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Quelques-uns y ajoutent la métonymie par laquelle on nomme ce qui précède pour ce qui suit, ou ce qui suit pour ce qui précède : c'est ce qu'on appelle L'ANTÉCÉDENT POUR LE CONSÉQUENT, OU LE CONSÉQUENT POUR L'ANTÉCÉDENT; on en trouvera des exemples dans la métalepse, qui n'est qu'une espèce de métonymie à laquelle on a donné un nom particulier au lieu qu'à l'égard des autres espèces de métonymie dont nous venons de parler, on se contente de dire métonymie de la cause pour l'effet, métonymie du contenant pour le contenu, métonymie du signe, etc.

III. LA MÉTALEPSE.

La métalepse est une espèce de métonymie par laquelle on explique ce qui suit pour faire entendre ce qui précède, ou ce qui précède pour faire entendre ce qui suit: elle ouvre pour ainsi dire la porte, dit Quintilien, afin que vous passiez d'une idée à une autre, ex alio in aliud viam præstat; c'est l'antécédent pour le conséquent, ou le conséquent pour l'antécédent, et c'est toujours le jeu des idées accessoires dont l'une réveille l'autre,

Le partage des biens se faisait souvent et se fait encore aujourd'hui, en tirant au sort: Josué se servit de cette manière de partager (1).

Le sort précède le partage; de là vient que sors en latin se prend souvent pour le partage

(1) Cùmque surrexissent viri, ut pergerent ad des cribendam terram, præcepit eis Josue dicens: « Cira cuite terram et describite eam, ac revertimini ad me; « ut hic coram Domino, in Silo mittam vobis sortem.» Josué, Ch. XVIII, v. 8.

même, pour la portion qui est échue en partage; c'est le nom de l'antécédent qui est donné au conséquent.

Sors signifie encore jugement, arrêt ; c'était le sort qui décidait, chez les Romains, du rang dans lequel chaque cause devait être plaidée (1): ainsi, quand on a dit sors pour jugement, on a pris l'antécédent pour le conséquent.

Sortes en latin se prend encore pour un oracle, soit parce qu'il y avait des oracles qui se rendaient par le sort, soit parce que les réponses. des oracles étaient comme autant de jugements qui réglaient la destinée, le partage, l'état de ceux qui les consultaient.

On croit avant que de parler; je crois, dit le prophete, et c'est pour cela que je parle. Il n'y a point là de métalepse; mais il y a une métalepse quand on se sert de parler ou de dire pour signifier croire: direz-vous après cela que je ne suis pas de vos amis? c'est-à-dire, croirez-vous? aurez-vous sujet de croire?

Cedo veut dire, dans le sens propre, je cède je me rends; cependant, par une métalepse de l'antécédent pour le conséquent, cedo signifie souvent, dans les meilleurs auteurs, dites ou donnez cette signification vient de ce que, quand quelqu'un veut nous parler, et que nous parlons toujours nous-mêmes, nous ne lui don

(1) Ex more romano non audiebantur causæ, nisi per sortem ordinatæ. Tempore enim quo causæ audiebantur, conveniebant omnes, undè et concilium : et ex sorte dierum ordinem accipiebant, quo post dies triginta suas causas exequerentur, undè est urnam movet. Servius in illud Virgilii,

Nec verò hæ sine sorte datæ, sine judice sedes.
En. Lib. V. v. 431.

nous pas le temps de s'expliquer : écoutez-moi, nous dit-il; hé bien je vous cède, je vous écoute, parlez, cedo, dic.

Quand on veut nous donner quelque chose, nous refusons souvent par civilité; on nous presse d'accepter, et enfin nous répondons je vous cède, je vous obéis, je me rends, donnez, cedo, da; cedo, qui est le plus poli de ces deux mots, est demeuré tout seul dans le langage ordinaire, sans être suivi de die ou de da, qu'on supprime par ellipse: cedo signifie alors ou l'un ou l'autre de ces deux mots, selon le sens ; c'est ce qui précède pour ce qui suit; et voilà pour quoi on dit également cedo, soit qu'on parle à une seule personne ou à plusieurs; car tout l'usage de ce mot, dit un ancien grammairien, c'est de demander pour soi, cedo sibi poscit et est immobile.

