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le sens ainsi on peut presque toujours les rendre. Madame Dacier l'a fait fort heureusement dans sa traduction de Térence.

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X. Que toute paraphrase est vicieuse. Ce n'est plus traduire c'est commenter. Cependant quand il n'y a pas d'autres moyens pour faire connaître le sens, la nécessité sert d'excuse au traducteur; c'est à l'une des deux langues qu'il faut s'en prendre.

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XI. Enfin il faut entièrement abandonner la manière du texte qu'on traduit, quand le sens l'exige pour la clarté, ou le sentiment pour vivacité, ou l'harmonie pour l'agrément. Cette conséquence devient un second principe, qui est comme le revers du premier.

Les idées peuvent, saus cesser d'être les mêmes, se présenter sous différeutes formes, et se composer ou se décomposer dans les mots dont on se sert pour les exprimer. Elles peuvent se présenter en verbe, en adjectif, en substantif, en adverbe. Le traducteur a ces quatre voies pour se tirer d'embarras. Qu'il prenne la balance, qu'il pèse les expressions de part et d'autre, qu'il les mette en équilibre de toutes manières; on lui pardonnera les mé, tamorphoses, pourvu qu'il conserve à la pensée le même corps et la même vie. Il ne fera que ce que fait le voyageur, qui pour sa commodité donne tantôt une pièce d'or pour plusieurs pièces d'argent, tantôt plusieurs pièces d'argent pour une d'or.

Qu'on dise en latin aspirante fortuna, on n'exigera point du traducteur qu'il mette, la fortune le secondant : on lui permettra de dire, avec ou par le secours de la fortune: il changera le participe en substantif.

S'il a fieri solet, le verbe se changera en

adverbe et rejettera ailleurs ses propriétés de verbe, il arrive ordinairement.

Itineri paratus et prælio prêt à la marche et au combat. Cette traduction n'est point assez française; changeons les substantifs en verbes, prét à marcher et à combattre.

Quelquefois l'adjectif se changera en verbes ad omne fortunæ munus subsistite pavidi, et suspiciosi; « quand la fortune vous présente ses « faveurs, défiez-vous, soyez sur vos gardes ».

Voilà des moyens qui sont très-simples: j'ose assurer qu'ils ne manqueront jamais de produire leur effet, et d'ouvrir au traducteur embarrassé, une issue qu'il cherche quelquefois longtemps et inutilement, quand il n'est guidé que par l'instinct.

Le sens n'exige que la moindre partie des dérangements, et les plus faciles, ceux qu'il y a à faire entre les mots régissants et les régis. Nous en avons assez parlé dans les chapitres précédents. Ces dérangements consistent à mettre dans le français le régime de l'actif après le verbe bellum intulit, il a porté la guerre ; à mettre après le substantif, en français, un adjectif qui s'est trouvé avant lui, en latin : furens bellua, béte furieuse; car furieuse béte n'aurait pas le même sens à mettre après le substantif régissant, le substantif régi qui était avant lui en latin; urbis magnitudo, la grandeur de la ville; parce qu'il est d'usage de suivre toujours cet ordre dans la prose française, laquelle a eu droit d'admettre ou d'exclure à son gré les inversions qui semblent n'être que d'agrément, et du nombre desquelles est celle qui place le substantif régi avant le substantif régissant. Tels sont, à-peu-près, les dérangements qu'exige le sens pour la clarté et la vérité.

La vivacité du sentiment cause beaucoup plus d'embarras au traducteur. Elle a différents degrés tantôt c'est un feu qui brûle et qui éblouit; tantôt c'est une lumière douce qui égaye et ne fatigue point. Elle est entre deux excès, le lâche, et le brusque l'un énerve les pensées, qu'il détrempe trop; l'autre les suffoque, en voulant les serrer. Quand les signes sont clairs, moins il y en a, plus ils sont vifs. Les Français, dit-on, sont plus vifs que les Latins. Quand ils traduisent, ils ne doivent pas l'être plus qu'eux. Heureux encore s'ils peuvent l'être autant qu'eux ! Ceux-ci n'avaient ni particules dans leurs noms, ni auxiliaires dans leurs verbes ; ils étaient lestes pour courir dans la carrière. Les auxiliaires sont pour nous ce que les valets et les bagages sont pour une armée : les Latins les appellaient, pedimenta, des empêchements.

