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tion empruntée, on peut dire que l'expression qui est fondée sur ce rapport appartient à un Trope particulier.

C'est le rapport de ressemblance qui est le fondement de la catachrèse et de la métaphore: on dit au propre une feuille d'arbre, et, par catachrèse, une feuille de papier, parce qu'une feuille de papier est à peu près aussi mince qu'une feuille d'arbre. La catachrèse est la première espèce de métaphore. On a recours à la catachrèse par nécessité, quand on ne trouve point de mot propre pour exprimer ce qu'on veut dire. Les autres espèces de métaphores se font par d'autres mouvements de l'imagination qui ont toujours la ressemblance pour fondement. L'ironie, au contraire, est fondée sur un rapport d'opposition, de contrariété, de différence, et, pour ainsi dire, sur le contraste qu'il y a, ou que nous imaginons entre un objet et un autre; c'est ainsi que Boileau a dit, Quinault est un Virgile.

:

La métonymie et la synecdoque, aussi-bien que les figures qui ne sont que des espèces de l'une ou de l'autre, sont fondées, sur quelque autre sorte de rapport, qui n'est ni un rapport de ressemblance, ni un rapport du contraire. Tel est, par exemple, le rapport de la cause à l'effet ainsi, dans la métonymie et dans la synecdoque, les objets ne sont considérés ni comme semblables, ni comme contraires; on les regarde seulement comme ayant entre eux quelque relation, quelque liaison, quelque sorte d'union; mais il y a cette différence, que, dans la métonymie, l'union n'empêche pas qu'une chose ne subsiste indépendamment d'une autre; au lieu que, dans la synecdoque, les objets dont l'un est dit pour l'autre ont une liaison plus dé

pendante, comme nous l'avons déja remarqué, l'un est compris sous le nom de l'autre, ils forment un ensemble, un tout. Par exemple, quand je dis de quelqu'un qu'il a lu Cicéron, Horace, Virgile, au lieu de dire, les ouvrages de Cicéron, etc., je prends la cause pour l'effet; c'est le rapport qu'il y a entre un auteur et son livre, qui est le fondement de cette façon de parler, voilà une relation; mais le livre subsiste sans son auteur, et ne forme pas un tout avec lui: au lieu que, lorsque je dis cent voiles pour cent vaisseaux, je prends la partie pour le tout, les voiles sont nécessaires à un vaisseau. Il en est de même quand je dis qu'on a payé tant par tête, la tête est une partie essentielle à l'homme, Enfin, dans la synecdoque, il y a plus d'union et de dépendance entre les objets dont le nom de l'un se met pour le nom de l'autre, qu'il n'y en a dans la métonymie.

L'allusion se sert de toutes les sortes de relations ; peu lui importe que les termes conviennent ou ne conviennent pas entre eux, pourvu que, par la liaison qu'il y a entre les idées accessoires, ils réveillent celle qu'on a eu dessein de réveiller. Les circonstances qui accompagnent le sens littéral des mots dont on se sert dans l'allusion, nous font connaître que ce sens littéral n'est pas celui qu'on a eu dessein d'exciter dans notre esprit, et nous dévoilent facilement le sens figuré qu'on a voulu nous faire entendre.

L'euphémisme est une espèce d'allusion, avec cette différence, qu'on cherche à éviter les mots qui pourraient exciter quelque idée triste, dure, ou contraire à la bienséance.

Enfin chaque espèce de Trope a son caractère propre qui le distingue d'un autre, comme il a

été facile de le remarquer par les observations qui ont été faites sur chaque Trope en particulier. Les personnes qui trouveront ces observations ou trop abstraites, ou peu utiles dans la pratique, pourront se contenter de bien sentir, par les exemples, la différence qu'il y a d'un Trope à un autre. Les exemples les mèneront insensiblement aux observations.

XXII. 1o Des Tropes dont on n'a point parlé. 2° Variété dans la dénomination des Tropes.

1o COMME les figures ne sont que des manières de parler qui ont un caractère particulier auquel on a donné un nom; que d'ailleurs chaque sorte de figure peut être variće en plusieurs manières différentes, il est évident que, si l'on vient à observer chacune de ces manières, et à leur donner des noms particuliers, on en fera autant de figures. De là les noms de mimesis, apophasis, cataphasis, asteismus, mycterismus, charientismus, diasyrmus, sarcasmus, et autres pareils qu'on ne trouve guère que dans les ouvrages de ceux qui les ont imaginés.

