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VIII. L'HYPERBOLE.

Lorsque nous sommes vivement frappés de quelque idée que nous voulons représenter, et que les termes ordinaires nous paraissent trop faibles pour exprimer ce que nous voulons dire, nous nous servons de mots qui, à les prendre à la lettre, vont au-delà de la vérité, et représentent le plus ou le moins, pour faire entendre quelque excès en grand ou en petit. Ceux qui nous entendent, rabattent de notre expression ce qu'il en faut rabattre, et il se forme dans leur esprit une idée plus conforme à celle que nous voulons y exciter, que si nous nous étions ser◄ vis de mots propres. Par exemple: si nous voulons faire comprendre la légèreté d'un cheval qui court extrêmement vîte, nous disons qu'il va plus vite que le vent. Cette figure s'appelle hyperbole, mot grec, qui signifie excès.

Julius Solinus dit qu'un certain Lada était d'une si grande légèreté, qu'il ne laissait sur le sable aucun vestige de ses pieds (1).

Virgile dit de la princesse Camille, qu'elle surpassait les vents à la course, et qu'elle eût couru sur des épis de blé sans les faire plier, ou sur les flots de la mer sans y enfoncer, et même sans se mouiller la plante des pieds (2).

(1) Primam palmam velocitatis Ladas quidam adeptus est, qui ità suprà cavum pulverem cursitavit, ut arenis pendentibus nulla indicia relinqueret vestigiorum. Jul Solin.

(2) Illa vel intactæ segetis per summa volaret
Gramina, nec teneras cursu læsisset aristas,
Vel mare per medium fluctu suspensa tumenti
Ferret iter, celeres nec tingeret æquore plantas.
En. 1. vii. v. 808.

Au contraire, si l'on veut faire entendre qu'une personne marche avec une extrême lenteur, on dit qu'elle marche plus lentement qu'une

tortue.

Il y a plusieurs hyperboles dans l'écriture. sainte. Par exemple: Je vous donnerai une terre où coulent des ruisseaux de lait et de miel, c'està-dire, une terre fertile ; et dans la Genèse, il est dit: Je multiplierai tes enfants en aussi grand nombre que les grains de poussière de la terre. S. Jean, à la fin de son évangile, dit que, si l'on racontait en détail les actions et les miracles de Jésus-Christ,il ne croit pas que le monde entier pût contenir les livres qu'on en pourrait faire(1). L'Hpyerbole est ordinaire aux Orientaux. Les jeunes gens en font plus souvent usage que les personnes avancées en âge. On doit en user sobrement et avec quelque correctif. Par exemple en ajoutant, pour ainsi dire, si l'on peut parler ainsi.

« Les esprits vifs, pleins de feu, et qu'une « vaste imagination emporte hors des règles et << de la justesse, ne peuvent s'assouvir d'hyper« boles, dit M. de la Bruyère. »

Excepté quelques façons de parler communes et proverbiales, nous usons très-rarement d'hyperboles en français. On en trouve quelques exemples dans le style satirique et badin, et quelquefois même dans le style sublime et poëtique Des ruisseaux de larmes coulèrent des yeux de tous les habitants.

« Les Grecs (2) avaient une grande passion

(1) Sunt autem et alia multa quæ fecit Jesus, quæ si scribantur per singula, nec ipsum arbitror mundum capere posse eos, qui scribendi sunt, libros. Joan. XXI. V. 25.

(2) Traité de la vraie et de la fausse beauté dans

« pour l'hyperbole, comme on le peut voir dans « leur Anthologie, qui en est toute remplie. « Cette figure est la ressource des petits esprits « qui écrivent pour le bas peuple. »

Juvenal, élevé dans les cris de l'école,

Poussa jusqu'à l'excès sa mordante hyperbole.

<< Mais, quand on a du génie et de l'usage du << monde, on ne se sent guère de goût pour ces « sortes de pensées fausses et outrées. »

IX. L'HYPOTYPOSE.

L'Hypotypose est un mot grec, qui signifie image, tableau. C'est lorsque, dans les descriptions, on peint les faits dont on parle, comme si ce qu'on dit était actuellement devant les yeux; on montre, pour ainsi dire, ce qu'on ne fait que raconter; on donne en quelque sorte l'original pour la copie, les objets pour les tableaux: vous en trouverez un bel exemple dans le récit de la mort d'Hippolyte.

