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secrets du maître qui répond à notre demande, je veux dire à notre travail, à l'application de notre esprit et aux désirs de notre cœur. Et alors cette vérité pourra nous servir de principe infaillible pour avancer dans les sciences.

Toutes ces règles que nous venons de donner ne sont pas nécessaires généralement dans toutes sortes de questions; car, lorsque les questions sont très-faciles, la première règle suffit :l'on n'a besoin que de la première et de la seconde dans quelques autres questions. En un mot, puisqu'il faut faire usage de ces règles jusqu'à ce qu'on ait découvert la vérité que l'on cherche, il est nécessaire d'en pratiquer, d'autant plus que les questions sont plus difficiles.

Ces règles ne sont pas en grand nombre; elles dépendent toutes les unes des autres; elles sont naturelles, et on se les peut rendre si familières, qu'il ne sera point nécessaire d'y penser beaucoup dans le temps qu'on s'en voudra servir. En un mot, elles peuvent régler l'attention de l'esprit sans le partager, c'est-à-dire qu'elles ont une partie de ce qu'on souhaite. Mais elles paraissent si peu considérables par elles-mêmes, qu'il est nécessaire pour les rendre recommandables, que je fasse voir que les philosophes sont tombés dans un très-grand nombre d'erreurs et d'extravagances, à cause qu'ils n'ont pas seulement observé les deux premières, qui sont les plus faciles et les principales ; et que c'est aussi par l'usage que M. Descartes en fait, qu'il a découvert toutes ces grandes et fécondes vérités dont on peut s'instruire dans ses ouvrages'.

Je pense avoir donné une idée suffisante de l'ordre logique, considéré en lui-même, et par rapport aux différentes formes qu'il a subies chez les anciens et chez les modernes. Dans tout ce qui vient d'être dit, on remarquera qu'il ne s'est pas agi d'adopter tel ou tel système; mais d'explorer les nations simples et exactes de la méthode, et des règles que le bon sens fournit aux esprits droits pour la recherche de la vérité, quel que soit, d'ailleurs, le principe fondamental ou le point de départ de leur philosophie.

CHAPITRE IV.

DE QUELLE IMPORTANCE EST LA VÉRITÉ.

Il ne s'agit point encore ici de montrer que la raison humaine peut, au moins dans certains cas, saisir la vérité avec certitude. Notre dessein, dans cet ouvrage, est de commencer toujours par constater les choses incontestables et d'expérience générale, pour nous éle(1) Ibid., liv. 6, ch. 1.

ver ensuite à la solution de celles qui ont été contestées. Mais, quoique je ne combatte pas encore directement le pyrrhonisme, ce que je dirai dans ce chapitre sera néanmoins une préparation, et comme une première ligne d'attaque dirigée contre lui.

Partant des données établies dans les deux chapitres précédents je me propose d'établir:

L'importance de la vérité en général.

L'importance de la vérité en matière de religion.

ARTICLE Ier. Importance de la vérité en général.

L'importance, ou, pour mieux dire, le besoin absolu de la vérité, est une de ces choses qu'il suffit d'énoncer pour qu'elles s'emparent de notre intelligence. Tout le monde tombe d'accord que, la nature humaine étant donnée avec la capacité de connaître et le penchant irrésistible qui la porte à juger, la vérité est sa vie, comme l'erreur est sa mort. La vérité est à notre âme ce que l'atmosphère est à notre corps. En sorte qu'une intelligence qui désespérerait d'atteindre la vérité, et se croirait condamnée à courir d'erreur en erreur tant que durerait le rêve pénible de la vie, devrait se livrer à un affreux désespoir, semblable à ces malheureux que la justice humaine enfermait dans un sac de cuir pour les abandonner aux vagues de la mer. Quoi de plus cruel, en effet, quoi de plus intolérable, que d'éprouver un penchant irrésistible à connaître, à juger, à croire quelque chose; une soif dévorante qui brûle votre cœur sans jamais le consumer, et de vous sentir écrasé sous le poids de votre impuissance à chaque effort que vous faites pour approcher de la source? Non, les supplices infernaux imaginés par les anciens n'ont rien de comparable aux déchirements intérieurs d'une raison qui ne trouverait d'autre refuge qu'un doute absolu contre des erreurs inévitables'.

