Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]
[ocr errors]

qu'on pouvait savoir tout, ce sont des insensés; les autres, que » l'on ne pouvait rien savoir, ceux-là n'étaient pas plus sages : les premiers ont trop donné à l'homme, les seconds lui ont donné » trop peu; les uns et les autres se sont jetés dans l'excès. Où est » donc la sagesse? Elle consiste à ne pas croire que vous sachiez » tout, ce qui n'appartient qu'à Dieu; et à ne pas prétendre que » vous ne savez rien, ce qui est le propre de la brute: entre ces » deux extrémités il y a un milieu qui convient à l'homme, c'est » une science mêlée de ténèbres et comme tempérée par l'igno>> rance 1. >>

' Dans cette conférence se trouve résumée la question de la certitude. Quoique je doive seulement plus tard traiter cette matière, j'ai cru qu'il était mieux de présenter au lecteur le morceau tout entier. Quelquefois encore je suivrai la même marche pour ne pas rompre la suite des idées d'un auteur.

[ocr errors][merged small][merged small]

Dans une première partie nous avons considéré la vérité en ellemême, la vérité externe ou objective, sans nous arrêter à examiner le milieu ou le moyen par lequel elle nous parvient; comme on peut considérer la lumière en elle-même et dans ses propriétés, abstraction faite de l'instrument ou de l'organe qui nous la transmet. Mais il faut que l'homme soit mis en rapport, en communication avec la vérité, pour qu'elle lui donne la vie intellectuelle, et l'élève audessus de tout ce qui respire. Comment serait-elle notre premier besoin, et comment ennoblirait-elle notre nature, si nous ne pouvions la connaître ? Il faut donc nous replier sur nous-mêmes, et considérer l'instrument d'optique intérieure par lequel la vérité vient éclairer notre esprit. Cet instrument est connu sous le nom général d'entendement ou de RAISON.

Qu'est-ce que la raison? Comment se forme-t-elle en nous ? Quels sont les obstacles qui nous empêchent de faire un bon usage de la raison? La raison a-t-elle des bornes, et quelles sont ces bornes ? Voilà les questions que nous allons successivement traiter en autant de chapitres.

CHAPITRE PREMIER.

CE QU'IL FAUT ENTENDRE PAR LA RAISON.

L'entendement ou la raison de l'homme peut se considérer sous deux rapports, ou comme faculté, ou comme opération. Dans le premier sens, c'est la capacité de recevoir des connaissances, de quelque part qu'elles viennent; de travailler sur ces connaissances acquises pour en acquérir d'autres par voie de comparaison et de déduction; enfin, de garder le dépôt de ces connaissances pour n'être pas obligé de recommencer chaque jour sa vie intellectuelle. Ainsi,

C. C.

14

on dit de l'homme, en général, qu'il est raisonnable; ce qui signifie qu'il est de sa nature de percevoir, de comparer, de conclure, de se souvenir quatre facultés qui constituent l'intelligence.

Dans le second sens, la raison est cette capacité même réduite à l'acte par le concours de certaines circonstances extérieures, et de l'activité intérieure. La perception, la comparaison, nommées jugement par les logiciens, le raisonnement et la mémoire, voilà les quatre opérations par lesquelles l'homme, si petit et si frêle, s'empare du monde visible, et s'élève jusqu'au monde purement intellectuel.

Placé sur la terre comme le roi de la création, il domine par la pensée tout ce qui l'environne; il explore la nature en tout sens, il s'élève jusqu'aux cieux, et descend dans les profondeurs de la terre pour y saisir par une observation patiente les lois qui régissent l'univers, et les monuments des âges qui l'ont précédé. Formé à l'image du Créateur, il crée, lui aussi, un monde nouveau par son industrie; il fait servir la matière à ses besoins et à ses plaisirs; il enchaîne à son char de triomphe les éléments domptés par sa puissance intellectuelle; il va même jusqu'au sein des orages chercher la foudre, qui suit avec docilité la ligne qu'il lui trace pour l'empêcher de nuire. Bien plus, l'être intelligent remonte des objets sensibles vers le principe invisible de toutes choses. Il reconnaît qu'il n'y a pas d'effet sans cause, pas de mouvement sans principe moteur, pas d'activité sans esprit, pas d'ordre sans intelligence. De là il voit découler les lois qui dirigent l'ordre moral aussi bien que celles qui dirigent l'ordre matériel, et il contemple avec ravissement la vérité et la justice. La parole, expression et milieu des intelligences, remue l'univers. Les institutions sociales se fondent et se perfectionnent, ayant pour base impérissable la double idée du droit et du devoir. Vivant tout à la fois dans le passé, dans le présent et dans l'avenir, l'humanité poursuit sa marche à travers les siècles; et si l'imperfection se montre dans ses œuvres, on y voit aussi des preuves éclatantes du plus beau de ses attributs, la perfectibilité.

Telle est l'intelligence humaine, prise en général, considérée dans l'espèce, et abstraction faite de toute individualité. Chaque homme et chaque peuple y participent sans doute à des degrés inégaux, mais tous en possèdent au moins les éléments; tous peuvent se mettre en rapport avec la vérité externe, soit dans l'ordre de conception, soit dans l'ordre logique.

