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bien des découvertes à faire, et dans lequel on ferait quelques progrès, si l'on ne prenait pas pour lumière ce qui n'est qu'une séduction délicate de l'imagination, et si l'on pouvait se rappeler sans prévention la manière dont nous avons acquis nos idées et nos connaissances dans les premières années de notre vie; mais cela n'est pas maintenant de mon sujet.

Réflexions sur les abstractions, par rapport à la manière d'enseigner.

Comme c'est aux maîtres que j'adresse cet ouvrage, je crois pouvoir ajouter ici quelques réflexions par rapport à la manière d'enseigner. Le grand art de la didactique, c'est de savoir profiter des connaissances qui sont déja dans l'esprit de ceux qu'on veut instruire, pour les mener à celles qu'ils n'ont point; c'est ce qu'on appelle aller du connu à l'inconnu. Tout le monde convient du principe; mais dans la pratique on s'en écarte, ou faute d'attention, ou parce qu'on suppose dans les jeunes gens des connaissances qu'ils n'ont point encore acquises. Un métaphysicien qui a médité sur l'infini, sur l'être en général, etc. persuadé que ce sont là autant d'idées innées, parce qu'elles sont faciles à acquérir, et qu'elles lui sont familières, ne doute point que ces connaissances ne soient aussi familières au jeune homme qu'il instruit, qu'elles le sont à lui-même; sur ce fondement, il parle toujours ; on ne l'entend point, il s'en étonne; il élève la voix, il s'épuise, et on l'entend encore moins. Que ne se rappelle-t-il les premières années de son enfance? avait-il à cet âge des connaissances auxquelles il n'a pensé que dans la suite, par le secours des réflexions, et après que son cerveau

a en acquis un certain degré de consistance? En un mot, connaissait-il alors ce qu'il ne connaissait pas encore, et ce qui lui a paru nouveau dans la suite,quelque facilité qu'il ait eue à le concevoir?

Nous avons besoin d'impressions particulières, et pour ainsi dire préliminaires, pour nous élever ensuite, par le secours de l'expérience et des réflexions, jusqu'à la sublimité des idées abstraites: parmi celles-ci, les unes sont plus faciles à acquérir que les autres; l'usage de la vie nous mène à quelques-unes presque sans réflexion ; et quand nous venons ensuite à nous appercevoir que nous les avons acquises, nous les regardons comme nées avec nous.

Ainsi, il me paraît qu'après qu'on a acquis un grand nombre de connaissances particulières dans quelque art ou dans quelque science que ce soit, on ne saurait rien faire de plus utile pour soi-même, que de se former des principes d'après ces connaissances particulières, et de mettre, par cette voie, de la netteté, de l'ordre et de l'arrangement dans ses pensées.

Mais, quand il s'agit d'instruire les autres. il faut imiter la nature; elle ne commence point par les principes et par les idées abstraites; ce serait commencer par l'inconnu : elle ne nous donne point l'idée d'animal avant que de nous montrer des oiseaux, des chiens, des chevaux, etc. Il faut des principes: oui, sans doute; mais il en faut en temps et lieu. Si par principes vous entendez des règles, des maximes, des notions générales, des idées abstraites qui renferment des connaissances particulières, alors je dis qu'il ne faut point commencer par de tels principes.

Que si par principes vous entendez des notions communes, des pratiques faciles, des opérations aisées qui ne supposent dans votre élève

d'autre pouvoir ni d'autres connaissances que vous savez bien qu'il a déja, alors je conviens qu'il faut des principes, et ces principes ne sont autre chose que les idées particulières qu'il faut lui donner avant que de passer aux règles et aux idées abstraites.

Les règles n'apprennent qu'à ceux qui savent déja, parce que les règles ne sont que des observations sur l'usage: ainsi commencez par faire les exemples des figures avant que d'en donner la définition.

