, comme une législation intellectuelle.

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Il a donc été bon et utile de recueillir les leçons des grands hommes, pour les faire servir à diriger les autres.

La méthode de Descartes est celle qui a jeté le plus d'éclat dans le monde moderne; elle contient en germe toutes les conceptions de ce philosophe. Cependant, comme cet ouvrage est très-connu, et se trouve entre les mains de tout le monde, je puis me dispenser de le reproduire. Je me borne à donner ici une notice sur la vie de ce grand homme.

NOTICE SUR DESCARTES 2.

René Descartes naquit à La Haye, petite ville de Touraine, le 31 mars 1596, dans la septième année du règne de Henri IV. C'est le génie que la France oppose à l'Angleterre, si fière de Newton. Il fut le premier géomètre, le premier métaphysicien, le premier physicien de son siècle.

La géométrie a fourni à Descartes celui de ses titres à une gloire immortelle qui a été le moins contesté, parce qu'il était en effet le plus incontestable. Les savants hollandais qui ont attaqué le plus vivement la doctrine de Descartes dans ses rapports avec la théologie, ont été forcés de lui rendre hommage sur ce point, et ces louanges ont été unanimes: effectivement il débuta dans cette science par la solution d'un problème qui avait arrêté tous les géomètres anciens. L'algèbre prit entre ses mains des accroissements étonnants: il est le premier qui ait imaginé de l'appliquer à la géo

1 Garnier, OEuvres philosophiques de Descartes.

Cette notice est extraite de la Raison du christianisme, publiée par M. de Genoude. Je puiserai plus d'une fois encore dans cet excellent recueil.

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