[blocks in formation]

La perception est l'élément le plus simple de l'entendement humain; c'est une vue de l'esprit, quand l'homme reste passif; c'est un regard de l'esprit, quand l'homme, déployant son activité, considère attentivement l'objet qui lui est présenté. Si c'est une chose matérielle qui le frappe par l'intermédiaire des organes, la perception se nomme sensation, laquelle prend le nom d'image quand elle est du ressort de l'organe visuel. L'imagination est la mémoire des sensations.

Chaque sensation ne se réfère qu'à un objet particulier, comme un cheval, un arbre, une maison, etc., ou à la qualité sensible de l'objet, comme l'étendue, la forme, la couleur, la saveur, etc..... Mais l'entendement humain possède la faculté de généraliser ces perceptions tout individuelles, ce qui l'élève déjà bien au-dessus de la nature. Ainsi, à la vue d'un cheval, il conçoit et il dégage de la sensation présente ce qui constitue cet animal, et il a l'idée générale du cheval qui représente dans son esprit tous les individus possibles auxquels ces qualités sont applicables. Cette perception, quoiqu'elle tire son origine de la sensation, en diffère néanmoins infiniment en elle-même ; elle se nomme abstraction, laquelle donne origine à la distinction des genres et des espèces. L'abstraction est à la sensation ce qu'une pièce d'or est à une multitude de petites pièces de monnaie. Remarquons ici qu'une abstraction quelconque est toujours et nécessairement exprimée par une parole. Le langage opère sur les sensations comme l'algèbre sur les quantités.

L'esprit humain abstrait aussi d'une autre manière. Pour le concevoir, il faut se rappeler qu'il n'y a rien de simple dans la nature. Tous les corps possèdent l'étendue dans les trois dimensions: les lignes qui terminent l'étendue produisent les figures. Outre cela, le genre de cohésion qui unit les parties constitue les corps solides à différents degrés, les corps liquides et les fluides. La réflexion des rayons lumineux donne naissance aux couleurs; la vibration de i air produit le son. En un mot, les objets matériels nous saisissent par tous les sens, la vue, l'ouïe, le tact, le goût et l'odorat, et rarement ils n'en affectent qu'un seul à la fois. Pour éviter la confusion dans des perceptions si nombreuses, la nature nous a doués d'une admirable faculté, celle de considérer séparément chaque propriété des corps, après avoir généralisé cette propriété comme nous l'avons dit tout à l'heure. Nous pouvons même décomposer par la pensée ce oui,

dans la réalité, est inséparable. Ainsi l'étendue ne se conçoit point sans longueur, largeur et profondeur. Cependant, c'est en considérant à part chacune de ces trois dimensions, qu'on a créé la science géométrique. Il est vrai, la nécessité de ces divisions, ou abstractions, est fondée sur les bornes de la raison humaine, qui ne lui permettent pas de voir tout d'un seul coup d'œil; mais cette infirmité native est admirablement compensée par le remède, et l'on peut dire que l'abstraction est un magnifique témoignage de notre

petitesse.

Et remarquez que ces différents genres de perceptions n'exigent ni grand travail ni grande science. Pour s'enrichir de ces trésors intellectuels, l'homme le plus ordinaire n'a qu'à vouloir et se rendre attentif. Que dis-je? ces notions sont en nous tous, et elles nous ont coûté si peu, que nul de nous ne se rappelle l'époque où il les a acquises.

Au-dessus de ces conceptions qui se rapportent à l'ordre matériel, il en est d'autres d'une classe plus relevée encore, qui ont pour objet des choses inaccessibles à nos sens, et qu'on nomme pour cette raison idées proprement dites, perceptions métaphysiques, idées générales. Ces choses sont de trois qualités, 1° ou de simples notions intellectuelles, comme celle de l'être en général, celle d'essence, de propriété, d'unité, celle du fini et de l'infini, celle du possible et de l'impossible, celle du parfait et de l'imparfait, les notions de vérité, d'ordre et de rapport, celle d'action, de cause et d'effet, etc. On voit que les bases de l'entendement humain sont renfermées dans ce cercle d'idées, dont l'ensemble constitue l'ontologie, et que c'est avec raison qu'on a dit que toutes nos connaissances ont leur principe dans la métaphysique. Il est à remarquer que ces notions premières sont en général si simples, qu'elles sont saisies dès qu'elles sont nommées, et que les définitions qu'on en donne quelquefois sont moins claires que la chose définie '. Il devait en être ainsi, pour que la raison pût se former chez tous les hommes.

2o Ou les idées perçues par l'entendement correspondent à des êtres réellement existant au-dessus des formes sensibles, à des êtres spirituels, tels que Dieu et l'âme de l'homme; la théologie 2 et la psychologie se rapportent à la connaissance de ces êtres.

Le P. Buffier a très-bien remarqué que la définition explique au fond beaucoup moins la nature de la chose, que la signification du mot qui indique la chose. (Traité des premières vérités, II part., ch. 6.)

2 La théologie (discours sur Dieu) considère la Divinité en tant qu'elle peut être connue par la raison seule, ou en tant qu'elle est connue par la raison, éclairée de la révélation. Dans le premier cas, c'est la théologie naturelle; dans

« PreviousContinue »