Il n'y a rien de si naturel que la logique et les principes sur lesquels elle est fondée; cependant les jeunes logiciens se trouvent comme dans un monde nouveau dans les premiers temps qu'ils étudient la logique, lorsqu'ils ont des maîtres qui commencent par leur donner en abrégé le plan général de toute la philosophie; qui parlent de science, de perception, d'idée, de jugement, de fin, de cause, de catégorie, d'universaux, de degrés métaphysiques, etc. comme si c'étaient là autant d'être réels, et non de pures abstractions de l'esprit. Je suis persuadé que c'est se conduire avec beaucoup plus de méthode, de commencer par mettre, pour ainsi dire, devant les yeux quelques-unes des pensées particulières qui ont donné lieu de former chacune de ces idées abstraites.

J'espère trailer quelque jour cet article plus en détail, et faire voir que la méthode analytique est la vraie méthode d'enseigner; et que celle qu'on appelle synthétique ou de doctrine, qui commence par les principes, n'est bonne que pour mettre de l'ordre dans ce qu'on sait déja, on dans quelques autres occasions qui ne sont pas maintenant de mon sujet.

XII, DERNIÈRE OBSERVATION.

S'il y a des mots synonymes.

Nous avons vu qu'un même mot peut avoir, par figure, d'autres significations que celle qu'il a dans le sens propre et primitif: voiles peut signifier vaisseaux. Ne suit-il pas de là qu'il y a des mots synonymes, et que voiles est synonyme à vaisseaux?

M. l'abbé Girard a déja examiné cette question, dans le discours préliminaire qu'il a mis à la tête de son Traité de la justesse de la langue française. Je ne ferai guère ici qu'un extrait de ses raisons, et je prendrai même la liberté de me servir souvent de ses termes, me contentant de tirer mes exemples de la langue latine. Le lecteur trouvera dans le livre de M. l'abbé Girard de quoi se satisfaire pleinement sur ce qui regarde le français.

« On entend communément par synonymes « les mots qui, ne différant que par l'articula«tion de la voix, sont semblables par l'idée qu'ils expriment. Mais y a-t-il de ces sortes « de mots? il faut distinguer:

« Si vous prenez le terme de synonymes dans « un sens étendu pour une simple ressemblance « de siguification, il y a des termes synonymes, « c'est-à-dire, qu'il y a des mots qui expriment « une même idée principale: ferre, bajulare, « portare, tollere, sustinere, gerere, gestare, « seront en ce sens autant de synonymes. ››

Mais si, par synonymes, vous entendez des mots qui ont « une ressemblance de signification si entière et si parfaite, que le sens, pris dans

' toute sa force et dans toutes ses circonstances, « soit toujours absolument le même, en sorte « qu'un des synonymes ne signifie ni plus ni « moins que l'autre ; qu'on puisse les employer « indifféremment dans toutes les occasions, et << qu'il n'y ait pas plus de choix à faire entre « eux pour la signification et pour l'énergie, « qu'entre les gouttes d'eau d'une même source << pour le goût et pour la qualité ; dans ce second «<< sens, il n'y a point de mots synonymes en << aucune langue. Ainsi ferre, bajulare, portare, tollere, sustinere, gerere, gestare, auront chacun leur destination particulière: en effet,

Ferre, signifie porter; c'est l'idée principale. Bajulare, c'est porter sur les épaules ou sur le cou.

Portare, se dit proprement lorsqu'on fait porter quelque chose sur des bêtes de somme, sur des charrettes ou par des crocheteurs. Portari dicimus ea quæ quis jumento secum ducit. Voyez le titre XVI du cinquantième livre du Digeste, de verborum significatione.

Tollere, c'est lever en haut ; d'où vient le substantif tolleno, onis; c'est une machine à tirer de l'eau d'un puits.

Sustinere, c'est soutenir, porter pour empêcher de tomber.

Gerere, c'est porter sur soi: Galeam gerere in capite.

Gestare vient de gerere, c'est faire parade de ce qu'on porte.

Malgré ces différences, il arrive souvent que, dans la pratique, on emploie ces mots l'un pour l'autre, par figure, en conservant toujours l'idée principale, et en ayant égard à l'usage de la langue; mais ce qui fait voir qu'à parler exactement ces mots ne sont pas synonymes, c'est qu'il n'est

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