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l'Auteur les réduit toutes à l'instinct de l'oreille, et qu'il ne considère les mots que comme le bois, les pierres et les autres matériaux qui entrent dans la bâtisse d'une maison matériaux qu'il faut tailler, alonger racourcir pour la construction de l'édifice. Il semble même que c'est cette comparaison qui l'a ébloui, et qui l'a empêché de voir que les mots sont non-seulement le corps et le matériel du discours, comme les pierres le sont d'une maison; mais qu'ils contiennent aussi les idées et les passions dont ils sont les signes; que le plan de l'architecte y est renfermé, aussibien que le matériel de la main d'œuvre. Or les passions ne peuvent certainement être indifférentes à l'arrangement des mots qui les représentent. Si Denys d'Halicarnasse n'a pas tiré cette conséquence, il a du moins établi le principe d'où elle sort. Il dit formellement dans la section xv, « Que nous n'employons point la

même construction dans la colère et dans « la joie : quand nous sommes abattus par la «< douleur, ou saisis par la crainte ; qu'autre << est la construction dans le sang froid, autre « dans la passion. Il ajoute, qu'on doit étudier « les gestes de ceux qui parlent ou qui racon« tent avec intérêt; et qu'on doit imiter dans << l'arrangement des mots l'ordre et l'arrange<<ment des gestes » Ainsi parle Denys d'Halicarnasse. Et ce qui est singulier, expliquant dans le même instant les vers d'Homère, il se contente de nous y faire remarquer les beautés harmoniques et musicales qui peignent l'effort de Sysyphe; c'est-à-dire, celles qui étaient le moins de son sujet, et il ne dit pas un mot de l'effet infiniment plus pittoresque de la construction ou de l'arrangement que la passion doit

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donner et qu'elle donne effectivement aux idées. Il savait pourtant que les mots peuvent être considérés comme sons ou comme signes. Comme sons, il n'est pas douteux qu'ils ne soient susceptibles d'un arrangement musical dont l'oreille seule peut être juge. Mais comme' signes, soit de nos idées, soit de nos sentiments, pouvait-il douter qu'ils ne le fussent d'un arrangement oratoire qui rende l'idée plus ou moins frappante, et le sentiment plus ou moins vif? Il aurait donc fallu chercher la raison de cet arrangement, tantôt dans la marche des idées, tantôt dans celle des passions, et tantôt dans la sensibilité de l'oreille, et ne pas se borner à une de ces causes exclusivement aux autres; cela paraît évident. J'ose dire que si Denys d'Halicarnasse eût suivi ce systême et recouru successivement à l'une de ces trois causes, il y eût trouvé toutes les règles, dont il sentait l'existence et la nécessité, et expliqué parfaitement tous les exemples qui leur ont résisté. J'invite le lecteur à l'essayer, et à y faire l'application du principe que nous proposons. Il nous a semblé que ce peu de mots suffisait ici, après tout ce qui a été dit ci-devant sur cette matière.

SECONDE

SECTION.

De l'Arrangement naturel des mots par rapport à l'oreille.

L'OREILLE a trois points à juger dans l'élocution oratoire : 1.° Les sons qu'on lui présente comme une suite, ou un courant d'impression qu'elle reçoit. 2.o Les interruptions qu'on met ans cette suite, comme des points de repos,

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dont elle peut avoir besoin aussi bien que l'organe de celui qui parle. 3.o L'accord de ces sons et de ces repos avec l'idée exprimée, et le sujet traité trois choses que nous désignons par trois mots, qui sont, la Mélodie, le Nombre, et l'Harmonie oratoire.

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Du choix et de la suite des sons, mélodie oratoire.

ou de la

LES anciens Rhéteurs sont entrés sur cette matière dans les plus petits détails. Ils ont été jusqu'à compter les lettres, les syllabes, mesurer les sons, et calculer le temps qu'ils mettaient à les prononcer. Il fallait bien qu'ils eussent leurs raisons pour en user ainsi, et qu'ils s'imaginassent que ces attentions, portées si loin, pouvaient contribuer à rendre leur éloquence plus parfaite.

