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idées aux termes qui les rendent, entendre nos semblables, employer des termes identiques ou analogues, et enfin, conclure en eux, sur la foi de cette identité ou de cette analogie verbale, les mêmes idées, les mêmes sentiments qu'en nous. Sans cela, nous ne concevons ni la parole, ni le témoignage d'autrui. Or, selon M. de La Mennais, la faculté de sentir, de percevoir et de raisonner, est trompeuse. La croyance de l'autorité, dont elle est le principe nécessaire, est donc aussi trompeuse? Nous devons douter de l'autorité comme de toute autre chose : voilà encore le scepticisme.

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Le scepticisme, en effet, sort de toute part de la philosophie professée dans le livre de l'Indifférence. Elle n'explique ni comment ceux dont la parole doit faire foi ont le droit d'être crus, ni comment ceux pour lesquels cette parole doit être une règle de jugement peuvent la comprendre et s'y fier; elle n'explique ni la science des maîtres, ni l'intelligence des élèves; elle suppose que les uns savent et que les autres apprennent, mais après leur avoir contesté la faculté de savoir et d'apprendre'. »

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Le témoignage des hommes peut-il fonder une véritable certi tude? Quelles conditions doit-il avoir pour cet effet? Les règles de la certitude historique sont-elles applicables aux faits qui dérogent à l'ordre naturel, et qu'on nomme faits miraculeux? Telles sont les questions importantes qui s'offrent maintenant à nos méditations.

La certitude testimoniale est fondée : 1o sur la relation des sens par laquelle on peut avoir, dans certains cas, l'assurance parfaite de ce qui se passe hors de nous; 2° sur l'ordre moral qui régit l'humanité, et d'après lequel on peut prononcer infailliblement, dans certains cas, que les témoins d'un fait ne sont ni trompés ni trom

peurs.

Les faits sont contemporains, c'est-à-dire présents ou passés. Les faits présents qui ont eu lieu hors de notre portée, nous sont connus par le témoignage des hommes qui en ont eu la certitude physique. Les faits passés nous sont connus par les différents moyens. qui nous transmettent ce témoignage, c'est-à-dire, présents, par l'his toire, la tradition et les monuments.

Je ne puis mieux faire, pour tous ces détails, que de reproduire

1 Damiron, Ess sur l'hist. de la philos., t. I, p′ 335, 336, 337.

un extrait de la seconde Dissertation sur la religion, par M. de La Luzerne :

EXTRAIT DE M. DE LA LUZERNE.

Notion de la certitude.

I. La faculté principale de notre esprit est le jugement. Son objet est de discerner ce qui est vrai de ce qui est faux. Il juge des objets avec plus ou moins de clarté, avec plus ou moins d'assurance. Quand nos jugements sont portés au plus haut degré de sûreté, ils forment la certitude. Quand ils y joignent le plus haut degré de clarté, ils forment l'évidence. Ainsi la vérité est opposée à l'erreur, la certitude au doute, l'évidence à l'obscurité.

II. La certitude est l'exclusion de tout doute: tant qu'il reste du doute sur une question, il n'y a pas de certitude: dès que le doute expire, la certitude naît. Je regarde en conséquence la certitude comme un point fixe dans lequel il n'y a pas de plus ou de moins je doute tout à fait, ou je ne doute pas du tout. Le degré de certitude, s'il pouvait en exister, serait proportionné au degré de doute qui me resterait. Or, si j'avais le plus léger doute, je n'aurais pas de certitude. La certitude n'a donc pas de degré : elle est aussi pleine, aussi entière qu'elle puisse être, ou elle est nulle.

Cette idée n'est pas celle de tout le monde. On entend dire tous les jours et on répète soi-même, qu'on est plus ou moins certain de telle vérité. L'illusion à cet égard vient de deux causes : 1o on confond la certitude morale avec la très-grande vraisemblance. La vraisemblance a une multitude de degrés; et quand elle est portée à un très-haut point, on trouve qu'elle approche de la certitude, quoiqu'elle en soit essentiellement distante, la nature de l'une supposant le doute, et la nature de l'autre l'excluant; 2° on confond encore les motifs de certitude avec les degrés de certitude. Parce qu'on acquiert quelquefois.de nouvelles raisons d'être certain d'une vérité, on croit en avoir acquis une plus grande certitude. Cela n'est pas exact. On ne doutait pas plus avant d'avoir connu les nouvelles raisons, qu'on ne doute après les avoir reçues. On était donc également certain.