Les expressions figurées qui ont donné lieu à ces sortes de noms peuvent aisément être réduites sous quelqu'une des classes de Tropes dont j'ai déja parlé. Le sarcasme, par exemple, n'est autre chose qu'une ironie faite avec aigreur et avec emportement (1). On trouve l'iakfini partout; mais, quand une fois on est parvenu au point de division où ce qu'on divise

(1) Est autem sarcasmus hostilis irrisio... cum quis morsis labris subsannat alium... irrisioque fiat diductis labris, ostensâque dentium carne. Vossius, Inst. Orat. Lib. IV. cap. XIII. De Sarcasmo.

n'est plus palpable, c'est perdre son temps et sa peine que de s'amuser à diviser.

2o Les auteurs donnent quelquefois des noms différents à la même espèce d'expression figurée; je veux dire, que l'on appelle hypallage ce qu'un autre nomme métonymie : les noms de ces sortes de figures étant arbitraires, et quelquesuns ayant beaucoup de rapport à d'antres, selon leur étymologie, il n'est pas étonnant qu'on les ait souvent confondus. Aristote donne le nom de métaphore à la plupart des Tropes qui ont aujourd'hui des noms particuliers. Aristoteles ista omnia translationes vocat. Cicéron remarque aussi que les rhéteurs nomment hypallage la même figure que les grammairiens appellent métonymie (1). Aujourd'hui que ces dénominations sont plus déterminées, on doit se conformer sur ce point à l'usage ordinaire des grammairiens et des rhéteurs. Un de nos poëtes a dit :

Leurs cris remplissent l'air de leurs tendres souhaits. Selon la construction ordinaire, on dirait plutôt que ce sont les souhaits qui font pousser des cris qui retentissent dans les airs. L'auteur du dictionnaire néologique donne à cette expression le nom de métathèse; les façons de parler semblables qu'on trouve dans les anciens sont appelées des hypallages : le mot de métathèse n'est guère d'usage que lorsqu'il s'agit d'une transposition de lettres (2).

(1) Hanc hypallagen rethores, quia quasi summutantur verba pro verbis ; metonymiam grammatici vocant, quòd nomina transferuntur. Cic. Orat. n. 93. alit.27.

(2) Metathesis, mutatio, seù transpositio litteræ, ut Evandre pro Evander; Tymbre pro Tymber. Isidor. Liv. I. cap. XXXIV.

Metathesis (apud rethores), est figura quæ mittit

M. Gibert nous fournit encore un bel exemple de cette variété dans les dénominations des figures; il appelle métaphore (1) ce que Quintilien (2) et les autres nomment antonomase. « Il « y a, dit M. Gibert, quatre espèces de méta«phores la première emprunte le nom du << genre pour le donner à l'espèce, comme quand

animos judicum in res præteritas aut futuras, hoc modo: Revocate mentes ad spectaculum expugnatæ miseræ civitatis, etc. in futurum autem est anticipatio eorum quæ dicturus est adversarius. Idem. Lib. II. cap. XXI.

(1) M. Gibert a suivi, en ce point, la division d'Aristote; il ne s'est écarté de ce philosophe que dans les exemples. Voici les paroles d'Aristote dans sa Poétique, ch. XXI, et selon M. Dacier, ch. XXII. Je me servirai de la traduction de M. Dacier.

« La métaphore, dit Aristote, est un transport d'un nom qu'on tire de sa signification ordinaire Il y a « quatre sortes de métaphores: celle du genre a l'es«pèce; celle de l'espèce au genre; celle de l'espèce à « l'espèce, et celle qui est fondée sur l'analogie. J'ap<< pelle métaphore du genre à l'espèce, comme ce vers « d'Homère: Mon vaisseau s'est arrêté loin de la ville « dans le port. Car le mot s'arrêter est un terme géné · «rique, et il l'a appliqué à l'espèce pour dire être dans le port. »

Voici la remarque que M. Dacier fait ensuite sur ces paroles d'Aristote : « Quelques anciens, dit-il, ont «condamné Aristote de ce qu'il a mis sous le nom de métaphore les deux premières, qui ne sont proprement que des synecdoques; mais Aristote parle en général, et il écrivait dans un temps où l'on n'avait pas encore raffiné sur les figures, pour les distinguer, « et pour leur donner à chacune le nom qui en aurait << mieux expliqué la nature. »

(2) Antonomasia, quæ aliquid pro nomine ponit, poëtis frequentissima.... Oratoribus etiam si rarus ejus rei, non nullus tamen usus est: nam ut Tydiden et Peliden non dixerint, ita dixerunt eversorem Carthaginis et Numantiæ pro Scipione; et romanæ eloquentiæ principem pro Cicerone posuisse non dubitent. Quint, Institution Orat. Lib. VIII. cap. VI.

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