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qui est de trois longues, dont la dernière est maigre et mince, n'aurait point frappé vivement comme audacia, dont le dactyle et l'a final font un éclat de voix; il a été décidé par le sentiment et par l'oreille, qu'effrænata marquerait par sa position la place de l'idée dont il exprime la plus forte partie, et qu'audacia changeraitde place avec le mot suivant pour produire une finale aussi vive qu'harmonieuse. Nous dirons ci-après les modifications que la loi de l'har monie ajoute à notre principe. Continuons:

Nihil ne te nocturnum præsidium palatii, nihil urbis vigiliae, nihil timor populi Romani nihil concursus bonorum omnium, nihil.... mo¬ verunt? Rien n'est capable de vous toucher: c'est le nihil qui marque l'obstination invincible de Catilina: l'énumération des choses qui devront le toucher y est toute renfermée, aucune chose..

Patere consilia tua non sentis. Patere n'est-il point ici le mot qui joue le premier rôle, et qui doit frapper le plus Catilina? Tout est découvert.

Constrictam jam omnium horum conscientia conjurationem tuam non vides? Constrictam présente l'idée de l'enchaînement; omnium horum conscientiâ n'est qu'une sorte d'adverbe qui exprime la manière. Quid proximâ, quid superiore nocte feceris, ubi fueris quos convocaris, etc. voilà les circonstances; on les présente toutes avant le verbe, parce qu'il s'agit d'elles plus encore que du verbe qui suit: Quem nostrúm ignorare arbitraris?

O tempora, ó mores! Il n'y a point ici deux arrangements, puisqu'un mot n'est qu'un mot.

Senatus hoc intelligit, Consul videt, hic tan men vivit ! Il suffit de traduire pour faire sentir le e-principe: « C'est le Sénat qui en est ins

«truit, c'est le Consul qui le voit, et un ter homme vit encore ! » Vivit! que dis-je, il vit! Imo verò, il fait bien plus, etiam, si Senatum ve→ nit, il paraît au Sénat. Qu'y fait-il? Fit publici consilii particeps: notat et designat oculis ad cædem unumquemque nostrúm. Il s'agit d'action,. on le voit par l'arrangement des mots..

Nos autem viri fortes: c'est un autre arran gement, c'est un reproche à faire à ceux qui sont à la tête de l'Etat : Et nous nous qui ai→ mons notre patrie, nous croyons faire assez pour elle, etc.

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Il est, je crois, inutile de pousser plus loin ce détail. Cette vérification peut se faire dans Cicéron, dans Tite-Live, Salluste, Térence, Plaute, Virgile, Horace, etc. presque d'un bout à un autre elle sera sensible, surtout dans les endroits animés...

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On a objecté quelques passages où l'applica tion ne semble pas si heureuse: Tu istis fauci bus, istis lateribus, istá gladiatoriâ corporis firmitate, tantum vini in Hippiæ nuptiis exhauseras ut tibi necesse esset in populi Romani conse pectu vomere postridie. Cic. Mais cet exemple rentre dans la règle. L'objet sur lequel appuie l'orateur, est la force du tempérament d'Antoine pour faire juger par-là de l'excès de sa débauche.

En voici un autre tiré des Verrines. Stetit soleatus Prætor populi Romani, cum pallio pur pureo, tunic que talari, muliercula nixus in Littore. Il est certain, dit-on, que la principale idée est mulierculâ nixus in littore.

Mais je demande quel est ici le premier objet qui frappe: c'est un homme debout en pautoufle, stetit soleatus. Qui est cet homme, c'est un Préteur Romain: voilà ce qui intéresse d'abord;

car si cet homme n'était qu'un citoyen ordinaire, on n'y ferait point d'attention. C'est le contraste de la décence de l'état avec la conduite indécente de l'homme, qui touche. D'ailleurs, dans les tableaux et dans les gradations il y a un ordre prescrit : il faut voir l'objet principal avec les accessoires, le fait avec les circonstances, l'homme avant ce qui l'accompagne et qui n'est que pour lui, or ici la construction latine est fidelle à ces lois.

