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il en un autre endroit, les balotta fort, & ceux qui furent disperfez par la tempête firent une fin pu agreable. Ce mot balotter eft bas ; & l'epithete de peu agreable n'cft point propre pour exprimer un accident comme celui là.

De même l'Hiftorien Theopompus a fait une peinture de la defcente du Roy de Perfe dans l'Egypte qui eft miraculeufe d'ailleurs mais il a tout gâté par la baffeffe des mots qu'il y mêle.. Y a-t-il une ville, dit cét Hiftorien, & une nation. dans l' Afie qui n'ait envoyé des Ambiffadeurs aux Rois? Ya-t il rien de beau & de preci:ux qui croiffe,ou qui fe fabrique en ces païs, dont on ne luy ait fait des prefens combien de tapis & de veftes. magnifiques, les unes rouges, les autres blanches,

les autres hiftoriées de couleurs combien de ten tes dorées & garnies de toutes les chofes neceffaires pour la vie combien de robes & de lits fomptueux ? combien de vafes d'or & d'argent enrichis de pierres precieufs, ou artiftement travaille? Ajouté à cela un nombre infini d'armes étrangeres. &à la Grecque: une foule incroyable de bêtes de vature, & d'animaux deftinez pour les facrifices: des boiffeaux remplis de toutes les chofes propres à réjouir le goût des armoires & des facs pleins de papier, & de plufieurs autres utenciles, & une fi grande quantité de viandes falées de toutes fortes d'animaux, que ceux qui les voyoient de loin penfoient que ce fuffent des collines qui s'élevaffent de

terre.

De la plus haute élevation il tombe dans la derniere baffeffe, à l'endroit juftement où il devoit le ples s'élever. Car mêlant mal à propos dans la pompeufe defcription de cet appareil, des boiffeaux, des ragoûts, & des facs: il femble qu'il faffe la peinture d'une cuifine. Et comme fi

quelqu'un avoit toutes ces chofes à arranger, & que parmi des tentes,& des vales d'or,au milieu de l'argent & des diamans, il mît en parade des facs & des boiffeaux ; cela feroit un vilain effet à la vûë: il en eft de même des mots bas dans le difcours, & ce font comme autant de taches & de marques honteufes qui flétriffent l'expreffion. Il n'avoit qu'à détourner un peu la chofe, & dire en general,à propos de ces montagnes de viandes falées, & du refte de cét appareil: qu'on envoia au Roi, des chameaux & plufieurs bêtes de voiture chargées de toutes les chofes neceffaires pour la bonne chere & pour le plaifir. Ou, des monceaux de viandes les plus exquifes, & tout ce qu'on fçauroit s'imaginer de plus ragoûtant & de plus delicieux. Ou, fi vous voulez, tout ce que les Officiers de table & de cuisine pouvoient fouhaiter de meilleur, pour la bouche de leur maître. Car il ne faut pas d'un difcours fort élevé paffer à des chofes baffes & de nulle confideration, à moins qu'on y foit forcé par une necessi té bien preffante. Il faut que les paroles répondent à la majefté des chofes dont on traite : & il eft bon en cela d'imiter la Nature, qui, en formant l'Homme, n'a point exposé à la vûë ces parties qu'il n'eft pas honnête de nommer,& par où le corps fe purge; mais, pour me fervir des termes de Xenophon, à caché, & detourné ces égoûts le plus loin qu'il lui a efté poffible: de peur que la beauté de l'animal n'en fuft fouillée. Mais il n'eft pas befoin d'examiner de fi prés toutes les chofes qui rabaiffent le difcours. En effet, puifque nous avons montré ce qui fert à l'élever & à l'annoblir, il eft aisé de juger qu'ordinairement le contraire eft ce qui l'avilit & le fait remper..

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Des caufes de la décadence des Efprits.

Ichofe a examiner. C'eft la queftion que me L ne refte plus, mon cher Terentianus,qu'une fit, il y a quelques jours, un Philofophe. Car il eft bon de l'éclaircir, & je veux bien, pour vôtre fatisfaction particuliere, l'ajoûter encore à ce Traité.