On rapporte de même à la métalepse ces fa çons de parler; il oublie les bienfaits, c'est-àdire, il n'est pas reconnaissant. Souvenez-vous de notre convention, c'est-à-dire, observez notre convention. Seigneur, ne vous ressouvenez point de nos fautes, c'est-à-dire, ne nous en punissez point, accordez-nous-en le pardon: Je ne vous connais pas, c'est-à-dire, je ne fais aucun cas de vous, je vous méprise, vous êtes à mon égard comme n'étant point.

il

Il a été, il a vécu, veut dire souvent, est mort; c'est l'antécédent pour le conséquent.

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C'en est fait, Madame, et j'ai vécu.

C'est-à-dire, je me meurs.

Un mort est regretté par ses amis, ils voudraient qu'il fût encore en vie, ils souhaitent celui qu'ils ont perdu, ils le désirent : ce sentiment suppose la mort, ou du moins l'absence

de la personne qu'on regrette. Ainsi, la mort, la perte ou l'absence sont l'antécédent; et le désir, le regret sont le conséquent. Or, en latin, desiderari, être souhaité, se prend pour être mort, être perdu, être absent; c'est le conséquent pour l'antécédent, c'est une métalepse. Ex parte Alexandri triginta omninò et duo, ou, selon d'autres, trecenti omninò, ex peditibus desiderati sunt; du côté d'Alexandre, il n'y eut en tout que trois cents fantassins de tués, Alexandre ne perdit que trois cents hommes d'infanterie. Nulla navis desiderabatur : ancun vaisseau n'était désiré, c'est-à-dire, aucun vaisseau ne périt, il n'y eut aucun vaisseau de perdu..

« Je vous avais promis que je ne serais que « cinq ou six jours à la campagne, dit Horace « à Mécénas, et cependant j'y ai déja passé tout « le mois d'août. »

Quinque dies tibi pollicitus me rure futurum.
Sextilem totum, mendax, desideror.

Où vous voyez que desideror veut dire, par métalepse, je suis absent de Rome, je me tiens à la campagne.

Par la même figure, desiderari signifie encore manquer (deficere), être tels que les autres aient besoin de nous. « Les Thébains, par des intri"gues particulières, n'ayant point mis Epami« nondas à la tête de leur armée, reconnurent « bientôt le besoin qu'ils avaient de son habi

leté dans l'art militaire : » desiderari cœpta est Epaminondæ diligentia. Cornélius Népos dit encore que Ménéclide, jaloux de la gloire d'Epaminondas, exhortait continuellement les 'Thébains à la paix, afin qu'ils ne sentissent point le besoin qu'ils avaient de ce général. Hortari solebat Thebanos, ut pacem bello anteferrent ne illius imperatoris operá desideraretur.

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La métalepse se fait donc lorsqu'on passe comme par degrés d'une signification à une autre. Par exemple, quand Virgile a dit, après quelques épis, c'est-à-dire, après quelques années : les épis supposent le temps de la moisson, le temps de la moisson suppose l'été, et l'été suppose la révolution de l'année. Les poëtes prennent les hivers, les étés, les moissons les automnes, et tout ce qui n'arrive qu'une fois en une année, pour l'année même. Nous disons dans le discours ordinaire, c'est un vin de quatre feuilles, pour dire c'est un vin de quatre ans; et dans les coutumes, on trouve bois de quatre feuilles, c'est-à-dire, bois de quatre années.

Ainsi le nom des différentes opérations de l'agriculture se prend pour le temps de ces opé rations, c'est le conséquent pour l'antécédent ; la moisson se prend pour le temps de la moisson, la vendange pour le temps de la vendange; il est mort pendant la moisson, c'est-à-dire, dans le temps de la moisson. La moisson se fait ordinairement dans le mois d'août; ainsi, par mélonymie ou métalepse, on appelle la moisson l'août, qu'on prononce l'out; alors le temps dans lequel une chose se fait se prend pour la chose même, et toujours à cause de la liaison que les idées accessoires ont entre elles.

On rapporte aussi à cette figure ces façons de parler des poëtes, par lesquelles ils prennent l'antécédent pour le conséquent, lorsqu'au lieu d'une description ils nous mettent devant les yeux le fait que la description suppose.

« O Ménalque! si nous vous perdions, dit « Virgile (1), qui émaillerait la terre de fleurs?

(1) Quis caneret nymphas ? quis humum florentibus herbis Spargeret, aut viridi fontes induceret umbra? VIRG. Ecl. IV. v. 19.

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