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des choses. Les formules mathématiques furent converties en lois positives de la nature, et le domaine de la morale même fut soumis, comme celui de la nature physique, aux calculs arithmétiques. Les notions des sciences mathématiques devinrent comme l'exemplaire éternel de ce qui est et de ce qui doit être.

D'après cette idée première, la monade occupe le premier rang dans la nature; tout dérive d'elle, puisque tous les nombres se forment par sa répétition. Elle est simple, elle est l'élément essentiel, actif, la cause universelle et éminemment parfaite. De même, le point est le principe générateur des corps et des figures.

La dyade, au contraire, est imparfaite; elle est produite et composée; c'est la matière, le chaos, le principe passif.

Ainsi, la monade et la dyade sont les deux genres qui compren. nent l'universalité des êtres.

Les nombres pairs sont imparfaits; la perfection n'appartient qu'aux nombres impairs.

Cette école distinguait aussi la tryade, la tétrade et la décade, qui joue un rôle éminent dans les symboles pythagoriciens.

Ce serait un travail long et stérile, que d'entrer dans les détails obscurs de cette théorie mathématique, où l'on voit le mélange du monde sensible et du monde intellectuel, du physique et du moral, le tout subordonné aux règles de la géométrie et de l'arithmétique.

D'après ce point de départ, ils ne remontèrent point à la cause première de manière à lui reconnaître une existence propre et indépendante. Soumettant tout aux lois nécessaires et immuables du calcul, ils ne reconnurent Dieu que comme l'âme du monde, ils parurent l'identifier avec le feu et la lumière, et ils admirent un panthéisme grossier, qui disparut plus tard lorsqu'on eut des idées exactes sur l'attribut de l'immensité.

A l'égard de la morale, ils disaient : la vertu est une harmonie. Ce qui est bien, se range sous la loi de l'unité; ce qui est mal, sous la catégorie du multiple. Dieu est le juge moral de l'homme.

Quant à la psychologie, les Pythagoriciens distinguaient deux parties dans l'âme humaine: l'une, principe des besoins physiques et des passions; l'autre, des opérations de l'esprit et des résolutions de la sagesse. Elles ont une origine différente, et des siéges dis

1 Aristote, Métaph., I, v. — Cicéron, Quæst. Acad., IV, § 37. — Sextus l'Empirique, Hypoth. Pyrrhon., II.

tincts dans le corps, On, voit que les facultés étaient envisagées comme des substances. L'âme est une partie de la grande âme du monde, un rayon dérivé du foyer de la lumière. Elle vient momentanément dans le corps humain; puis elle en sort, et après avoir erré dans les régions éthérées, elle passe dans d'autres habitations, parce qu'elle est immortelle. Voilà le système de la métempsycose, d'après lequel l'âme d'un homme peut passer dans un pore.

La raison, disciplinée par les bonnes règles, était pour les Pytha goriciens le criterium des connaissances.

Voilà ce qu'à travers les obscurités symboliques, on a distingué de plus précis dans la doctrine des Pythagoriciens.

Le fondateur de cette école soumettait ses disciples à beau coup d'épreuves; ab observait leurs manières, leurs ris, leurs démarches, et il exigeait d'abord d'eux un silence de cinq ans. Pendant cet intervalle, ils étaient appelés auditeurs, et s'ils étaient admis, on les nommait initiés. Cette initiation ressemblait en quelques points à celle de la franc-maçonnerie moderne ; et c'est probablement ce qui a rendu si difficile par la suite l'explication des symboles pythagoriciens. Le secret de la défense de manger des fèves a beaucoup exercé les savants, et après des discussions et des eonjectures assez multipliées, on en sait un peu moins qu'aupa

ravant.

Pythagore était très-versé dans la musique, la géométrie, l'astronomie et la politique. « Il faut, disait-il souvent, ne faire la guerre qu'à cinq choses : aix maladies du corps, à l'ignorance de l'esprit, aux passions du cœur, aux séditions des villes, et à la discorde des familles.» Interrogé par les magistrats des villes de da Grande Grèce, il leur recommanda la bonne foi et la justice, leur représenta l'a narchie comme le plus grand des maux, l'éducation des enfants comme le moyen le plus efficace d'assurer un jour d'heureuses des tinées à l'Etat.