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Pour nous en décharger en partie, nous prenons les infinitifs plutôt que les autres modes les participes, sur tout ceux du présent actif. Nous évitons les passifs, les superlatifs, certaines conjonctions qui alongent. Nous retranchons les prénoms des noms propres latins; nous abrégeons les éloges qui y tiennent ordinairement; nous glissons des phrases courés, etc.

Une grande partie de la vivacité du discours vient de la place qu'on fait occuper aux idées principales. Il y a dans chaque phrase deux places d'honneur : le commencement, qui frappe d'abord l'esprit : les Latins le donnaient à l'objet; et la fin qui achève le sens, et est suivie d'un repos, qui donne le temps de réfléchir les Latins le donnaient au verbe. Le milieu se remplit avec les choses communes,

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qui peuvent se confondre sans risque, et qu'il suffit d'appercevoir en gros. Pour nous accommoder à la constitution de nos noms, qui ne permet pas toujours qu'il soit à la tête, le traducteur peut changer l'actif en passif : Patrem amat filius, le père est aimé de son fils.

La suspension sert beaucoup à la vivacité. Nous pouvons la produire en attachant au nominatif du verbe ce que les Latins attachaient au régime; ou, quand la phrase est d'une certaine étendue, en prenant le passif plutôt que l'actif; parce que, comme nous l'avons dit notre passif admet le même ordre des idées que l'actif latin.

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Tous ces moyens concourent également à l'harmonie, dont la plus grande partie est dans la clarté et la chaleur du discours. Une phrase qui présente avec netteté un beau sens, plaît toujours à l'oreille. Celle-ci n'est mécontente que quand on lui offre des sons vides, ou trop chargés d'idées, ou mal assortis. Car nous ne parlons point de l'harmonie qui est dans la beauté des sons; le traducteur ne peut employer les sons que tels qu'il les a dans sa langue.

Il y a dans toutes les langues des manières de parler qui ne peuvent se traduire, comme celle-ci de La Fontaine :

Sixte en disait autant quand on le fit saint Père.... Un citoyen du Mans, chapon de son métier..

Nous ne prétendons point que nos observations puissent être en pareil cas de la moindre utilité. Il y a aussi certaines choses attachées au goût, aux moeurs des peuples, qui ne peuvent se transporter : par exemple, les Latins étaient beaucoup plus libres que nous dans leur langue. Ils avaient des mots qui étaient-chez eux dn

hon ton et qui chez nous paraissent bas, un bouvier, une vache. Il ne faudrait qu'un de ces mots pour enlaidir un ouvrage de goût. Il semble que quand on traduit ces endroits, il faudrait prendre un tour plus délicat. Dira-ton, « Rufillus sent les parfums, et Gorgolius « le bouc»; pastillos Rufillus olet; Gorgonius hircum? Il le faudra bien : car ce n'est point traduire que de dire, Rufillus est parfumé Gorgonius a besoin de l'être. Mais comment s'y prendre pour traduire la polissonnerie de Priape: Pepedi diffissá nate?

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Quelques règles particulières de traduction pour les différents genres.

A ces principes, communs à tous les genres d'ouvrages qu'on traduit, on peut en ajouter d'autres qui ne conviennent qu'aux espèces particulières ces espèces peuvent se réduire à trois à l'histoire, à l'oraison, à la poésie.

J. Quand on traduit un historien, ce n'est point assez de s'attacher au génie de l'histoire, il faut encore suivre, autant qu'il est possible, le génie de l'auteur; sans quoi, tout a l'humeur gasconne, en un traducteur Gascon. Salluste est serré, concis, toujours élégant, mais d'une élégance qui a quelque chose de mâle et de vigoureux. Tite-Live est serré aussi, il est élégant, il est vigoureux; mais il n'a point la même sorte de précision que Salluste. Ses plirases sont remplies de propositions incidentes qui se lient, s'entrelacent, et forment des périodes plus longues, de plus grandes masses

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