III. Le mot certitude peut être pris dans deux sens, parce qu'il peut être appliqué, ou à la chose qui en est l'objet, ou à l'esprit qui la conçoit. Je puis parler de la certitude de telle proposition, ou de la certitude que j'en ai; je dis avec une égale exactitude, telle vé

rité est certaine, et je suis certain de telle vérité. Cette double acception forme la distinction connue dans l'école sous les noms de certitude de l'objet, et de certitude du sujet. La première a lieu quand une vérité est tellement prouvée, qu'on ne peut pas en douter : la seconde existe dans celui qui est tellement persuadé d'une vérité, qu'il n'en doute nullement.

IV. Mais la distinction la plus importante et la plus relative à notre sujet est celle de la certitude métaphysique, de la certitude physique et de la certitude morale. Il y a trois sortes d'objets de nos connaissances: les objets purement intellectuels, les objets de l'ordre physique, les objets de l'ordre moral. La Providence a adapté les trois genres de certitude à ces trois espèces de connais

-sance.

V. La certitude métaphysique nous fait connaître les objets intellectuels; mais nous ne connaissons avec cette certitude que l'essence des choses. Tout objet intellectuel, qui n'est pas essentiel, n'est pas métaphysiquement certain, et reste dans la classe de la probabilité. Pour donner un exemple de cette certitude, c'est par elle que nous sommes assurés des axiomes et des théorèmes de la géométrie, qui sont des vérités essentielles.

VI. La certitude physique porte sur les objets de l'ordre physique, c'est-à-dire sur ceux que nous découvrons par nos propres sens. Ainsi je suis physiquement certain que j'ai devant moi un homme, quand je le vois, l'entends et le touche. Je suis de même certain que demain le soleil se lèvera à l'orient, que l'année prochaine les arbres porteront de nouvelles feuilles; parce que j'ai vu constamment ces effets résulter de l'ordre physique et du cours de la nature.

VII. La certitude morale est celle qui est fondée sur l'ordre moral, c'est-à-dire sur la nature de l'esprit humain et sur le caractère général de l'homme. Comme c'est ici le point de la difficulté, il faut le développer plus amplement. J'avertis que je ne m'occupe pas encore de prouver l'existence de la certitude morale; je me contente d'en expliquer la nature.

VIII. Je ne puis pas douter que la Providence n'ait établi un ordre moral pour la direction des esprits, comme un ordre physique qui dirige les corps. Je juge de cet ordre physique parce que je vois tous les êtres qui composent la nature suivre un cours réglé, tenir constamment une marche uniforme; d'où je conclus que monde physique obéit à une loi supérieure qui a déterminé ce cours, qui a tracé cette marche. La même expérience me fait connaître

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l'ordre moral: je vois dans tous mes semblables les mêmes facultés que je possède; je les vois penser, sentir, raisonner, parler, agir comme moi; je les vois tous, dans les mêmes circonstances, être mus par les mêmes principes, déterminés par les mêmes motifs; et ces principes, ces motifs sont précisément les mêmes par lesquels je me détermine. La double expérience de ce que j'éprouve et de ce que je vois me montre, dans la conduite des hommes, comme dans la marche du monde, un cours constant et réglé. Je vois les principes qui, dans tous les temps, ont fait agir les hommes ou les en ont empêchés, continuer toujours de les pousser ou de les arrêter. Je les vois dans les mêmes circonstances tenir constamment la même conduite. Ne suis-je pas en droit de conclure de là, qu'il existe des principes certains auxquels les hommes ont persévéramment égard, qui les déterminent infailliblement, et qui forment, relativement à leur conduite, un ordre moral tel que l'ordre physique qui meut les différents corps? Je suis comme induit à admettre cet ordre physique, parce que les philosophes, d'après l'expérience de la marche des corps, ont tracé leur cours, et ont indiqué les règles d'après lesquelles ils se meuvent. Je suis de même engagé à reconnaître un ordre moral, parce que d'autres philosophes, d'après une expérience également constante sur les actions humaines, ont remonté à leurs principes, et ont montré que le désir du bonheur et la crainte du malheur étaient les mobiles universels de notre conduite, et nous portaient continuellement à ce qui peut nous procurer l'un et nous faire éviter l'autre.

