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SUITE DU SENS ADAPTÉ.

De la Parodie et des Centons.

LA Parodie est aussi une sorte de sens adapté. Ce mot est grec; car les Grecs ont fait des pa

rodies.

Parodie (1) signifie à la lettre un chant composé à l'imitation d'un autre, et par extension, on donne le nom de parodie à un ouvrage en vers, dans lequel on détourne, dans un sens railleur, des vers qu'un autre a faits dans une vue différente. On a la liberté d'ajouter ou de retrancher ce qui est nécessaire au dessein qu'on se propose; mais on doit conserver autant de mots qu'il est nécessaire pour rappeler le souvenir de l'original, dont on emprunte les paroles. L'idée de cet original et l'application qu'on en fait à un sujet d'un ordre moins sérieux, forment dans l'imagination un contraste qui la surprend, et c'est en cela que consiste la plaisanterie de la parodie. Corneille a dit, dans le style grave, parlant du père de Chimène :

Ses rides sur son front ont gravé ses exploits.

Racine a parodié ce vers dans les plaideurs : l'Intimé, parlant de son père qui était scrgent, dit plaisamment :

(1) Parodia, canticum. R. para, juxtà, et ode, cantus, carnen. Canticum vel carmen ad alterius similitudinem compositum, cùm alterius poëtæ versus jocosè in aliud argumentum transferuntur.

Est etiam parodia, Hermogeni, cùm quis, ubi partem aliquam, versus protulit, reliquum à se, id est, de suo, oratione solutâ eloquitur. Robertson. Th. ling, græc. v. parodeo.

Il gagnait en un jour plus qu'un autre en six mois ; Ses rides sur son front gravaient tous ses exploits., Dans Corneille, exploits signifie actions mémo rables, exploits militaires ; et dans les Plaideurs, exploits se prend pour les actes ou procédures que font les sergents. On dit que le grand Corneille fut offensé de cette plaisanterie du jeune Racine.

Au reste, l'académie a observé que les rides marquent les années, mais ne gravent point les exploits.

Les vers les plus connus sont ceux qui sont le plus exposés à la parodie. On trouve dans les dernières éditions des Œuvres de Boileau, une parodie ingénieuse de quelques scènes du Cid. On peut voir aussi dans les poésies de madame Deshoulières une parodie d'une scène de la même tragédie. Le théâtre italien est riche en parodies. Le poëme du VICE PUNI est rempli d'applications heureuses de vers de nos meilleurs poëtes ces applications sont autant de parodies.

Les centons sont encore une sorte d'ouvrage qui a rapport au sens adapté. Cento en latin signifie, dans le sens propre, une pièce de drap qui doit être cousue à quelque autre pièce, et plus souvent un manteau ou un habit fait de différentes pièces rapportées : ensuite on a donné ce nom, par métaphore, à un ouvrage composé de plusieurs vers ou de plusieurs passages empruntés d'un ou de plusieurs auteurs. On prend ordinairement la moitié d'un vers, et on le lie par le sens avec la moitié d'un autre vers. On peut employer un vers tout entier et la moitié du suivant; mais on désapprouve qu'il y ait deux vers de suite d'un même auteur. Voici

un exemple de cette sorte d'ouvrage, tiré des centons de Proba Falconia. Il s'agit de la défense que Dieu fit à Adam et à Eve de manger du fruit défendu : Proba Falconia fait parler le Seigneur en ces termes, au chapitre XVI.

En. 2. 712. Vos famuli, quæ dicam animis advertite

G.

E.

G.

vestris :

2. 21. Est in conspectu ramis felicibus arbor.
7. 692. Quam neque fas igni cuiquam nec sternere
ferro

7. 603. Relligione sacrâ nunquam concessa moveri,
591. Hac quicunque sacros decerpserit arbore
fœtus,

11.

11.

849. Morte luet meritâ, nec me sententia vertit; 2. 315. Nec tibi tam prudens quisquam persuadeat auctor

8. 48. Commaculare manus. Liceat te voce moneri 3. 216. Femina nullius te blanda suasio vincat, 1. 168. Si te digna manet divini gloria ruris.

