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point taillées pour joindre. De là les transitions artificielles, les tours gauches, employés pour couvrir un vide, pour enduire une cicatrice, et tromper ceux qui jugent de la solidité de l'édifice par le plâtre dont il est revêtu.

si

On ne verra point de ces tours d'adresse, j'ose m'exprimer ainsi, dans les ouvrages de nos célèbres écrivains. Le sujet s'y développe de lui-même, et s'explique franchement. Tout se suit: et quand ils ont dit sur un chef tout. ce qu'il y avait à dire, ils passent à un autre simplement, et avec un air de bonne-foi, beaucoup plus touchant que ces subtilités, qui marquent la petitesse de l'esprit, ou la trop grande oisiveté de l'auteur.

Nous avons dit que la naïveté comprenait, la chaleur, l'énergie, la vivacité, comme des branches de sous-divisions. Dès-que les pensées sont rendues en peu de mots, et dans l'ordre qu'il convient, elles ont ce feu, cette lumière victorieuse qui éclaire et embrase en mêmetemps; elles ont cette force que les rhéteurs comparent au javelot lancé dans un sens direct, cette rapidité qui emporte celui qui écoute; en un mot, elles sont ces expressions et ces tours uniques qui font la perfection de l'éloquence. Si les mots surabondent, ou qu'ils soient arrangés autrement que les idées, il y a ce qu'on appelle le froid, le lâche, le languissant.

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Où l'on examine la pensée de Denys d'Halicarnasse, sur le principe concernant l'arrangement naturel des mots.

DENYS D'HALICARNASSE qui a écrit un excellent Traité de l'Arrangement des mots, a dû faire des recherches sur les principes qui peuvent servir de règle en cette partie. Il nous dit « qu'il en a fait; qu'il a feuilleté tous les « Auteurs anciens, et en particulier les Stoï«< ciens, qui ont beaucoup écrit sur la nature « et les règles du langage: mais il avoue qu'il « n'a rien trouvé nulle part sur l'arrangement « des mots, relativement à la perfection de « l'éloquence. J'ai ensuite, dit-il, réfléchi en << moi-même, et j'ai cherché si la nature ne <«<<nous aurait pas donné quelque principe sur «< cet objet car en tout genre, c'est la nature, « qui sert de base, et qui fournit les vrais prin«cipes, lorsqu'il y en a. Je saisis d'abord quel«ques vues, qui m'avaient paru assez heureu«ses; mais bientôt il fallut les abandonner << parce qu'elles ne menaient point au but. Je « vais en rendre compte au lecteur, pour lai « faire voir que ce n'est point sans raison que « j'y ai renoncé ».

Je me contente d'observer ici que Denys d'Halicarnasse avait senti qu'il devait y avoir dans la nature une raison pour placer les mots d'une façon plutôt que d'une antre. Il était sur la voie. Il ne se fait rien de considérable et constamment reconnu bon dans les arts, qui n'ait sa raison dans la nature. C'est un principe

qu'on ne peut contester. Mais sa prévention en faveur des rapports métaphysiques et des décisions de l'oreille, et la flexibilité naturelle de la seule langue qu'il connaissait, l'empêcha de reconnaître ce qu'il avait trouvé. Je continue de traduire :

>> Il m'avait done paru que la nature était un « guide qu'il fallait suivre en fait de construc«tion oratoire et d'abord, que les noms « devaient précéder les verbes; parce que le « nom exprimant la chose, et le verbe ce qui « se fait de la chose, il est dans l'ordre de « la nature, que l'idée de la chose soit avant « l'idée de la modification de la chose; ainsi « Homere a dit :

« Virum mihi cane, Musa, versutum.

Iram cane Dea.

Sol exiliit undam linquens.

«Dans ces trois exemples, les noms sont avant «<les verbes, mais ce principe n'est pas juste, « parce qu'il ne s'étend pas à tout, et qu'on trouve dans les poëtes une infinité d'exem«ples du contraire.

« Audi me, Ægiochi Jovis filia, Pallas " « Dicite jam, Musœ.

« Fei les verbes sont avant les noms, et la cons« truction n'en est pas moins agréable.

» J'avais cru que les verbes devaient précs« der les adverbes, parce que l'ordre de la « nature semble demander que ce qui agit ou «reç sit l'action, passe avant la manière d'agir ◄ ou de recevoir l'action, laquelle manière s'ex« prime par les adverbes. Il y en a des exem«ples

Fecit magna vi.

« Cecidit retrò.

« Dans ces exemples, l'adverbe est après le « verbe. Mais il y a dans le même poëte des « exemples d'un arrangement tout différent :

« Racematim volitant.

« Hodiè virum ad lucem partuum Dea Lucina educet. « Je croyais encore qu'il fallait suivre dans « l'exposition l'ordre du temps où chaque par<< tie d'une action s'est faite :

« Retrò flexerunt cervicem, et fugularunt, et exco« riarunt.

Stridit arcus, nervus magnùm insonuit, exiliit « sagitta.

«Très-bien, dira-t-on. Mais il y a beaucoup de « vers où l'on suit un ordre tout différent, sans << que la diction en ait moins de grâce :

« Percussit manibus sublatis stipite querno. « Il faut lever le bras avant que de frapper : << ici on frappe avant que d'avoir levé le bras: « Percussit propè astans.

« Il fallait être à portée avant que de frapper. « Je voulais encore que les substantifs fussent « avant les adjectifs, les noms appellatifs avant « les substantifs et les pronoms, les temps « présents avant les autres temps, les modes «< indicatifs avant les modes indéterminés; mais « toutes ces règles se sont trouvées contredites << par la pratique : c'est pourquoi j'y ai renon« cé : et si j'en parle aujourd'hui, c'est moins « pour me faire un mérite de mes recherches « que pour mettre en garde ceux qui pour«raient se laisser séduire par quelque appa«rence de vérité, ou par l'autorité de quel

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« ques-uns de ceux qui ont écrit sur cette << matière ».

Je dois dire en passant qu'il est singulier qu'un esprit aussi judicieux que Denys d'Halicarnasse, ait pris dans un cas tel que celuici, ses exemples dans des poëtes, à qui la contrainte du vers peut quelquefois prescrire d'autres arrangements des mots que celui de la nature. Il convient qu'on avait écrit sur cette matière, sinon avant lui, du moins de son temps, qu'on avait même trouvé quelque lucur de vraisemblance dans des principes (1) qui avaient semblé fondés sur la nature, qu'il y avait quelques exemples, et même des autorités capables de séduire ceux qui n'auraient pas été sur leurs gardes. Mais achevons.

« Je reviens donc à mon objet : et je dis que «les Anciens, poëtes, historiens, philosophes, «orateurs, ont donné la plus grande attention « à cette partie de l'élocution. Ils ne plaçaient « point au hasard ni les mots, ni les membres, « ni les périodes. Ils avaient un certain art « des règles dont je vais tâcher de donner au << moins les plus nécessaires ».

Je ne traduirai point la section VI. où sont renfermées ces prétendues règles qui ne sont rien moins que suffisantes pour rendre raison de la position des mots, et de celle des périodes et de leurs membres. Ce sera assez de dire que

(1) Ces principes étaient apparemment ceux-là même que Denys d'Halicarnasse a essayé de vérifier par Jes textes d'Homère. Mais ce ne sont pas ceux que nous avons tâché d'établir. Nous rappelons tout à l'intérêt de celui qui parle, à son point de vue. Ceux qui sont réfutés par le Rhéteur, allaient chercher leur prétendue règle dans l'ordre métaphysique des idées.

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