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goût sûr, il faut deux choses: 1° un organe licat; 2° de l'expérience, s'être trouvé souvent dans les bonnes tables, etc.; on est alors plus en état de dire pourquoi un mets est bon ou mauvais. Pour être connaisseur en ouvrage d'esprit, il faut un bon jugement, c'est un présent de la nature; cela dépend de la disposition des organes: il faut encore avoir fait des observations sur ce qui plaît ou sur ce qui déplaît; il faut avoir su allier l'étude et la méditation avec le commerce des personnes éclairées : alors on est en état de rendre raison des règles et du goût.

Les viandes et les assaisonnements qui plaisent aux uns déplaisent aux autres; c'est un effet de la différente constitution des organes du goût. Il y a cependant sur ce point un goût général auquel il faut avoir égard, c'est-à-dire, qu'il y a des viandes et des mets qui sont plus généralement au goût des personnes délicates; il en est de même des ouvrages d'esprit : un auteur ne doit pas se flatter d'attirer à lui tous les suffrages; mais il doit se conformer au goût général des personnes éclairées qui sont au fait.

Le goût, par rapport aux viandes, dépend beaucoup de l'habitude et de l'éducation; il en est de même du goût de l'esprit : les idées exemplaires que nous avons reçues dans notre jeunesse nous servent de règle dans un âge plus avancé; telle est la force de l'éducation, de l'habitude et du préjugé. Les organes, accoutumés à une telle impression, en sont flattés de telle sorte, qu'une impression différente ou contraire les afflige ainsi, malgré l'examen et les discussions, nous continuons souvent à admirer ce qu'on nous a fait admirer dans les premières années de notre vie; et de là peut-être les deux partis, l'un des anciens, l'autre des modernes.

Remarque sur le mauvais usage des métaphores.

Les métaphores sont défectueuses,

1° Quand elles sont tirées de sujets bas. Le Père de Colonia reproche à Tertulien d'avoir dit que le déluge universel fut la lessive de la nature (1).

2° Quand elles sont forcées, prises de loin, et que le rapport n'est point assez naturel, ni la comparaison assez sensible: comme quand Théophile a dit : Je baignerai mes mains dans les ondes de tes cheveux; et dans un autre endroit, il dit que la charrue écorche la plaine. « Théophile, dit M. de la Bruyère, charge ses «<descriptions, s'appesantit sur les détails; il « exagère, il passe le vrai dans la nature; il en « fait le roman. »

On peut rapporter à la même espèce les métaphores qui sont tirées de sujets peu connus.

3 Il faut aussi avoir égard aux convenances des différents styles; il y a des métaphores qui conviennent au style poétique, qui seraient déplacées dans le style oratoire: Boileau a dit :

Accourez, troupe savante;

Des sons que ma lyre enfante
Ces arbres sont réjouis.

On ne dirait pas en prose qu'une lyre enfante des sons. Cette observation a lieu aussi à l'égard des autres Tropes. Par exemple: lumen, dans le sens propre, signifie lumière; les poëtes latins ont donné ce nom à l'œil, par métonymie; les

(1) Ignobilitatis vitio laborare videtur celebris illa Tertulliani metaphora, quâ diluvium appellat naturs generale lixivium, De Arte Rhet. p. 148.

yeux sont l'organe de la lumière, et sont, pour ainsi dire, le flambeau de notre corps. Un jeune garçon fort aimable était borgne; il avait une soeur belle qui avait le même défaut; on leur appliqua ce distique, qui fut fait à une autre occasion sous le règne de Philippe II, roi d'Espagne.

Parve puer, lumen quod habes concede sorori;

Sic tu cæcus Amor, sic erit illa Venus.

Où vous voyez que lumer, signifie l'œil ; il n'y a rien de si ordinaire dans les poëtes latins que de trouver lumina pour les yeux; mais ce mot ne se prend point en ce sens dans la prose.