L'amour de la vérité, le besoin d'affirmer quelque chose, n'est pas une disposition libre de notre âme; c'est une des conditions

1 « La vérité est en effet la vie des intelligences; chacun la poursuit de ses vœux ; et je ne sais quelle joie ineffable remplit tout notre être lorsque, après avoir été longtemps dans le doute ou dans l'ignorance, nous venons à saisir sa vive lumière. C'est un besoin universel qui dévore également les âmes généreuses et les esprits faibles; en sorte qu'au milieu des mensonges qui remplissent le monde, nul homme cependant ne reste attaché à l'erreur par un secret penchant pour l'erreur elle-même, mais par une conviction profonde qu'il possède, au contraire, la vérité. » Laurentie, Introduction à la Philosophie, ch. 1.

C. C.

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essentielles de notre nature, contre laquelle rien ne peut prescrire; de telle sorte que, quand un homme se jette dans l'erreur, c'est encore la vérité qu'il veut et qu'il croit saisir. Aussi, on peut dire que tout le travail de la pensée humaine, depuis l'origine des temps, a eu pour but, ou la découverte, ou la conservation, ou les développements de la vérité dans toutes les directions. D'abord traditionnelle, et concentrée dans les points qui constituent l'ordre religieux, moral et social, cette vérité se transmettait avec l'histoire primitive dont elle faisait partie. Les philosophes de ce premier âge étaient les anciens, les patriarches, qui léguaient à leurs enfants l'héritage des traditions primordiales dans lesquelles se résumait la raison humaine. Plus tard, cette raison, travaillant sur le fonds commun des vérités acquises, et s'appliquant aux différents objets de la nature, pour les expliquer et pour en déduire des conséquences pratiques, enfanta les sciences et les arts, qui se développèrent à travers les siècles, tantôt plus rapidement, tantôt plus len tement, sous l'influence de mille conjonctures différentes.

Ainsi, la vérité, premier point de départ de l'intelligence humaine, est aussi le dernier terme vers lequel elle gravite. Simple d'abord, et réduite à un petit nombre de points essentiels, elle s'est manifestée avec plus d'expansion, à mesure que l'intelligence créée est devenue plus capable de connaître Dieu, l'homme et l'univers. On est effrayé quand, se repliant vers le passé, on contemple les recherches prodigieuses exécutées par les hommes pour pénétrer de plus en plus dans le sanctuaire de la vérité, pour la démêler d'avec l'erreur, et pour perpétuer, par la tradition sociale, les découvertes dont ils s'étaient enrichis.

Souvent, il faut l'avouer, l'erreur a pris les apparences de la vérité et a séduit la raison. Trop prompte à affirmer, cette raison a bâti des hypothèses imaginaires et assigné des causes chimériques à des effets réels, mais trop peu étudiés. Souvent l'ignorance, pour se déguiser sous les dehors du savoir, a mis des mots obseurs et inintelligibles à la place des notions claires et simples des choses. Puis, lorsqu'après de longues années la découverte de quelque vérité a fait crouler ces échafaudages, la raison, honteuse d'ellemême, et comme découragée par tant d'efforts stériles, s'est plus d'une fois abandonnée au scepticisme, réaction naturelle, mais réaction outrée, contre le dogmatisme. Enfin, les notions primitives, de nouveau proclamées par la religion, et enrichies d'un trésor de vérités jusqu'alors inconnues, replacèrent la raison sur ses bases naturelles, et fixèrent pour jamais l'avenir de l'humanité.

Dans ce peu de mots, je viens de dessiner à grands traits l'histoire de l'esprit humain, qui se confond avec l'histoire des vérités connues. Demander après cela de quelle importance est la vérité, c'est demander de quelle importance est l'intelligence humaine qui ne vit que par elle; c'est demander de quelle importance est la société, la morale, l'histoire, la science, la destinée du genre humain. Toutes ces choses ne reposent que sur la vérité, c'est-à-dire sur les lois qui les régissent. On ne peut les étudier sans partir de quelque premier principe, pour en déduire les conséquences. Il est certain que la situation morale, intellectuelle et physique des hommes a été toujours et partout en rapport avec les notions vraies ou fausses qu'ils ont admises. Il est certain aussi qu'une amélioration sensible s'est manifestée, à différentes époques, dans l'ordre des connaissances qu'ils ont le plus cultivées : amélioration morale, quand les esprits se sont dirigés vers les objets relevés de l'ordre moral, qui font la dignité humaine : amélioration sociale, quand les lois naturelles de la société ont été plus étudiées et mieux appliquées : amélioration matérielle et industrielle, quand les hommes imprégnés de sensualisme ont concentré leurs pensées et leurs efforts dans la matière.

