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elles ont chacune leur caractère particulier, qui les distingue des autres assemblages de mots, qui font un sens dans le langage ordinaire des hommes.

Les grammairiens et les rhéteurs ayant fait des observations sur les différentes manières de parler, ils ont fait des classes particulières de ces différentes manières, afin de mettre plus d'ordre et d'arrangement dans leurs réflexions. Les manières de parler dans lesquelles ils n'ont remarqué d'autre propriété que celle de faire connaître ce qu'on pense, sont appelées simplement phrases, expressions, périodes; mais celles qui expriment non seulement des pensées, mais encore des pensées énoncées d'une manière particulière qui leur donne un carac tère propre, celles-là, dis-je, sont appelées figures, parce qu'elles paraissent, pour ainsi dire, sous une forme particulière, et avec ce caractère propre qui les distingue les unes des autres, et de tout ce qui n'est que phrase ou expression.

M. de la Bruyère dit, « qu'il y a de certaines «choses dont la médiocrité est insupportable : « la poésie, la musique, la peinture, le dis«<cours public. » Caractères; Des ouvrages de l'esprit.) Il n'y a point-là de figure; c'està-dire , que toute cette phrase ne fait autre chose qu'exprimer la pensée de M. de la Bruyère, sans avoir de plus un de ces tours qui ont un caractère particulier. Mais quand il ajoute : «Quel supplice que d'entendre déclamer pom«peusement un froid discours, ou prononcer « de médiocres vers avec emphase! » c'est la même pensée; mais, de plus, elle est exprimée sous la forme particulière de la surprise, de l'admiration; c'est une figure.

Imaginez-vous pour un moment une multitude de soldats, dont les uns n'ont que l'habit ordinaire qu'ils avaient avant leur engagement, et les autres ont l'habit uniforme de leur régiment: ceux-ci ont tous un habit qui les distingue, et qui fait connaître de quel régiment ils sont; les uns sont habillés de rouge, les autres de bleu, de blanc, de jaune, etc. Il en est de même des assemblages de mots qui composent le discours; un lecteur instruit rapporte un tel mot, une telle phrase à une telle espèce de figure, selon qu'il y reconnaît la forme, le signe, le caractère de cette figure; les phrases et les mots qui n'ont la marque d'aucune figure particulière, sont comme des soldats qui n'ont l'habit d'aucun régiment; elles n'ont d'autres modifications que celles qui sont nécessaires pour faire connaître ce qu'on pense.

Il ne faut point s'étonner si les figures, quand elles sont employées à propos, donnent de la vivacité, de la force, ou de la grâce au discours; car, outre la propriété d'exprimer les pensées, comme tous les autres assemblages de mots, elles ont encore, si j'ose parler ainsi l'avantage de leur habit, je veux dire, de leur modification particulière, qui sert à réveiller l'attention, à plaire, ou à toucher.

Mais, quoique les figures bien placées, embellissent le discours, et qu'elles soient, pour ainsi dire, le langage de l'imagination et des passions; il ne faut pas croire que le discours ne tire ses beautés que des figures. Nous avons plusieurs exemples en tout genre d'écrire, où toute la beauté consiste dans la pensée exprimée sans figure. Le père des trois Horaces ne sachant point encore le motif de la fuite de son

fils, apprend avec douleur qu'il n'a pas résisté aux trois Curiaces.

Que vouliez-vous qu'il fit contre trois ? lui dit Julie Qu'il mourut, répond le père.

:

Dans une autre tragédie de Corneille, Prusias dit qu'en une occasion dont il s'agit, il veut se conduire en père, en mari. Ne soyez ni l'un ni l'autre, lui dit Nicomède :

PRUSIA S.

Et que dois-je être ?

NICOMEDE.

Roi.

Il n'y a point-là de figure, et il y a cependant beaucoup de sublime dans ce scul mot: voici un exemple plus simple.

En vain pour satisfaire à nos lâches envies,

Nous passons près des rois tout le temps de nos vies,
A souffrir des mépris, à ployer les genoux:
Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont ce que nous

sommes,

Véritablement hommes,

Et meurent comme nous (Malherbe),

Je pourrais rapprter un grand nombre d'exemples pareils, énoncés sans figure, et dont la pensée seule fait le prix. Ainsi, quand on dit que les figures embellissent le discours, on veut dire seulement, que dans les occasions où les figures ne seraient point déplacées, le même fonds de pensée sera exprimé d'une manière ou plus vive ou plus noble, ou plus agréable par le secours des figures, que si on l'exprimait sans figure.

De tout ce que je viens de dire, on peut former cette définition des figures: LES FIGURES

sont des manières de parler distinctement des autres par une modification particulière, qui fait qu'on les réduit chacune à une espèce à part, et qui les rend, ou plus vives, ou plus nobles, ou plus agréables que les manières de parler, qui expriment le même fonds de pensée, sans avoir d'autre modification particulière.

ARTICLE II,

Division des figures.

ON divise les figures en figures de pensées, figuræ sententiarum, schemata; et en figures de mots, figuræ verborum. Il y a cette différence, dit Cicéron (1), entre les figures de pensées et les figures de mots, que les figures de pensées dépendent uniquement du tour de l'imagination; elles ne consistent que dans la manière particulière de penser ou de sentir en sorte que la figure demeure toujours la même, quoiqu'on vienne à changer les mots qui l'expriment. De quelque manière que M. Fléchier eût fait parler M. de Montausier dans la prosopopée que j'ai rapportée ci-dessus, il aurait fait une prosopopée. Au contraire, les figures de mots sont telles, que, si vous changez les paroles, la figure s'évanouit; par exemple, lorsque, parlant d'une armée navale, je dis qu'elle était composée de cent voiles, c'est une figure de mots dont nous parlerons dans la suite; voiles est-là pour vaisseaux : que si je substitue

(1) Inter conformationem verborum et sententiarum hoc interest, quòd verborum tollitur, si verba mutaris, sententiarum permanet, quibuscumque verbis uti velis. Cic. de Orat. L, III. n. 201, Aliter LII

le mot de vaisseaux à celui de voiles, j'exprime également ma pensée; mais il n'y a plus de figure.

ARTICLE III.

Division des figures de mots.

Il y a quatre différentes sortes de figures qui regardent les mots :

1° Celles que les grammairiens appellent figures de diction: elles regardent les changements qui arrivent dans les lettres ou dans les syllabes des mots; telle est, par exemple, la syncope, c'est le retranchement d'une lettre ou d'une syllabe au milieu d'un mot, scuta virúm pour virorum.

2° Celles qui regardent uniquement la construction; par exemple, lorsqu'Horace, parlant de Cléopâtre, dit monstrum, quæ... nous disons en français la plupart des hommes disent, et non pas dit. On fait alors la construction selon le sens. Cette figure s'appelle syllepse. J'ai traité ailleurs de ces sortes de figures; ainsi je n'en parlerai point ici.

3o Il y a quelques figures de mots, dans lesquelles les mots conservent leur signification propre, telle est la répétition, etc, C'est aux rhéteurs à parler de ces sortes de figures, aussi bien que des figures de pensées. Dans les unes et dans les autres, la figure ne consiste point dans le changement de signification des mots; ainsi elles ne sont point de mon sujet.

4° Enfin il y a des figures de mots qu'on appelle Tropes; les mots prennent, par ce figures, des significations différentes de leur signification propre. Ce sont-là les figures dout

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