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Les fleuves changés, c'est-à-dire, contre leur usage, contre leur nature, arrêtèrent le cours de leurs eaux, retinuerunt suos cursus.

Simon, dans l'Andrienne, rappelle à Sosie les bienfaits dont il l'a comblé: « Me remettre ainsi «vos bienfaits devant les yeux, lui dit Sosie, « c'est me reprocher que je les ai oubliés. » Isthæc commemoratio, quasi exprobratio est immemoris beneficii. Les interprètes, d'accord entre eux pour le fond de la pensée, ne le sont pas pour le sens d'immemoris: se doit - il prendre dans un sens actif, ou dans un sens passif? Madame Dacier dit que ce mot peut être expliqué des deux manières: exprobratio mei immemoris, et alors immemoris est actif; ou bien, exprobratio beneficii immemoris, le reproche d'un bienfait oublié; et alors immemoris est passif. Selon cette explication, quand immemor veut dire celui qui oublie, il est pris dans un sens actif; au lieu que quand il signifie ce qui est oublié, il est dans un sens passif, du moins par rapport à notre manière de traduire.

Mais ne pourrait-on pas ajouter qu'en latin immemor veut dire souvent, qui n'est pas demeuré dans la mémoire? Tacite a dit, immemor beneficium, un bienfait qui n'est pas demeuré dans la mémoire, ou, selon notre manière de parler, un bienfait oublié. Horace a dit memor nota, une marque qui dure long-temps, qui fait ressouvenir. Virgile a dit dans le même sens memor ira, une colère qui demeure long-temps dans le cœur ; ainsi immemoris serait dans un sens neutre en latin,

Que fait Monsieur? Il joue: jouer est pris dans un sens neutre; mais quand on dit, il joue gros jeu ; il joue est pris dans un sens actif, et gros jeu est le régime de il joue.

Danser est un verbe neutre; mais lorsqu'où dit, danser une courante, danser un menuet ; danser est alors un verbe actif.

Les Latins ont fait le même usage de saltare, qui répond à danser. Salluste a dit de Sempronia, qu'elle savait mieux chanter et danser qu'une honnête femme ne doit le savoir, psallere et saltare elegantiùs quàm necesse est probæ : ( supple) docta erat psallere et saltare; saltare est pris alors dans un sens neutre ; mais lorsqu'Horace a dit saltare Cyclopa, danser le Cyclope, saltare est pris alors dans un sens actif. « Les Grecs et « les Latins, dit M. Dacier, ont dit danser le « Cyclope, danser Glaucus, danser Ganymède, « Léda, Europe, etc. » c'est-à-dire, représenter en dansant les aventures du Cyclope, de Glau

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Le même poëte a dit, Fusius ebrius Ilionam edormit; le comédien Fusius, en représentant Ilione endormie, s'endort lui-même comme un homme ivre qui cuve son vin. Térence a dit, edormiscam hoc villi, je cuverai mon vin : et Plaute, edormiscam hanc crapulam; et dans l'Amphitrion il a dit, edormiscat unum somnum, comme nous disons dormir un somme. Vous voyez que, dans ces exemples, edormire et edor miscere se prennent dans un sens actif.

Cette remarque sert à expliquer ces façons de parler itur, favetur, etc. ces verbes neutres se prennent alors en latin dans un sens passif, et marquent que l'action qu'ils signifient est faite; iter itur, l'action d'aller se fait. Voyez ce que nous en avons dit dans la syntaxe : l'action que le verbe signifie sert alors de nominatif au verbe

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même, selon la remarque des anciens grammairiens (1).

IV. Sens absolu, sens relatif.

UN mot est pris dans un sens absolu, lorsqu'il exprime une chose considérée en elle-même, sans aucun rapport à une autre. Absolu vient d'absolutus, qui veut dire achevé, accompli, qui ne demande rien davantage. Par exemple, quand je dis que le soleil est lumineux, cette expression est dans un sens absolu; celui à qui je parle n'attend rien de plus par rapport au sens de cette phrase.