IX. Sur cette similitude entre l'ordre physique et moral, je dois faire une observation : l'ordre moral est sujet à plus d'exceptions que l'ordre physique. Ce n'est pas que ses principes ne soient également vrais, également certains; mais c'est qu'ils agissent sur des êtres libres, au lieu que les causes physiques exercent leur action sur des êtres purement passifs. Il se trouve quelques esprits absolument dérangés, qui agissent au rebours des principes généraux; on en rencontre de bizarres qui voient ces principes ou raisonnent d'après eux autrement que le commun des hommes; mais ces exceptions sont extrêmement rares : elles le sont au point, que sur masse du genre humain on doit les compter pour rien. Tout ce qu'on peut en conclure, c'est que parmi les hommes il y a quelques individus qui ne font pas partie de l'ordre moral, et sur lesquels on ne peut pas raisonner comme sur les autres. Tout ce qu'on peut en conclure, c'est que, quand il s'agira d'un homme seul, et surtout d'un homme que je ne connaîtrai pas, je ne pourrai pas prononcer

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affirmativement qu'il agira comme tous les autres; mais quand on me présentera un nombre d'hommes considérable, ou même un petit nombre d'hommes que je saurai être pourvus du sens commun et ordinaire, je pourrai avec confiance juger qu'ils sont dirigés par les mêmes motifs qui conduisent l'universalité des hommes.

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X. Ici, je dois prévenir une objection qui se présente naturellement à l'esprit, et dont la solution éclaircira encore la matière. S'il existe un ordre moral qui dirige aussi infailliblement les es» prits que l'ordre physique dirige les corps, en sorte que l'on doive >> être aussi certain de l'un que de l'autre, comment se fait-il que des hommes placés dans les mêmes circonstances, ayant les mêmes mo» tifs pour se déterminer, pensent, parlent, agissent cependant diver» sement? Cette variété, cette opposition de sentiments et de con» duite entre des personnes qui sont dans la même position, ne prouve-t-elle pas que l'ordre moral ne règle pas la marche des esprits uniformément; que par conséquent on ne peut sur cet » ordre former aucun jugement certain ? »

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XI. Je ne prétends pas que l'ordre moral dirige les esprits dans toutes les occasions infailliblement, comme l'ordre physique dirige les corps; mais je dis qu'il y a des cas où il influe sur eux avec la même infaillibilité, et c'est dans ces cas seulement qu'il opère une vraie certitude, égale à la certitude qui résulte de l'ordre physique.

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Le principe de l'ordre moral est le désir du bien et la crainte du mal. Ce principe émeut aussi certainement tout homme jouissant de sa raison, que les lois du mouvement meuvent les corps: impossible que l'homme ne veuille pas son bien, ou veuille son mal. Mais il y a des biens et des maux de différents genres; il y en a de l'ordre spirituel et de l'ordre temporel. De cette dernière sorte il y en a de relatifs à l'honneur, à la fortune, au bien-être. Il y a des biens et des maux prochains : il y en a de plus ou moins probables. Ainsi le désir d'un tel bien, ou la crainte d'un tel mal, peuvent se trouver en opposition avec un désir ou une crainte contraire. Dans cette conjecture, qui est très-commune, l'homme se détermine à ce qu'il considère actuellement comme le meilleur pour lui, selon sa manière de penser et de sentir; et comme il est libre de penser et de sentir, sur ces objets, ainsi qu'il veut, le principe général de l'amour du bonheur et de la crainte du malheur ne le pousse pas failliblement d'un côté plutôt que de l'autre. N'ayant pas la certitude de ses opinions et de ses inclinations, qui sont même souvent variables, je ne peux pas juger avec assurance de ce qu'il fera dans cette occurrence; je ne puis que conjecturer avec plus ou moins de

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