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Tu sais charmer,

Tu sais désarmer

Le Dieu de la guerre;

Le Dieu du tonnerre

Se laisse enflammer,

Le dieu du tonnerre paraît d'abord être le terme de l'action de charmer et de désarmer, aussi bien que le dieu de la guerre ; cependant, quand on continue à lire, on voit aisément que le dieu du tonnerre est le nominatif ou sujet de se laisse enflammer.

Toute construction ambiguë, qui peut signifier deux choses en même temps, ou avoir deux rapports différents, est appelée équivoque ou louche. Louche est une sorte d'équivoque, souvent facile à démêler, Louche est ici un terme métaphorique; car comme les personnes louches paraissent regarder d'un côté pendant qu'elles regardent d'un autre, de même, dans les constructions louches, les mots semblent avoir un certain apport, pendant qu'ils en ont un autre ; mais quand on ne voit pas aisément quel rapport on doit leur donner, on dit alors qu'une proposition est équivoque, plutôt que de dire simplement qu'elle est louche.

Les pronoms de la troisième personne font souvent des sens équivoques ou louches, surtout quand ils ne se rapportent pas au sujet de la proposition. Je pourrais en rapporter un grand nombre d'exemples de nos meilleurs auteurs ; je me contenterai de celui-ci.

« François 1er érigea Vendôme en duché« pairie en faveur de Charles de Bourbon, et « il le mena avec lui à la conquête du duché « de Milan, où il se comporta vaillamment. « Quand ce prince eut été pris à Pavie, il ne

« voulut point accepter la régence qu'on lui « proposait: il fut déclaré chef du conseil; il << continua de travailler pour la liberté du roi ; et quand il fut délivré, il continua à le bien <<< servir. >>

Il n'y a que ceux qui sont déja au fait de l'histoire qui puissent démêler les divers rapports de ce prince, et de tous ces il. Je crois qu'il vaut mieux répéter le mot, que de se servir d'un pronom dont le rapport n'est aperçu que par ceux qui savent déja ce qu'ils lisent. On évitait facilement ces sens louches en latin, par les usages différents de suus, ejus, hic, ille, is,

iste.

Quelquefois, pour abréger, on se contente de faire une proposition de deux membres, dont l'un est négatif, et l'autre affirmatif, et on les joint par une conjonction : cette sorte de construction n'est pas régulière, et fait souvent des équivoques. Par exemple:

L'amour n'est qu'un plaisir, et l'honneur un devoir. L'académie a remarqué que Corneille devait dire: L'amour n'est qu'un plaisir, l'honneur est un devoir.

En effet, ces mots n'est que, du premier membre, marquent une négation; ainsi ils ne peuvent pas se construire encore avec un devoir, qui est dans un sens affirmatif au second membre; autrement il semblerait que Corneille, contre son intention, eût voulu mépriser également l'amour et l'honneur.

On ne saurait apporter trop d'attention pour éviter tous ces défauts: on ne doit écrire que pour se faire entendre; la netteté et la précision sont la fin et le fondement de l'art de parler et d'écrire.

VII. Des Jeux de Mots et de la Paronomase.

IL

y a deux sortes de jeux de mots :

1o Il y a des jeux de mots qui ne consistent que dans un équivoque ou dans une allusion, et j'en ai donné des exemples. Les bons mots qui n'ont d'autre sel que celui qu'ils tirent d'un équivoque ou d'une allusion fade et puérile ne sont pas du goût des gens sensés, parce que ces mots-là n'ont rien de vrai ni de solide.

2o Il y a des mots dont la signification est différente, et dont le son est presque le même: ce rapport qui se trouve entre le son de deux mots fait une espèce de jeu, dont les rhéteurs ont fait une figure qu'ils appellent paronomase. Par exemple, amantes sunt amentes, les amants sont des insensés; le jeu qui est dans le latin, ne se retrouve pas dans le français.

Aux funérailles de Marguerite d'Autriche, qui mourut en couche, on fit une devise dont le corps était une aurore qui apporte le jour au monde, avec ces paroles: Dùm pario, pereo, je péris en donnant le jour.