Mais si je disais que le soleil est plus grand que la terre, alors je considérerais le soleil par rapport à la terre, ce serait un sens relatif ou respectif. Le sens relatif ou respectif est done lorsqu'on parle d'une chose par rapport à quelque autre c'est pour cela que ce sens s'appelle aussi respectif, du latin respicere, regarder; parce que la chose dont on parle en regarde pour ainsi dire une autre; elle en rappelle

(1) Ut curritur à me, pro curro; vel statur à te; pro stas; sedetur ab illo, pro sedet ille, in eis potest ipsa res intelligi voce passivâ; ut curritur cursus bellatur bellum. PRISCIANUS, Lıb. XVII. cap. de pronominum constructione.

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Et Vossius s'exprime en ces termes : verba accusativum habent suæ originis vel cognatæ significationis: prioris generis apud Terentium est ludere ludum. Eun. Act. III. Sc. V.v. 39 Apud Maronem furere furorem. Æn. Lib. XII. v. 680. Donatus Archaismum vocat, mallem Atticismum dixisset.... quia sic locutos constat, non eos modò qui desita et obsoleta amant, sed optimos quosque optimi ævi scriptores, etc. Vossius de constructione, pag. 409.

l'idée, elle y a du rapport, elle s'y rapporte ; de là vient relatif, de referre, rapporter. Il y a des mots relatifs, tels que père, fils, époux, etc.; nous en avons parlé ailleurs.

V. Sens collectif, sens distributif.

COLLECTIF vient du latin colligere, qui veut dire recueillir, assembler. Distributif vient de distribuere, qui veut dire distribuer, partager.

La femme aime à parler : cela est vrai en parlant des femmes en général; ainsi le mot femme est pris là dans un sens collectif; mais la proposition est fausse dans le sens distributif, c'est-à-dire, que cela n'est point vrai de chaque femme en particulier.

L'homme est sujet à la mort; cela est vrai dans le sens collectif et dans le sens distributif.

Au lieu de dire le sens collectif et le sens distributif, on dit aussi le sens général et le séns particulier.

Il y a des mots qui sont collectifs, c'est-à'dire, dont l'idée représente un tout en tant que composé de parties actuellement séparées, et qui forment autant d'unités ou d'individus particuliers: tels sont armée, république, régiment.

VI. Sens équivoque, sens louche.

Il y a des mots et des propositions équivoques. Un mot est équivoque, lorsqu'il signifie des choses différentes: comme choeur, assemblée de plusieurs personnes qui chantent; cœur, partie intérieure des animaux: autel, table sur quoi l'on fait des sacrifices aux dieux; hôtel

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grande

SENS EQUIVOQUE, SENS LOUCHE.

169 grande maison. Ces mots sont équivoques, du moins dans la prononciation. Lion, nom d'un animal; Lion, nom d'une constellation, d'un signe céleste; Lyon, nom d'une ville. Coing, sorte de fruit; coin, angle, endroit; coin, instrument avec quoi l'on marque les monnaies et les médailles; coin, instrument qui sert à fendre du bois; coin est encore un terme de manège, etc.

:

De quelle langue voulez-vous vous servir avee moi? dit le docteur Pancrace, parlant à Sganarelle de la langue que j'ai dans ma bouche, répond Sganarelle; où vous voyez que par langue, l'un entend langage, idiome ; et l'autre entend, comme il le dit, la langue que nous avons dans la bouche.

Dans la suite d'un raisonnement, on doit tou jours prendre un mot dans le même sens qu'on l'a pris d'abord, autrement on ne raisonnerait pas juste, parce que ce serait ne dire qu'une même chose de deux choses différentes car quoique les termes équivoques se ressemblent, quant au son, ils signifient pourtant des idées différentes; ce qui est vrai de l'une n'est donc pas toujours vrai de l'autre.

Une proposition est équivoque, quand le sujet ou l'attribut présente deux sens à l'esprit; ou quand il y a quelque terme qui peut se rapporter ou à ce qui précède, ou à ce qui suit: c'est co qu'il faut éviter avec soin, afin de s'accoutumer à des idées précises.

Il y a des mots qui ont une construction louche; c'est lorsqu'un mot paraît d'abord se rapporter à ce qui précède, et que cependant il se rapporte à ce qui suit. Par exemple, dans cette chanson si connue d'un de nos meilleurs opéras,

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t

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