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CHAPITRE XXXII.

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DES

De l'Arrangement des Paroles.

Es cinq Parties qui produifent le Grand, comme nous avons fupposé d'abord,il refte encore la cinquiéme à examiner : c'est à fçavoir Ja Compofition & l'Arrangement des Paroles. Mais comme nous avons déja donné deux volu. mes de cette matiere, où nous avons fuffifamment expliqué tout ce qu'une longue fpecula-. tion nous en a pû apprendre:Nous nous contenabfolu terons de dire ici ce que nous jugeons ment neceffaire à nôtre fujet; Comme par exem ple: que l'Harmonie n'eft pas fimplement un agrément que la Nature a mis dans la voix de l'Homme pour perfuader & pour in fpirer le plaifir mais que dans les inftrumens même inanimés c'est un moien merveilleux pour élever le courage & pour émouvoir les paffions.

:

Et de vrai ne voions-nous pas que le fon des flûtes émeut l'ame de ceux qui l'écoutent & les remplit de fureur,comme s'ils étoient hors deuxmémes? Que leur imprimant dans l'oreille le mouvement de fa cadence, il les contraint de la fuivre, & d'y conformer en quelque forte le mouvement de leur corps. Et non feulement le fon des flûtes, mais prefque tout ce qu'il y a de differens fons au monde, comme par exemple, ceux de la Lyre, font cet effet. Car bien qu'ils ne fignifient rien d'eux-mêmes: Neanmoins par ces changemens de tons qui s'entrechoquent les uns les autres,& par le mélange de leurs accords, fou

ce ne font

vent,comme nous voions,ils causent à-l'ame un tranfport,& un raviffement admirable. Cepe dant que des images & de fimples imitations de la voix, qui ne difent & ne perfuadent rien,n'étant, s'il faut parier ainfi, que des fons bâtards, & non point, comme j'ai dit, des effets de la nature de l'homme. Que ne dirons-nous donc point de la Compofition, qui eft en effet comme l'harmonie du difcours dont l'ufage eft naturel à l'homme, qui ne frape pas fimplement l'oreille, mais l'efprit: qui remue tout à la fois tant de differentes fortes de noms, de pensées, de chofes, tant de beautez, & d'élegances avec lef quelles nôtre ame a comme une espece de liaison & d'affinité qui par le mélange & la diverfité des fons infinue dans les efprits, & infpire à ceux qui écoutent les paffions mêmes de l'Orateur, & qui bátit fur ce fublime amas de paroles, ce Grand & ce Merveilleux que nous cherchons? Pouvons-nous, dis-je, nier qu'elle ne contribue beaucoup à la grandeur, à la majefté, à la magnificence du difcours,& à toutes ces autres beautez qu'elle renferme en foi, & qu'ayant un empi re abfolu fur les efprits, elle ne puiffe en tout temps les ravir, & les enlever ? 11 y auroit de la folie à douter d'une verité fi univerfellement reconnue, & l'experience en fait foi. *

Aurefte il en est de même des Difcours que des corps qui doivent ordinairement leur principale excellence à l'assemblage, & à la jufte pro

L'Auteur pour donner ici un exemple de l'arrange. ment des paroles, raporte un paffage de Demofthene. Mais comme ce qu'il en dit eft entierement attaché à la langue Grecque je me fuis contenté de le traduire dans les Remarques.

Voyez les Remarques.

portion de leurs membres: De forte même qu'encore qu'un membre feparé de l'autre n'ait rien en foy de remarquable, tous enfemble ne laissent pas de faire un corps parfait. Ainfi les parties du Sublime étant divisées, le Sublime fe diffipe entierement, au lieu que venant à ne former qu'un corps par l'affemblage qu'on en fait,& par cette liaifon harmonieufe qui les joint, le feul tour de la Periode leur donne du fon & de l'emphase. C'eft pourquoi l'on peut comparer le Sublime dans les Periodes à un feftin par écot, auquel plu. fieurs ont contribué. Jufques là qu'on voit beaucoup de Poëtes & d'Ecrivains qui n'étant point nés au Sublime, n'en ont jamais manqué neanmoins, bien que pour l'ordinaire ils fe ferviffent de façons de parler baffes, communes & fort peu élegantes. En effet,ils fe foûtiennent par ce feul arangement de paroles qui leur enfle & groffit en quelque foite la voix: Si bien qu'on ne remarque point leur baffeffe.Philifte eft de ce nombre. Tel eft auffi Ariftophane en quelques endroits, & Euripide en plufieurs, comme nous l'avons déja fuffisamment montré. Ainfi quand Hercule dans cet Auteur après avoir tué les enfans dit:

