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Ce fut par un apologue que Ménénius Agrippa rappela autrefois la populace romaine, qui mécontente du sénat, s'était retirée sur une montagne. Ce que ni l'autorité des lois, ni la dignité des magistrats romains n'avaient pu faire, se fit par les charmes de l'apologue.

Souvent les anciens ont expliqué, par une histoire fabuleuse, les effets naturels dont ils ignoraient les causes; et dans la suite, on a donné des sens allégoriques à ces histoires.

Ce n'est plus la vapeur qui produit le tonnerre;
C'est Jupiter armé pour effrayer la terre ;
Un orage terrible aux yeux des matelots,

C'est Neptune en courroux qui gourmande les flots;
Echo n'est plus un son qui dans l'air retentisse,
C'est une nymphe en pleurs qui se plaint de Narcisse,

Cette manière de philosopher flatte l'imagination; elle amuse le peuple, qui aime le merveilleux; et elle est bien plus facile que les recherches exactes que l'esprit méthodique a introduites dans ces derniers temps. Les amateurs de la simple vérité aiment bien mieux avouer qu'ils ignorent, que de fixer ainsi leur esprit à des illusions.

Les chercheurs de la pierre philosophale s'expriment aussi par allégorie dans leurs livres ; ce qui donne à ces livres un air de mystère et de profondeur que la simplicité de la vérité ne pourrait jamais leur concilier. Ainsi ils couvrent, sous les voiles mystérieux de l'allégorie, les uns leur fourberie, et les autres leur fanatisme, je veux dire leur folle persuasion. En effet, la nature n'a qu'une voie dans ses opérations; voie unique que l'art peut contrefaire, à la vérité, mais qu'il ne peut jamais imiter parfaitement.

Il est aussi impossible de faire de l'or par un moyen différent de celui dont la nature se sert pour former l'or, qu'il est impossible de faire un grain de blé d'une manière différente de celle qu'elle emploie pour produire le blé.

Le terme de matière générale n'est qu'une idée abstraite qui n'exprime rien de réel, c'està-dire, rien qui existe hors de notre imagination. Il n'y a point dans la nature une matière générale dont l'art puisse faire tout ce qu'il veut ; c'est ainsi qu'il n'y a point une blancheur générale d'où l'on puisse former des objets blancs. C'est des divers objets blancs qu'est venue l'idée de blancheur, comme nous l'expliquerons dans la suite; et c'est des divers corps particuliers, dont nous sommes affectés en tant de manières différentes, que s'est formée en nous l'idée abstraite de matière générale. C'est passer de l'ordre idéal à l'ordre physique, que d'imaginer un autre systême.

Les énigmes font aussi une espèce d'allégorie: nous en avons de fort belles en vers. français. L'énigme est un discours qui ne fait point connaître l'objet à quoi il convient, et c'est cet objet qu'on propose à deviner. Ce discours ne doit point renfermer de circonstance qui ne convienne pas au mot de l'énigme.

Observez que l'énigme cache avec soin ce qui peut la dévoiler; mais les autres espèces d'allé gories ne doivent point être des énigmes; elles doivent être exprimées de manière qu'on puisse aisément en faire l'application.

XIII. L'ALLUSION.

Les allusions et les jeux de mots ont encore du rapport avec l'allégorie; l'allégorie présente un sens, et en fait entendre un autre: c'est ce qui arrive aussi dans les allusions, et dans la plupart des jeux de mots, rei alterius ex altera notatio. On fait allusion à l'histoire, à la fable, aux coutumes; et quelquefois même on joue sur les mots.

Ton roi, jeune Biron, te sauve enfin la vie :
Il t'arrache sanglant aux fureurs des soldats,
Dont les coups redoublés achevaient ton trépas:
Tu vis; songe du moins à lui rester fidelle.

Ce dernier vers fait allusion à la malheureuse conspiration du maréchal de Biron; il en rappelle le souvenir.

Voiture était fils d'un marchand de vin: un jour qu'il jouait aux proverbes avec des dames, madame Des Loges lui dit, celui-là ne vaut rien, percez-nous-en d'un autre. On voit que cette dame faisait une maligne allusion aux tonneaux de vin car percer se dit d'un tonneau, et non pas d'un proverbe; ainsi elle ré

veillait malicieusement dans l'esprit de l'assemblée le souvenir humiliant de la naissance de Voiture. C'est en cela que consiste l'allusion; elle réveille les idées accessoires.

A l'égard des allusions qui ne consistent que dans un jeu de mots, il vaut mieux parler et écrire simplement que de s'amuser à des jeux de mots puérils, froids et fades. En voici un

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exemple dans cette épitaphe de Despautère

Grammaticam scivit, multos docuitque per annos;
Declinare tamen non potuit tumulum.

Vous voyez que l'auteur joue sur la double signification de declinare.

Il sut la grammaire, il l'enseigna pendant plusieurs années, et cependant il ne put décliner le mot tumulus. Selon cette traduction, la pensée est fausse; car Despautère savait fort bien décliner tumulus.

Que si l'on ne prend point tumulus matériellement, et qu'on le prenne pour ce qu'il signifie, c'est-à-dire, pour le tombeau, et, par métonymie, pour la mort, alors il faudra traduire que, malgré toute la connaissance que Despautère avait de la grammaire, il ne put éviter la mort ce qui n'a ni sel, ni raison; car on sait bien que la grammaire n'exempte point de la nécessité de mourir.

La traduction est l'écueil de ces sortes de pensées quand une pensée est solide, tout ce qu'elle a de réalité se conserve dans la traduction; mais quand toute sa valeur ne consiste que dans un jeu de mots, ce faux brillant se dissipe par la traduction.

Ce n'est pas toutefois qu'une muse un peu fine
Sur un mot, en passant, ne joue et ne badine:
Et d'un sens détourné n'abuse avec succès;
Mais fuyez sur ce point un ridicule excès.

Dans le placet que M. Robin présenta au roi pour être maintenu dans la possession d'une île qu'il avait dans le Rhône, il s'exprime en ces termes,

Qu'est-ce en effet pour toi, grand monarque des Gaules
Qu'un peu de sable et de gravier ?

Que faire de mon île? il n'y croît que des saules;
Et tu n'aimes que le laurier.

Saules est pris dans le sens propre, et laurier
dans le sens figuré; mais ce jeu présente à l'es-
prit une pensée très-fine et très-solide. Il faut
pourtant observer qu'elle n'a de vérité que par-
mi les nations où le laurier est regardé comme
le symbole de la victoire.

Les allusions doivent être facilement apperçues. Celles que nos poëtes font à la fable sont défectueuses, quand le sujet auquel elles ont rapport n'est pas connu. Malherbe, dans ses stances à M. du Périer, pour le consoler de la mort de sa fille, lui dit :

Tithon n'a plus les ans qui le firent cigale,
Et Pluton aujourd'hui,

Sans égard du passé, les mérites égale

D'Archémore et de lui.

Il y a peu de lecteurs qui connaissent Archémore e; cest un enfant du temps fabuleux. Sa nourrice l'ayant quitté pour quelques moments, un serpent vint et l'étouffa. Malherbe veut dire que Tithon, après une longue vie, s'est trouvé à la mort au même point qu'Archémore, qui ne vécut que peu de jours.

L'auteur du poëme de la Madelaine, dans une apostrophe à l'amour prophane, dit, parlant de Jésus-Christ:

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