Les principaux Pythagoriciens furent le Scythe Abaris, Empé docle d'Agrigente, Ocellus de Lucanie, Timée de Locres, Epis charme, Céphante de Syracuse, Archytas de Tarente, Aleméon, Philolaus, Hyppase et Eudoxe.

Secte Eléatique,

J'en ai parléassez au long en traitant du scepticisme.

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Secte des Epicuriens.

La secte épicurienne, dit Lactance, fut toujours la plus, florissante'. Epicure naquit à Gargetrium dans l'Attique, en 342 avant Jésus-Christ, Sa secte fut, fondée à peu près en même temps que celles du Portique, du pyrrhonisme et de la nouvelle Académie. Les disciples de Pyrrhon et ceux de Zénon furent, dans la spéculation et la pratique, les principaux adversaires de l'épicuréisme, tandis que les stoïciens luttaient eux-mêmes, contre le scepticisme pyrrhonien et académique, Il y avait disputes de tous les côtés,

Epicure fut l'un des philosophes les plus loués et les plus dépréciés. Le vague de sa doctrine pratique en a été la principale cause. La morale était le but essentiel de ce philosophe; le but de sa morale était la félicité présente. Or, la félicité, en tant qu'elle convient à l'homme, c'est-à-dire la félicité inférieure à celle de la divinité, réside essentiellement dans la volupté, qui doit être recherchée pour elle-même, et pour laquelle nous devons rechercher tout le reste, conformément à la nature, Cette volupté qui constitue le bonheur est celle qui réside dans le repos, dans l'affranchissement des douleurs du corps et la tranquillité de l'esprit : on pourrait l'appeler la santé physique et, morale de l'homme 2, La nature n'emploie les besoins et les émotions qu'ils produisent que pour arriver à ce repos que procure le besoin satisfait.

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Pour parvenir à ce but, la première condition est la pratique des vertus; la seconde, une raison éclairée qui nous guide dans le choix des moyens; la troisième, une connaissance de la nature, nécessaire pour nous délivrer des vaines appréhensions qui seraient funestes à notre repos.

Epicure rejette comme oiseuses les recherches philosophiques sur l'essence des choses; il rejette la dialectique comme un arsenal de vaines subtilités ; il rejette les fables poétiques et les exagérations des rhéteurs, et il ne veut se servir de la parole que pour exprimer simplement et fidèlement sa pensée.

Pour être vertueux, il faut savoir ce qui est vrai et vouloir ce qui est bien, ce qui se fait par l'exercice du libre arbitre, Epicure reconnaît qu'il n'y a rien de nécessaire dans l'homme doué de raison, en

↑ Epicuri disciplina multo eelebrior semper fuit quam cæterorum, (Lact,, ib,, Inst., C. XVII.)

Gassendi, Philos. Epicur. Syntagma, ch, LI

tant qu'il use de la raison, et se rencontre ainsi avec Aristote dans la condition fondamentale de toute moralité. C'est de là qu'il fait dériver la notion de vertu.

Mais le point essentiel est de décider ce qu'Epicure entend par volupté et par vertu. Nous venons de voir que la volupté consiste principalement dans le repos que procure le besoin satisfait. Parmi les auteurs qui se sont occupés de cette secte, les uns ont dit que cette volupté n'était pas celle des sens, mais celle de la raison et de l'esprit, la satisfaction d'une bonne conscience, la tranquillité d'une âme exempte de trouble et de crainte, enfin, une tranquillité qui ne peut être que le fruit de la vertu. Ils ont loué sa tempérance et l'austérité de sa vie '. La philosophie du xvII° siècle s'est ralliée à cette opinion, parce qu'elle a eu généralement pour but de réhabiliter les réputations flétries, et de flétrir les réputations vénérées. Selon elles, le souverain bien de la secte épicurienne était le même que celui de la secte stoïcienne.

