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Notre verbe auxiliaire avoir, que nous avons pris des Italiens, vient dans son origine du verbe habere, avoir, posséder. César a dit qu'il envoya au devant toute la cavalerie qu'il avait assemblée de toute la province, quem coactum habebat. Il dit encore dans le même sens avoir les fermes tenues à bon marché, c'est-àdire, avoir pris les fermes à bon marché, les tenir à bas prix. Dans la suite on s'est écar→ té de cette signification propre d'avoir, et on a joint ce verbe, par métaphore et par abus, à un supin, à un participe ou adjectif; ce sont des termes abstraits dont on parle comme de choses réelles : amavi, j'ai aimé, habeo amatum; aimé est alors un supin un nom qui marque le sentiment que le verbe signifie; je possède le sentiment d'aimer, comme un autre possède sa montre. On est si fort accoutumé à ces façons de parler, qu'on ne fait plus attention à l'ancienne signification propre d'avoir; on lui en donne une autre qui ne signifie avoir que par figure, et qui marque en deux mots le même sens que les Latins exprimaient en un seul mot. Nos grammairiens qui ont toujours rapporté notre grammaire à la grammaire latine, disent qu'alors avoir est un verbe auxiliaire, parce qu'il aide le supin ou le participe du verbe à marquer le même temps que le verbe latin signifie en un seul mot.

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Etre, avoir, faire, sont les idées les plus simples, les plus communes et les plus intéressantes pour l'homme : or les hommes parlent toujours de tout par comparaison à eux-mêmes; de là vient que ces mots ont été le plus détournés à des usages différents : Étre assis, être aimé, avoir de l'argent, avoir peur, avoir honte, avoir quelque chose faite, et en moins de mots avoir fait.

etc.

De plus, les hommes réalisent leurs abstrac tions; ils en parlent par imitation, comme ils parlent des objets réels: ainsi ils se sont servis du mot avoir, en parlant de choses inanimées et de choses abstraites. On dit cette ville a deux lieues de tour; cet ouvrage a des défauts; les passions ont leur usage; il a de l'esprit; il a de la vertu ; et ensuite, par imitation et par abus, il a aimé, il a lu, etc.

Remarquez en passant que le verbe a est alors au présent, et que la signification du prétérit n'est que dans le supin ou participe.

On a fait aussi du mot il un terme abstrait, qui représente une idée générale, l'être en général il y a des hommes qui disent, illud quod est, ibi habet homines qui dicunt; dans la bonne latinité, on prend un autre tour, comme nous l'avons remarqué ailleurs.

Notre il, dans ces façons de parler, répond au res des Latins: Propiùs metum res fuerat, la chose avait été proche de la crainte, c'est-àdire, il y avait eu sujet de craindre. Res ità se habet, il est ainsi. Res tua agitur, il s'agit de vos intérêts, etc.

Ce n'est pas seulement la propriété d'avoir qu'on a attribuée à des êtres inanimés et à des idées abstraites; on leur a aussi attribué celle de vouloir on dit cela veut dire, au lieu de cela signifie; un tel verbe veut un tel cas; ce bois ne veut pas brûler; cette clef ne veut pas tourner, etc. Ces façons de parler figurées sout si ordinaires, qu'on ne s'apperçoit pas même de la figure,

La signification des mots ne leur a pas été donnée dans une assemblée générale de chaque peuple, dont le résultat ait été signifié à chaque particulier qui est venu dans le monde; cela

s'est fait insensiblemant et par l'éducation : les enfants ont lié la signification des mots aux idées que l'usage leur a fait connaître que ces mots signifiaient.

1o A mesure qu'on nous a donné du pain, et qu'on nous a prononcé le mot pain d'un côté, le pain a gravé par les yeux son image dans notre cerveau, et a excité l'idée; d'un autre côté, le son du mot pain a fait aussi son impression par les oreilles; de sorte que ces deux idées accessoires, c'est-à-dire, excitées en nous en même temps, ne sauraient se réveiller séparément, sans que l'une excite l'autre.

