Page images
PDF
EPUB

pareils les mouvements intérieurs de ces facultés, par le motif du besoin, Par conséquent ils doivent tous se porter à faire cette communica tion par la voie la plus courte et la plus sûre: il n'en est point d'autre pour le besoin. Dès que c'est lui qui ordonne et qui parle, il va d'abord au fait : nulle distinction, ni pour les pays ni pour les temps c'est un ressort placé dans toutes les âmes, qui les agite et les secoue toutes de la même manière. Si on suppose qu'il y ait une machine au-dehors qui doive en représenter les mouvements; toutes les fois que les mêmes objets agiront sur le ressort interne, il en résultera, sinon d'aussi vives, au moins autant d'impressions dans cette machine extérieure; et elles y seront constamment arrangées selon l'ordre des secousses du ressort qui est au-dedans. Il n'est pas nécessaire de dire ici que cette machine extérieure est la parole. Tel est le génie des langues, considérées en général. Il est certain que si on considère la parole en général, avant que de la diviser en langue grecque, latine, française, etc. et dans l'idée de sa perfection possible, on se la représentera suivant pas à pas l'esprit et le cœur, rendant à la lettre la pensée avec ses circonstances, la rendant avec son degré de lumière et de feu, avec ses parties, selon leurs configurations, leurs liaisons, leurs rapports, etc. Ce sera un portrait, où notre âme se verra hors d'elle-même toute entière, telle qu'elle est, dans toutes ses positions, ses modifications, ses mouvements.

[ocr errors]
[ocr errors]

Mais si on la divise, et qu'on la considère non comme on peut la concevoir en général mais, comme elle est réellement dans ces espè-. ces existantes, alors on peut envisager chaque espèce par deux côtés par le génie particulier

des peuples, selon les climats qu'ils habitent ; et par la forme et la construction particulière des sons qui constituent ce qu'on appelle une langue, par opposition à une autre langue.

Il semble que, si on considère les langues da côté du génie particulier des peuples, ce sera encore le même ordre des idées, et par conséquent des expressions. Toute la différence qu'on pourra y mettre se tiendra du côté du plus ou du moins de vitesse ou de force. Les peuples qui auront plus de vivacité et de feu, pourront exprimer moins de choses, et en laisser plus à deviner à leurs auditeurs; parce que se contentant des principales idées qu'ils exprimeront fortement, ils négligeront les autres, qui pourraient les arrêter dans leur course, et les empêcher d'arriver sitôt. Ceux qui auront plus de flegme, ou plus de lenteur, prendront tout le temps nécessaire pour laisser sortir tour-à-tour toutes leurs idées, principales et accessoires avec toutes leurs circonstances car jusqu'ic nous supposons que la langue se prête à toutes les pensées, à leurs parties, à leurs manières d'être. Or on ne voit point deux marches différentes. C'est la même, soit dans la langue idéale, soit dans la langue réelle, considérée seulement du côté du génie particulier des peuples. Et il faut bien que ce soit la même, puisqu'il y a de bonnes raisons pour qu'elle le soit, et qu'il n'y en a aucune pour qu'elle ne le soit pas. C'est le seul besoin de celui qui parle, qui règle sa langue et sa construction: et ce maître a par tout et constamment la même méthode, dont le grand et l'unique principe est l'intérêt.

C'est donc ailleurs qu'il faut aller chercher la cause des différents arrangements des mots. On la trouvera dans la seconde manière d'envisager les langues particulières.

[ocr errors]

Les langues particulières qui existent sont toutes très-éloignées de la perfection possible et idéale. Elles ont toutes le même but, qui est de placer avec clarté et justesse ( ces deux qualités comprennent toute la perfection du langage) dans les esprits de ceux qui écoutent, ce qui est dans l'âme de celui qui parle. Mais il y en a qui ont moins de couleurs que les autres, ou qui les ont moins fortes, ou qui les ont moins faciles à broyer, à fondre, pour produire les nuances ce qui doit fonder des diffé

rences entre elles.

et en

Toutes les langues consistent dans les sons. Ces sons étant figurés de telle ou telle manière, appartiennent à une langue ou à une autre par une certaine analogie qui les réunit, forme un corps qui constitue la langue dans son espèce nous venons de le dire. Or ces sons figurés sont multipliés plus ou moins; ce qui fait abondance ou pauvreté : ils ont plus ou moins de force; ce qui fait énergie ou faiblesse : ils ont plus ou moins de flexibilité; ce qui produit la douceur, la clarté, la justesse.