Nous, an contraire, nous regardons ces soins comme des petitesses indignes du génie. Persuadés en général, que le style, pour être bon doit couler de source, nous croyons que si on le gêne trop par les règles, il perd la plus grande partie de ses grâces; comme si ce n'était pas ces règles mêmes, quand une fois on a pris l'habitude de les observer, qui contribuent le plus à donner à l'élocution cette aisance, cette liberté que nous y demandons. Ce sont elles qui nous apprennent à concilier les sons, à les joindre entre eux d'une manière intime; qui nous montrent les moyens de soutenir l'attention de l'auditeur, de le soulager, de le séduire; en un mot ce sont elles qui ouvrent l'âme. à la persuasion, et qui font une grande par

tie de la différence qu'il y a entre les bons et les médiocres écrivains.

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Je sais bien que nos plus célèbres orateurs et nos grands poëtes n'ont point connu cette prosodie artificielle, que les Grecs et les Latins avaient dans leurs langues. Mais ce serait, je crois mal raisonner, que de conclure de là qu'ils n'en ont nullement observé les lois. Si Balzac, ni Corneille, ni Pelisson, ni Malherbe, ni Fléchier, ni Bourdaloue n'ont pas eu de maître pour le nombre et pour l'harmonie, comme les derniers écrivains grecs ou latins ils en ont eu au moins, comme Hérodote et Thucydide, comme tous ceux des Anciens qui ont écrit avant que cette partie de l'art oratoire fût rédigée.

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La nature agit dans les hommes excellents. Quand on leur refuse le secours de la doctrine et de l'art, elle les met en état de s'en passer, et les porte elle-même dans une sphère, où sans avoir connu les règles, ils en deviennent les modèles. C'est aux observateurs à les tirer de leurs ouvrages, et à les présenter aux autres pour leur servir de lumière ou d'appui.

Il serait à souhaiter que plusieurs de nos savants qui ont étudié si profondément ce qui regarde la mélodie et le rhythme des langues anciennes, eussent employé une partie de leurs lumières et de leurs moments à faire ces mêmes observations sur la nôtre, et qu'ils l'eussent fait sans préjugés. Ils nous auraient montré combien il y a de choses dans cette matière, qui nous sont communes avec les Anciens. Car dès que la nature a donné aux Grecs, aux Latins et aux Français les mêmes organes de sensibilité et de plaisir, s'il y a dans la langue des Grecs et des Latins quelque agrément fon

dé dans la nature, cet agrément doit se retrouver dans la nôtre, sinon au même dégré, às cause du génie particulier de la langue, et du caractère national de ceux qui la parlent au moins de la même espèce, puisque nous sommes des hommes aussi-bien qu'eux : cela peut-être regardé comme un principe.

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Ainsi quelque peu déliés qu'il plaise à certains auteurs de supposer nos organes en comparaison de ceux des Grecs et des Latins, ils ne peuvent disconvenir au moins que nos oreilles ne soient sensibles jusqu'à un certain point; or ce sera ce point qui sera pour nous la mesure et la règle de l'harmonie par rapport à notre langue.

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Nous comptons vingt-quatre lettres dans notre alphabet, a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, 1, m, n, o, p, q, r., s, t, u, x, y, qui peuvent se réduire à vingt-trois, parce que h revient au C devant a, o, u ou au q: et qu'aujourd'hui on se sert rarement du k.

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De ces vingt-quatre lettres, les unes expriment un son simple, les autres un son composé ou figuré.

Les premières s'appellent voyelles, ce qu'elles expriment n'est qu'une son, elles sont au nombre de cinq a,

parce que voix, un

e i, o, u.

Les autres se nomment consonnes

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, parce

qu'elles n'ont de son que par le secours de quelqu'unes des voyelles, dont elles figurent en même-temps le son. Ainsi b figure le son de la voyelle e, et reçoit de cette voyelle le son qu'il ab prononcé sans voyelles n'est qu'un mouvement des lèvres, ce n'est pas un son.

Outre ces cinq voyelles, que quelques gram

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