Pour marquer l'humilité d'un homme de bien qui se cache en faisant de bonnes œuvres, on peint un ver à soie qui s'enferme dans sa coque; l'âme de cette devise est un jeu de mots : operitur dùm operatur. Dans ces exemples et dans plusieurs autres pareils, le sens subsiste indépendamment des mots.

J'observerai à cette occasion denx autres figures qui ont du rapport à celle dont nous venons de parler: l'une s'appelle similiter cadens; c'est quand les différents membres ou incises d'une période finissent des cas ou des temps par dout la terminaison est semblable: l'autre s'ap

pelle similiter desinens; c'est lorsque les mots qui finissent les différents membres ou incises d'une période ont la même terminaison, mais une terminaison qui n'est point une désinence de cas, de temps ou de personne, comme quand on dit facere fortiter et vivere turpiter. Ces deux dernières figures sont proprement la même ; on en trouve un grand nombre d'exemples dans S. Augustin. On doit éviter les jeux de mots qui sont vides de sens; mais quand le sens subsiste indépendamment du jeu de mots, ils ne perdent rien de leur mérite.

VIII. Sens composé, sens divisé.

QUAND l'évangile dit, les aveugles voient, les boiteux marchent, ces termes les aveugles, les boiteux, sé prennent en cette occasion dans le sens divisé, c'est-à-dire, que ce mot aveugles se dit là de ceux qui étaient aveugles, et qui ne le sont plus ils sont divisés, pour ainsi dire, de leur aveuglement; car les aveugles en tant qu'aveugles, ce qui serait le sens composé, ne voient pas.

L'évangile parle d'un certain Simon, appelé le Lépreux, parce qu'il l'avait été ; c'est le sens divisé.

Ainsi, quand S. Paul a dit que les idolâtres n'entreront pas dans le royaume des cieux, il a parlé des idolâtres dans le sens composé, c'està-dire, de ceux qui demeureront dans l'idolàtrie. Les idolâtres, en tant qu'idolâtres, n'entreront pas dans le royaume des cieux : c'est le sens composé; mais les idolâtres qui auront quitté l'idolâtrie, et qui auront fait pénitence, entreront dans le royaume des cieux : c'est le sens divisé. II 3

Apelles ayant exposé, selon sa coutume, un tableau à la critique du public, un cordonnier censura la chaussure d'une figure de ce tableau: Apelles réforma ce que le cordonnier avait blâmé; mais le lendemain, le cordonnier ayant trouvé à redire à une jambe, Apelles lui dit qu'un cordonnier ne devait juger que de la chaussure; d'où est venu le proverbe ne sutor ultra crepidam, supple, judicet.

La récusation qu'Apelles fit de ce cordonnier était plus piquante que raisonnable: un cordonnier, en tant que cordonnier, ne doit juger que ce qui est de son métier; mais si ce cordonnier a d'autres lumières, il ne doit point être récusé, par cela seul qu'il est cordonnier en tant que cordonnier, ce qui est le sens composé, il juge si un soulier est bien fait et bien peint; et en tant qu'il a des connaissances supérieures à son métier, il est juge compétent sur d'autres points; il juge alors dans le sens divisé, par rapport à son métier de cordonnier.

Ovide, parlant du sacrifice d'Iphigénie, dit que l'intérêt public triompha de la tendresse paternelle; le roi vainquit le père.

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Postquàm pietatem publica causa Rexque patrem vicit.

Ces dernières paroles sont dans un sens divisé. Agamemnon, se regardant comme roi, étouffe les sentiments qu'il ressent comme père.

Dans le sens composé, un mot conserve sa signification à tous égards, et cette signification entre dans la composition du sens de toute la phrase; au lieu que, dans le sens divisé, ce n'est qu'en un certain sens, et avec restriction, qu'un mot conserve son ancienne signification les aveugles voient, c'est-à-dire, ceux qui ont été aveugles.

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