Je ne fcaurois affez m'étonner, me difoit ce Philofophe, non plus que beaucoup d'autres : d'où vient que dans nôtre fiecle il fe trouve affez d'Orateurs qui fçavent manier un raifonnement, & qui ont même le ftile Oratoire:qu'il s'en voit, dis-je, plu fieurs qui ont de la vivacité, de la netteté, & fur tout de l'agrément dans leurs difcours mais qu'il s'en rencontre fi peu qui puiffent s'élever fort dans le Sublime. Tant la fterilité maintenant eft grande parmi les efprits. N'est-ce point,pourfuivoit-il, ce qu'on dit ordinairement? que c'eft le Gouvernement populaire qui nourrit & forme les grands genies: puis qu'enfin jufqu'icy tout ce qu'il y a prefque en d'Orateur habiles ont fleuri, & font morts avec lui? En effet, ajoûtoit-il, il n'y a peut-être rien qui éleve davantage l'ame des grands hommes que la liberté, ni qui excite, & réveille plus puiffamment en nous ce fentiment naturel qui nous porte à l'émulation, & cette noble ardeur de fe voir élevé au deffus des autres. Ajoûtez que les prix qui fe propofent dans les Republiques aiguilent, pour ainfi dire & achevent de polir l'efprit des Ora

:

teurs leur faifant cultiver avec foin les talens qu'ils ont receus de la nature. Tellement qu'on voit briller dans leurs difcours, la liberté de leur païs.

Mais nous, continuoit-il, qui avons appris dés nos premieres années à fouffrir le joug d'une domination legitime : qui avons été comme enveloppez par les coûtumes & les façons de faire de la Monarchie, lors que nous avions encore l'imagination tendre, & capable de toutes fortes d'impreffions: En un mot, qui n'avons jamais goûté de cette vive & feconde fource de l'éloquence, je veux dire de la liberté : ce qui arrive ordinairement de nous, c'est que nous nous rendons de grands & magnifiques flateurs. C'eft pourquoi il eftimoit, difoit-il,qu'un homme même né dans la fervitude étoit capable des autres fciences; mais que nul Efclave ne pouvoit jamais être Orateur: Car un efprit continua t-il, abatu & comme dompté par l'accoûtumance au joug, n'oferoit plus s'enhardir à rien : tout ce qu'il avoit de vigueur s'évapore de foi même,& il demeure toûjours comme en prifon. En un mot, pour me fervir des termes d'Homere:

Le même jour qui met un homme libre aux fers,
Lui ravit la moitié de fa vertu premiere.

De même donc que, fi ce qu'on dit eft vrai, ces boëtes où l'on enferme les Pigmées vulgai rement appellez Nains, les empêchent non feulement de croître, mais les rendent même plus petits, par le moien de cette bande dont on leur entoure le corps: Ainfi la fervitude, je dis, la fervitude la plus juftement établie, eft une espece de prifon, où l'ame décroît & fe rappetiffe en

quelque forte. Je fçai bien qu'il eft fort aisé à l'homme & que c'eft fon naturel de blâmer toûjours les chofes prefentes, mais prenez garde

que

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Et certainement, pour fuivis-je, fi les delices d'u ne trop longue paix font capables de corrompre les plus belles ames; cette guerre fans fin qui trouble depuis fi long-temps toute la terre, n'est pas un moindre obftacle à nos defirs.

Ajoûtez à cela ces paffions qui afficgent continuellement nôtre vie,& qui portent dans nôtre ame la confufion & le defordre. En effet, continuay-je, c'est le defir des richesses, dont nous fommes tous malades par excés,c'est l'amour des plaifirs, qui à bien pailer nous jette dans la fervitude, &, pour mieux dire, nous traîne dans le precipice, où tous nos talens font comme engloutis. Il n'y a point de paffion plus baffe que I'Avarice, il n'y a point de vice plus infame que la Volupté. Je ne voy donc pas comment ceux qui font fi grand cas des Richeffes, & qui s'en font comme une espece de Divinité, pourroient être atteints de cette maladie, fans recevoir en même temps avec elle tous les maux dont elle eft naturellement accompagnée ? Et certainement la Profufion & les autres mauvaises habitudes fuivent de prés les Richeffes exceffives: elles marchent, pour ainfi dire, fur leurs pas, & par leur moien elles s'ouvrent les portes des villes & des maifons, elles y entrent, elles s'y établissent. Mais à peine y ont-elles féjourné quelque tems, qu'elles y font leur nid, fuivant la penfée des Sages,& travaillent à fe multiplier. Voiés donc ce qu'elles y produifent. Elles y engendrent le Fafte & la Molleffe qui ne font point des enfans bâtards, mais leurs vraies & legitimes productions.

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