Nous avons aussi les centons d'Etienne de Pleurre et de quelques autres. L'empereur Valentinien, au rapport d'Ausone, s'était aussi amusé à cette sorte de jeu; mais il vaut mieux s'occuper à bien penser, et à bien exprimer ce qu'on pense, qu'à perdre le temps à un travail où l'esprit est toujours dans les entraves, où la pensée est subordonnée aux mots, au lieu que ce sont les mots qu'il faut toujours subordonner aux pensées.

Ce n'était pas assez pour quelques écrivains que la contrainte des centons: nous avons des ouvrages où l'auteur s'est interdit successivement par chapitres, et selon l'ordre de l'alphabet, l'usage d'une lettre, c'est-à-dire, que dans le premier chapitre il n'y a point d'a, et dans le second point de b, ainsi de suite. Un autre a

fait

fait un poëme dont tous les mots commencent par un p.

Plaudite, porcelli; porcorum pigra propago
Progreditur, plures porci pinguedine pleni
Pugnantes pergunt. Pecudum pars prodigiosa
Perturbat pede petrosas plerumquè plateas;
Pars portentosæ populorum prata profanat.

Dans le neuvième siècle, Hubaud, religieux bénédictin de Saint-Amand, dédia à l'empereur Charles-le-Chauve un poëme composé à l'honneur des chauves, dont tous les mots commencent par la lettre c.

Carmina, clarisonæ, calvis cantate, Camenæ.

Un autre s'est mis dans une contrainte encore plus grande: il a fait un poëme de 2959 vers de six pieds, dont le dernier seul est un spondée, les cinq autres sont autant de dactyles. Le second pied rime avec le quatrième, et le dernier mot d'un vers rime avec le dernier mot du vers qui le suit, à la manière de nos vers français à rimes suivies en voici le commen

cement :

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Hora novissima, tempora pessima sunt, vigilemus; Eccè minaciter, imminet arbiter ille supremus. Imminet; imminet ut mala terminet, æqua coronet; Recta remuneret, anxia liberet, æthera donet; Auferat aspera, duraque pondera mentis onustæ, Sobria muniat, improba puniat; utraque justè. Ille piissimus, ille gravissimus ecrè venit Rex. Surgat homo reus, instat homo Deus, à patre judex: Les poëmes dont je viens de parler sont aujourd'hui au même rang que les acrostiches et les anagrammes (1). Le goût de toutes ces sortes

(1)L'Acrostiche est une sorte d'ouvrage en vers, dont

d'ouvrages, heureusement est passé. Il y a eu un temps où les ouvrages d'esprit tiraient leur principal mérite de la peine qu'il y avait à les produire; et souvent la montagne était récompensée de n'enfanter qu'une souris, pourvu qu'elle eût été long-temps en travail. Aujourd'hui le temps et la difficulté ne font rien à l'affaire, on aime ce qui est vrai, ce qui instruit, ee qui éclaire, ce qui intéresse, ce qui a un objet raisonnable; et l'on ne regarde plus les mots que comme des signes auxquels on ne s'arrête que pour aller droit à ce qu'ils signifient. La vie est si courte, et il y a tant à apprendre à tout âge, que, si l'on a le bonheur de surmonter la paresse et l'indolence naturelle de l'esprit, on ne doit pas le mettre à la torture sur des riens, ni l'appliquer en pure perte.

chaque vers commence par chacune des lettres qui forment un certain mot. A la tête de chaque comédie de Plaute, il y a un argument fait en acrostiche: c'est le nom de la pièce qui est le mot de l'acrostiche. Par exemple, Amphitruo, le premier vers de l'argument commence par un A, le second par une M; ainsi de suite. Ces arguments sont anciens; et madame Dacier, dans ses remarques sur celui de l'Amphitrion, fait entendre que Plaute en est l'auteur.

Cicéron nous apprend qu'Ennius avait fait des acros➡ tiches; acrostichis dicitur, cùm deinceps ex primis versuum litteris aliquid connectitur, ut in quibusdam Ennianis. Cic. de Divinatione. Lib. II. n 3. aliter 54.

A l'égard de l'anagramme, ce mot est encore grec il est composé de la préposition ana, qui, dans la composition des mots, répond souvent à retrò, rè, et de gramma, lettre. L'anagramme se fait lorsqu'en déplaçant les lettres d'un mot, on en forme un autre mot qui a une signification différente. Par exemple, de Loraine on a fait Alérion.

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