Soit que le peuple commence à se lancer dans une direction, attirant dans sa sphère les penseurs ou les philosophes, soit que ceux-ci ouvrent la carrière, élevant ou abaissant à leur niveau les classes populaires, le résultat que nous venons d'indiquer est tou jours infaillible, en sorte que l'histoire d'une époque réfléchit toujours les idées qui y dominent. La société humaine est comme une machine dont les idées forment le principe moteur.

Je trouve cette pensée fort bien développée dans un écrit récent, dont je regrette de ne pouvoir admettre les conclusions. Voici le passage qu'on lira avec intérêt :

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Ou ce sont les masses qui commencent, et, d'un mouvement spontané, se portent vers la lumière : et alors, livrées à elles-mêmes, sans maîtres et sans guides, elles font comme elles peuvent, s'éclairent par instinct, et ne croient que par impression. Leur sens est des plus simples: confus, enveloppé, incapable de s'expliquer et de se démontrer les choses, ce n'est encore qu'une perception d'enfant et sans raison. Ce n'est pas assez pour les satisfaire longtemps; bientôt elles ont besoin de quelque chose de mieux : alors, elles s'inquiètent, s'agitent, commencent à réfléchir; l'état de vague admiration dans lequel elles étaient d'abord fait place en elles à une sorte de méditation contemplative; elles essaient de saisir cette vé

rité qu'elles entrevoient, elles s'y appliquent de toutes leurs forces. Mais, comme elles manquent d'expérience, elles précipitent leurs recherches au lieu de les diriger, et poussent leurs études sans ordre et sans mesure. Elles ne doutent de rien avec leur génie deminaïf, si vivant, si vaste, mais encore si indompté et si mal habile; elles ont des audaces de géants, mais ce n'est pas sans péril et sans chute. En même temps qu'on admire la grandeur de leurs conceptions, l'originalité de leurs hypothèses, leurs imaginations extraordinaires et leurs soupçons sublimes, on reconnaît aussi tout ce qu'il y a de mystérieux, de vague et de hasardé dans ces idées à demi réfléchies. Elles-mêmes finissent par s'en apercevoir et par y chercher remède. Que font-elles alors? Elles expriment leur besoin, et, d'une voix commune, elles demandent de la science et invoquent la philosophie : un tel vou, le vœu de toute une société, ne se fait pas entendre en vain; il éveille le génie, lui révèle sa mission, l'inspire et le soutient dans ses nobles travaux.....

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Mais les choses ne se passent pas toujours ainsi que nous venons de le voir: au lieu d'aller du peuple aux penseurs, le mouvement intellectuel va quelquefois des penseurs au peuple; la science préexiste, secrète, privée, réduite au petit nombre; après quoi elle se répand peu à peu, se communique, se publie, et finit, avec le temps, par gagner la société. Expliquons le fait : on ne conçoit pas que des hommes placés au sein d'un monde tout ignorant puissent, quel que soit leur génie, s'élever seuls et d'eux-mêmes à la connaissance philosophique de la vérité. Il y aurait là du moins un prodige extraordinaire. Ce n'est pas ainsi que se montrent dans la foule ces sages hors de ligne, qui, éclairés avant tout le monde, sont philosophes dans le même temps qu'autour d'eux il n'y a qu'idées vagues. S'ils y paraissent, c'est après avoir été chercher toute faite au dehors la science qu'ils n'avaient pas chez eux; c'est lorsque, après l'avoir empruntée à un autre pays, ils la rapportent au leur, l'y annoncent et l'y enseignent. C'est encore lorsque, étrangers et venus d'ailleurs, ils arrivent avec tous les trésors d'une civilisation inconnue chez les hommes ignorants. Tels furent, d'un côté, ces Grecs curieux qui, voyageant pour la science, allèrent recueillir dans l'Orient les principes d'une philosophie qui leur manquait; tels furent, de l'autre, ces missionnaires chrétiens qui, du sein de notre Europe, portèrent leurs doctrines et leur foi chez les sauvages de l'Amérique 1. Voilà, ce nous semble, les

L'auteur, en remontant plus haut, aurait pu nous faire contempler ces

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