On peut joindre à ces preuves celle qui se tire des figures oratoires. Comme ces figures ne consistent que dans un certain arraugement des mots dans la période, ou des idées dans la pensée, elles ne peuvent avoir pour principe commun que l'importance des objets; ce qui ne peut se prouver que par les détails. La Répétition présente en tête le mot important: l'Adjonction supprime les verbes inutiles pour faire sortir les noms qui intéressent. La Disjonction supprime les liaisons qui embarrassent; la Gradation n'existe que dans l'échelle des idées ; Ellipse laisse tomber tout ce qui n'intéresse point et ne saisit que les chefs d'idées. Il en est de même des figures de pensées de la Subjection qui interroge et qui répond; de l'Exclamation, qui s'échappe en éclatant; de l'Imprécation qui s'écrie, puissent tous tes voisins ensemble conjurés; de la Suspension qui présente une foule d'idées importantes, sans dire quel usage on en doit faire de l'Apostrophe qui applique F'auditeur à l'objet. Il n'en est pas une qui puisse être fondée sur un autre principe que l'importance des objets. Ainsi tout conclut à établir le principe général, de frapper d'abord l'esprit de l'objet dont on veut qu'il s'occupe. C'est à cet objet que sont dues le premières

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attentions, qui sont les plus vives, qui ont le plus d'action et d'effet.

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Que l'arrangement naturel des mots ne peut céder qu'à l'harmonie.

Nous ne parlons ici que des dérangements libres, causés, non par la roideur ou la foiblesse de la langue qu'on emploie, mais par le goût seul et par l'idée de celui qui parle et nous disons, que l'ordre naturel que nous venons d'indiquer, n'est jamais dérangé que pour plaire à l'oreille.

Cela est évident: car si l'arrangement des mots ne peut être réglé dans une langue riche et flexible que par l'esprit ou par l'oreille, dès que l'arrangement prescrit par l'esprit cesse d'avoir lieu, ce ne peut être que parce que l'oreille en exige un autre. Nous ajoutons seulement ici que comme l'oreille, en fait de langage, est nécessairement subordonnée à l'esprit, si elle fait quelque usurpation sur lui, ce ne doit être que dans les parties les moins importantes, et que quand le sens même y gagne, ou du moins qu'il n'y perd pas.

Nous prendrions ici pour exemple un passage qu'on a cité contre nous, s'il n'était point d'un poëte. Un poëte a quelquefois une raison de plus que l'orateur pour déranger l'ordre naturel des mots : c'est la contrainte du vers. Mais malgré cette contrainte, le principe que nous avons établi se trouve même dans l'exemple objecté, le voici

Aret ager, vitio moriens sitit aeris herba. Quel est l'objet important dans la première phrase, aret ager? N'est-ce pas aret? cela paraît évident. Passons à la seconde. On demande pourquoi l'herbe sèche, on répond, vitio aeris moritur herba : ou si l'on veut, vitio aeris moriens herba sitit. L'objet principal est évidemment indiqué par la demande, pourquoi ? la réponse est, vitio aeris. Le poëte a dérangé cette construction pour faire son vers; mais cependant il a marqué la place des idées dérangées, par les mots qui en contiennent la portion la plus importante. Aeris serait à côté de vitio, sans la contrainte du vers. Herba de même à côté de moriens. Mais ne pouvant y être à cause de l'harmonie et du technique du vers, ils ne se sont placés à la fin qu'après avoir laissé à leur place, vitio, et moriens, qui rappellent à eux l'un aeris et l'autre herba pour completter l'idée dont ils n'offrent que la partie la plus intéressante (1). Mais prenons nos exemples dans un orateur.

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(1) Il en est de même de ces deux vers qu'on m'a opposés dans le Journal des Savants du mois d'Avril 1764.

Qui legilis flores et humi nascentia fraga

Frigus, ó pueri, fugite hinc, latet anguis in herba.

On a dit que anguis était le mot essentiel du second vers et non frigidus: je crois qu'on s'est trompé : frigidus ici signifie mortel, letifer. On peut voir le Trésor de Rob. Et. Edit. de Gessner. Ainsi, c'est le mot frigidus qui renferme toute l'idée du danger. La mort, fuyez, cachée sous l'herbe. Il est singulier que le cri tique ait pris tous les exemples qu'il m'oppose dans les poëtes, chez lesquels il peut prouver pour, et jamais contre le principe dont il s'agit.

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