Nous tenons la source des différences de constructions. C'est là ce qui forme le génie particulier des langues par rapport à l'arrangement des mots, et qui les oblige de s'écarter de la nature, plus ou moins, selon qu'elles y sont plus ou moins forcées par la disette, ou par la faiblesse, ou par l'inflexibilité. Et c'est là que nous trouverons la raison de la différence qu'il y a entre la construction française et la latine.

CHAPITRE II.

'Du Génie particulier de la Langue française.

une

J'ENTENDS dire tous les jours, et je lis dans tous les livres, que les Latins avaient beaucoup plus d'avantage que nous. Nous sommes obligés, dit-on, de saivre toujours le même arrangement, nominatif, verbe, régime, c'est marche éternelle qui ne varie jamais. Les Latins, au contraire, maîtres de leur construction, placent leurs mots à leur gré, sans être asservis à aucune règle. C'est tantôt un verbe qui se montre à la tête, tantôt un adjectif, quelquefois un adverve, selon qu'il leur plaît, sans autre loi que celle de l'harmonie.

D'autres ont pris la chose d'une autre manière qui semblerait plus juste, si elle était fondée en raison. Bien loin de plaindre la langue française d'être asservie à une construction monotone, ils la félicitent sur la clarté qu'ils prétendent que lui procure cette construction. «Dans la construction latine (dit le P. du Cer«< ceau, celui de tous qui s'est exprimé avec « plus de sécurité sur cet article), pourvu que « les mots qui doivent entrer dans la composi<«<tion d'une phrase s'y trouvent rassemblés, « peu importe bien souvent dans quel ordre << on les place, et quel rang ils tiennent. Tel « qu'on met à la tête de la période figurerait <«< souvent aussi-bien, si on le renvoyait à la « queue; de sorte qu'en mettant confusément << tous les termes d'une phrase dans un chapeau, « et les tirant au hasard l'un après l'autre, comme les billets de la loterie, la construc

tion s'en trouverait toujours, à peu de chose « près, assez régulière. Notre langue n'admet << point une pareille licence, et a sa route plus « resserrée et plus gênée. C'est ce que quel«ques gens lui reprochent comme une imper«<fection. J'en conviendrai sans peine dès qu'on « m'aura fait voir que de parler dans le même <«< ordre qu'on pense, c'est un défaut.... Pour «moi j'ai cru jusqu'ici que celui-là parlait le <«< mieux qui se rendait le plus intelligible, et « qu'on se le rendait d'autant plus qu'on lais« sait moins à faire à la conception de ceux à « qui on adresse la parole. Le dérangement des «< mots, et la disposition presque arbitraire que << permet sur ce point la construction latine « à quelque chose de fatiguant pour l'intelli<< gence de celui qui écoute. Il faut qu'il épelle, « pour ainsi dire, chaque mot, et qu'il mette << en ordre dans son esprit ce que nous présen<< tons en désordre dans le discours.. Au lieu « que notre langue épargne cette fatigue à l'au<«< diteur, en lui présentant les idées dans l'or«dre naturel qu'elles doivent avoir.... C'est «un avantage que notre langue a sur la latinė,

...

et sur celles qui lui ressemblent.... Je ne « prétends point par là déprimer la langue « latine que j'ai étudiée toute ma vie.... Mais « il faut qu'elle cède à la nôtre pour la régu«<larité et la netteté de la construction. » On sait d'avance ce qu'on doit penser de cette doctrine.

Je demande premièrement à ceux qui parlent de la sorte, si nous sommes bien, nous Français, placés comme il faudrait l'être pour juger des inversions latines et des nôtres. L'habitude est une seconde nature: il y a long-temps qu'on J'a dit; et cela n'est jamais plus vrai qu'en ma

« PreviousContinue »