Cependant sur le dos de la plaine liquide

S'élève à gros bouillons une montagne humide;
L'onde approche, se brise, et vomit à nos yeux
Parmi les flots d'écume un monstre furieux :
Son front large est armé de cornes menaçantes;
Tout son corps est couvert d'écailles jaunissantes;
Indomptable taureau, dragon impétueux,

les ouvrages d'esprit. C'est une traduction que Richelet nous a donnée de la dissertation que Messieurs de Port Royal ont mise à la tête de leur Delectus Epigrammatum.

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Sa croupe se recourbe en replis tortueux;
Ses longs mugissemens font trembler le rivage,
Le ciel avec horreur voit ce monstre sauvage,
La terre s'en émeut, l'air en est infecté;
Le flot qui l'apporta recule épouvanté.

Ce dernier vers a paru affecté; on a dit que les flots de la mer allaient et venaient sans le motif de l'épouvante, et que dans une occasion aussi ⚫ triste que celle de la mort d'un fils, il ne convenait point de badiner avec une fiction aussi peu naturelle. Il est vrai que nous avons plusieurs exemples d'une semblable prosopopée; mais il est mieux de n'en faire usage que dans les occasions où il ne s'agit que d'amuser l'imagination, et 'non quand il faut toucher le cocur. Les figures qui plaisent dans un épithalame, déplaisent dans une oraison funèbre la tristesse doit parler simplement, si elle veut nous intéresser. Mais revenons à l'hypotypose.

Remarquez que tous les verbes de cette narration sont au présent; l'onde approche, se brise, etc.'; c'est ce qui fait l'hypotypose, l'image, la peinture; il semble que l'action se passe sous vos yeux.

M. l'abbé Ségui, dans son panégyrique de S. Louis, prononcé en présence de l'Académie française, nous fournit encore un bel exemple d'hypotypose, dans la description qu'il fait du départ de S. Louis, du voyage de ce prince, de son arrivée en Afrique.

et

« Il part baigné de pleurs, et comblé des béné«dictions de son peuple déja gémissent les << ondes sous le poids de sa puissante flotte; déja

s'offrent à ses yeux les côtes d'Afrique; déja « sont rangées en bataille les innombrables

roupes des Sarrasins. Ciel et terre, soyez témoins des prodiges de sa valeur. Il se jette << avec précipitation dans les flots, suivi de son « armée que son exemple encourage, malgré « les cris effroyables de l'ennemi furieux, aut <<< milieu des vagues et d'une grêle de dards qui « le couvrent; il s'avance comme un géant vers les champs où la victoire l'appelle; il prend << terre; il aborde; il pénètre les bataillons épais des barbares; et, couvert du bouclier « invisible du Dieu qui fait vivre et qui fait « mourir, frappant d'un bras puissant à droite

et à gauche, écartant la mort, et la renvoyant « à l'ennemi, il semble encore se multiplier dans «< chacun de ses soldats. La terreur qué les infi<delles croyaient porter dans les cœurs des siens « s'empare d'eux-mêmes. Le Sarrasin éperdu, « le blasphême à la bouche, le désespoir dans le «cœur, fuit, et lui abandonne le rivage. »

Je ne mets ici cette figure au rang des Tropes que parce qu'il y a quelque sorte de Trope àparler du passé comme s'il était présent: car d'ailleurs les mots qui sont employés dans cette figure conservent leur signification propre. De plus, elle est si ordinaire, que j'ai cru qu'il n'était pas inutile de la remarquer ici,

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La Métaphore est une figure par laquelle ou transporte, pour ainsi dire, la signification propre d'un nom à une autre signification, qui ne lui convient qu'en vertu d'une comparaison qui est dans l'esprit. Un mot pris dans un sens métaphorique perd sa signification propre, et

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