2o Mais, parce que la connaissance des autres mots qui signifient des abstractions ou des opérations de l'esprit, ne nous a pas été donnée d'une manière aussi sensible; que d'ailleurs la vie des hommes est courte, et qu'ils sont plus occupés de leurs besoins et de leur bien-être, que de cultiver leur esprit, et de perfectionner leur langage: comme il ya tant de variété et d'inconstance dans leur situation, dans leur état, dans leur imagination, dans les différentes relations qu'ils ont les uns avec les autres; que, par la difficulté que les hommes trouvent à prendre les idées précises de ceux qui parlent, ils retranchent ou ajoutent presque toujours à ce qu'on leur dit; que d'ailleurs la mémoire n'est ni assez fidelle, ni assez scrupuleuse pour retenir et rendre exactement les mêmes mots

et les mêmes sens, et que les organes de la parole n'ont pas dans tous les hommes une conformation assez uniforme pour exprimer les sons précisément de la même manière; enfin, comme les langues ne sont point assez fécondes pour fournir à chaque idée un mot précis qui y réponde: de tout cela il est ar;

rivé que les enfants se sont insensiblement écartés de la manière de parler de leurs pères, comme ils se sont écartés de leur manière de vivre et de s'habiller ; ils ont lié au même mot des idées différentes et éloignées; ils ont donné à ce même mot des significations empruntées, et y ont attaché un tour différent d'imagination : ainsi les mots n'ont pû garder long-temps une simplicité qui les restreignît à un seul usage; c'est ce qui a causé plusieurs irrégularités appa rentes dans la grammaire et dans le régime des mots; on n'en peut rendre raison que par la connaissance de leur première origine, et de l'écart, pour ainsi dire, qu'un mot a fait de sa première signification et de son premier usage. Ainsi cette figure mérite une attention particnlière; elle règne en quelque sorte sur toutes les autres figures.

Avant que de finir cet article, je crois qu'il n'est pas inutile d'observer que la catachrèse n'est pas toujours de la même espèce.

1o Il y a la catachrèse qui se fait lorsqu'on donne à un mot une signification éloignée, qui n'est qu'une suite de la signification primitive; c'est ainsi que succurrere signifie aider, secourir; petere, attaquer; animadvertere, punir: ce qui peut souvent être rapporté à la métalepse, dont nous parlerons dans la suite.

2o La seconde espèce de catachrèse n'est proprement qu'une sorte de métaphore; c'est lorsqu'il y a imitation et comparaison, comme quand on dit ferrer d'argent, feuille de papier

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II. LA MÉTONYMIE,

Le mot métonymie signifie transposition, on changement de nom, un nom pour un autre.

En ce sens, cette figure comprend tous les autres Tropes; car, dans tous les Tropes, ün mot n'étant pas pris dans le sens qui lui est propre, il réveille une idée qui pourrait être exprimée par un autre mot. Nous remarquerons dans la suite ce qui distingue proprement la métonymie des autres Tropes.

Les maîtres de l'art restreignent la métonymie aux usages suivants :

1o LA CAUSE POUR L'EFFET. Par exemple: vivre de son travail, c'est-à-dire, vivre de ce qu'on gagne en travaillant.

Les païens regardaient Cérès comme la déesse qui avait fait sortir le blé de la terre, et qui avait appris aux hommes la manière d'en faire du pain; ils croyaient que Bacchus était le dieu qui avait trouvé l'usage du vin; ainsi ils donnaient au blé le nom de Cérès, et au vin le nom de Bacchus. On en trouve un grand nombre d'exemples dans les poëtes: Virgile a dit, un vieux Bacchus, pour dire du vieux vin. Implentur veteris Bacchi. Madame Des Houlières a fait une ballade dont le refrain est ;

3

L'Amour languit sans Bacchus et Cérès

;

C'est la traduction de ce passage de Térence sine Cerere et Libero friget Venus, c'est-à-dire, qu'on ne songe guère à faire l'amour quand on n'a pas de quoi vivre. Virgile a dit

Tum

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