4° On peut quelquefois adoucir unemétaphore, en la changeant en comparaison, ou bien en ajoutant quelque correctif. Par exemple: en disant pour ainsi dire, si l'on peut parler ainsi, etc. « L'art doit être, pour ainsi dire, enté sur << la nature, la nature soutient l'art et lui sert « de base; et l'art embellit et perfectionne la « nature. >>

5° Lorsqu'il y a plusieurs métaphores de suite, il n'est pas toujours nécessaire qu'elles soient tirées exactement du même sujet, comme on vient de le voir dans l'exemple précédent : enté est pris de la culture des arbres; soutient, lase, sont pris de l'architecture: mais il ne faut pas qu'on les prenne de sujets opposés, ni que les termes métaphoriques, dont l'un est dit de l'autre, excitent des idées qui ne puissent point être liées; comme si l'on disait d'un orateur, c'est un torrent qui s'allume, au lieu de dire, c'est un torrent qui entraîne. On a reproché à Malherbe d'avoir dit :

Prends ta foudre, Louis, et va comme un lion.

Il fallait plutôt dire, comme Jupiter.

Dans les premières éditions du Cid, Chimène disait :

Malgré des feux si beaux qui rompent ma colère.

Feux et rompent ne vont point ensemble: c'est une observation de l'académie sur les vers du Cid. Dans les éditions suivantes on a mis troublent au lieu de rompent; je ne sais si cette correction répare la première faute.

Ecorce, dans le sens propre, est la partie extérieure des arbres et des fruits, c'est leur cou verture ce mot se dit fort bien dans un sens métaphorique, pour marquer les dehors, l'apparence des choses; ainsi l'on dit que les ignorants s'arrêtent à l'écorce, qu'ils s'attachent, qu'ils s'amusent à l'écorce. Remarquez que tous ces verbes s'arrêtent, s'attachent, s'amusent, conviennent fort bien avec écorce plis au propre; mais vous ne diriez pas au propre fondre l'écorce: fondre se dit de la glace ou du métal, vous ne devez pas dire au figuré fondre l'écorce J'avoue que cette expression me paraît trop hardie dans une ode de Rousseau : pour dire que l'hiver est passé, et que les glaces sont fondues, il s'exprime de cette sorte:

L'hiver, qui si long-temps a fait blanchir nos plaines
N'enchaîne plus le cours des paisibles ruisseaux;
Et les jeunes zéphirs de leurs chaudes halaines
Ont fondu l'écorce des eaux.

6o Chaque langue a des métaphores particu lières qui ne sont point en usage dans les autres langues. Par exemple : les Latins disaient d'une armée, dextrum et sinistrum cornu ; et nous disons l'aile droite et l'aile gauche.

Il est vrai que chaque langue a ses métaphores propres et consacrées par l'usage; que si vous en changez les termes par les équivalents même qui en approchent le plus, vous vous rendez ridicule.

Un étranger qui, depuis est devenu un de nos citoyens, s'est rendu célèbre par ses ouvrages, écrivant, dans les premiers temps de son arrivée en France, à son protecteur, lui disait Monseigneur, vous avez pour moi des boyaux de père; il voulait dire des entrailles.

On dit mettre la lumière sous le boisseau, pour dire cacher ses talents, les rendre inutiles; l'anteur du poëme de la Madelaine ne devait done pas dire, mettre le flambeau sous le muid.

XI. LA SYLLEPSE ORATOIRE.

La Syllepse oratoire est une espèce de métaphore ou de comparaison, par laquelle un même mot est pris en deux sens dans la même phrase, l'un au propre, l'antre au figuré. Par exemple, Corydon dit que Galathée est pour lui plus douce que le thym du mont Hybla (1); ainsi parle ce berger dans une églogue de Virgile le mot dour est au propre par rapport au thym, et il est au figuré par rapport à l'impression que ce berger dit que Galathée fait sur lai. Virgile fait dire ensuite à un antre berger, et moi, quoique je paraisse à Galathée plus amer que les herbes de Sardaigne, etc. (2). Nos bergers disent plus aigre qu'un citron vert.

:

(1)..... Galathea thymo mihi dulcior Hyblæ. ego Sardeis videar tibi amarior herbis,

(2).

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