Tant de maux à la fois font entre dans mon ame. Que je n'y puis loger de nouvelles douleurs:

Cette pensée eft fort triviale. Cependant il la rend noble par le moien de ce tour qui a quelque chofe de mufical & d'harmonieux: Et certainement, pour peu que vous renverfiez l'ordre de la periode, vous verrez manifeftement combien Euripide eft plus heureux dans l'arrangement de fes paroles, que dans le fens de fes pensées. De même, dans la Tragedie intitulée Circé emportée. par un Taureau.

Il tourne aux environs dans fa route incertaine. Et courant en tous lieux où fa rage le meine, Traine aprés foi la femme,& l'arbre,&lerocher. Cette pensée eft fort noble à la verité: mais il faut avouer que ce qui lui donne plas de force, c'eft cette harmonie qui n'eft point precipitée,ni emportée comme une maffe pefante: mais dont les paroles fe foûtiennent les unes les autres, & où il y a plufieurs paufes. En effet, ces paufes font comme autant de fondemens folides fur lefquels fon difcours s'appuye & s'éleve.

CHAPITRE

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XXXIII.

De la Mefure des Periodes.

U contraire il n'y a rien qui rabaiffe davanle Sublime que ces nombres rompus; & qui fe prononcent vite, tels que font les Pyrriques, les Trochées & les Dichorées qui ne font bons que pour la danfe. En effet,toutes ces-fortes de pieds & de mefures n'ont qu'une certaine mignardife & un petit agréement qui a toûjours le même tour, & qui n'émeut point l'ame. Ce que j'y trouve de pire; c'eft que comme nous voyons que naturellement ceux à qui l'on chante un air ne s'arrêtent point au fens des paroles, & font entraînez par le chant: De même ces paroles mefurées n'infpirent point à l'efprit les paffions qui doivent naître du difcours, & impriment fimplement dans l'oreille le mouvement de la cadence. Si bien que comme l'Auditeur prevoit d'ordinaire cette cheute qui doit antiver,il va au devant de celui qui parle ; & le pievient, mar

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quant, comme en une danse, la cheute avant qu'elle arrive.

C'est encore un vice qui affoiblit beaucoup le difcours, quand les periodes font arrangées avec trop de foin, ou quand les membres en font trop courts, & ont trop de Syllabes breves,état d'ail leurs comme joints & attachez ensemble avec des cloux, aux endroits où ils fe defuniffent. Il n'en faut pas moins dire des periodes qui font trop coupées. Car il n'y a rien qui eftropie davantage le Sublime, que de le vouloir comprendre dans un trop petit efpace. Quand je défens neanmoins de trop couper les periodes, je n'entens pas parler de celles qui ont leur jufte étenduë, mais de celles qui font trop petites, & comme mutilées. En effet, de trop couper fon ftile, cela arrête l'efprit: au lieu que de le divifer en periodes,cela conduit le Lecteur. Mais le contraire en même temps apparoît des periodes trop longues, & toutes ces paroles recherchées, pour alonger mal à propos un difcours, font mortes & languiffantes.

CHAPITRE

IN E

XXXIV.

De la baffeffe des Termes.

UN des chofes encore qui avilit autant le

Difcours, c'eft la baffeffe des termes. Ainfi nous voyons dans Herodote une description de tempête, qui eft divine pour le fens: mais il y a inêlé des mots extrêmement bas, comme quand il dit: La mer commençant à bruire. Le mauvais fon de ce mot bruire fait perdre à fa pensée une partie de ce qu'elle avoit de grand. Le vent, dit

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