Un grand nombre d'autres, tant anciens que modernes, en ont jugé bien différemment. Selon eux, la doctrine d'Epicure était une théorie de débauche, et ses mœurs furent infâmes. Ils disent que le principe de ce philosophe se confondait avec celui de la secte cyrénaïque, qui expliquait la volupté par la satisfaction des sens 2. Cicéron s'élève avec indignation contre ceux qui veulent contester le sens du mot ndon en grec, et voluptas en latin. Puis, s'adressant à ce philosophe : « Voici, dit-il, ce que vous dites dans le livre qui contient votre doctrine sur cette matière : « Je déclare, dites-vous, que je ne reconnais aucun autre bien que celui que l'on goûte par les saveurs et par les sons agréables, par la beauté des objets sur lesquels tombent nos regards, et par les impressions sensibles que l'homme reçoit dans toute sa personne; et afin qu'on ne dise pas que c'est la joie de l'âme qui constitue le bonheur, je déclare que je ne conçois de joie dans l'âme que quand elle voit arriver ces biens dont ́je viens de parler. » Ainsi, lorsqu'on cite ces paroles de l'orateur romain: Negat Epicurus jucundè posse vivi, nisi cum virtute vivatur, il faudrait aussi ajouter le reste : Nec cum virtute, nisi jucunde.

1 Hieron., Adversus Jovin., lib. II. Senec., de Vita beata, c. xın. - Gassendi, de Fita Epicur.

Cicéron, de Finib., 1. III, no 46. — Plutarque, Traité : qu'on ne peut vivre joyeusement selon Epicure. — Dictionn. de Bayle, art. Leontium, et remarque P de l'art. Hélène.- L'abbé Batteux, Morale d'Epicure tirée de ses propres écrits. Ce livre est dirigé contre l'apologie que Gassendi avait faite de la morale de ce philosophe. — Card. de Polignac, Anti-Lucrèce, lib 1.

D'ailleurs, s'il y a de l'obscurité, elle se trouve dissipée par la manière dont le sens du mot volupté a été fixé par les disciples d'Epicure, par les sectateurs de sa doctrine pratique, et par l'opinion générale qui a fait du mot épicurien le synonyme de débauché. Le cardinal de Polignac résume cette question en peu de mots, lorsqu'il dit :

Abs te non igitur posita in virtute voluptas,

Ast in ea virtus.

C'est donc avec raison que le P. Thomassin conclut : « La morale spécieuse d'Epicure ne tend au fond qu'à rendre les vertus esclaves de la volupté, pour faire qu'on aime la volupté pour elle-même, et les vertus à cause de la volupté qui les accompagne'. »

La psychologie d'Epicure était conforme à sa morale. Selon lui, l'âme est corporelle et composée de la matière la plus subtile; elle est inhérente au reste du corps et alimentée par lui. On y distingue trois éléments : les sens, les appétits et la raison. Mais tout est sub

ordonné aux sens, par le moyen du sensorium où viennent aboutir toutes les impressions sensibles. Aussi, l'âme périt-elle avec le corps, et quand la mort survient, nous ne sommes plus rien.

Sur la question de la certitude, le philosophe n'admet ni le dogmatisme, ni le scepticisme. Il reconnaît trois criterium correspondants aux sens, à l'intelligence et aux appétits. Sur ce fondement, il établit quatorze règles ou canons logiques, et rejette les formules artificielles du raisonnement exprimées dans l'Organon d'Aristote.

En physique, Epicure n'a fait qu'admettre et développer le système des atomes imaginé par Démocrite. Il n'y a, selon lui, d'autre cause réelle que les atomes, doués d'une force qui leur est inhérente, qui les rend capables de s'attirer et de se repousser les uns les autres, au milieu d'un vide immense. Ainsi, l'existence de la divinité n'est point connue par l'ordre du monde. Epicure l'admet d'après le sentiment de la nature qui la révèle à tous les hommes; mais il nie la Providence, c'est-à-dire l'action divine dans les phénomènes de l'univers, et relègue Dieu dans une sphère absolument étrangère au cours des choses humaines et aux lois de la nature. La raison en est, selon Lucrèce, que son intervention nuirait à son repos et à sa parfaite béatitude.

Malgré ces rêveries insensées, les jardins d'Epicure devinrent le rendez-vous d'une foule de disciples. Rien de cela ne doit nous sur

1 Méthode d'étudier et d'enseigner la philosophie, l. 1, c. xx.

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