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tion quand nous contemplons ces feux qui s'allument quelquefois dans le Ciel, bien que pour l'ordinaire ils s'évanouiffent en naifant: & nous ne trouvons rien de plus étonnant dans la nature que ces fournaizes du mont Etna qui quelquefois jette du profond de fes abîmes,

Des pierres,des rochers, & des fleuves de flammes.

De tout cela il faut conclure, que ce qui eft utile & même neceffaire aux Hommes fouvent n'a rien de merveilleux, comme étant aisé à acque rir, mais que tout ce qui eft extraordinaire eft admirable & furprenant.

Pind. Pith. 1.

CHAPITRE XXX. Que les fautes dans le Sublime fe peuvent excufer.

L'égard donc des grands Orateurs en qui le
Sublime & le merveilleux fe rencontrent

joint avec l'Utile & le Neceffaire

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il faut

avouer, qu'encore que ceux dont nous parlons n'ayent point été exempts de fautes, ils avoient neanmoins quelque chofe de furnaturel & de divin. En effet, d'exceller dans toutes les autres parties, cela n'a rien qui paffe la portée de l'Homme: mais le Sublime nous éleve prefque auffi haut que Dieu. Tout ce qu'on gagne à ne point faire de fautes, c'eft qu'on ne peut être repris mais le Grand fe fait admirer. Que vous diray-je enfin ? un feul de ces beaux traits & de ces pensées fublimes qui font dans les ouvrages de ces excellens Auteurs, peut payer

tous leurs défauts. Je dis bien plus ; c'est que fi quelqu'un ramaffoit ensemble toutes les fautes qui font dans Homere, dans Demofthenes, dans Platon, & dans tous ces celebres Heros, elles ne feroient pas la moindre, ni la milliéme partie des bonnes chofes qu'ils ont dites. C'eft pourquoi l'Envie n'a pas empéché qu'on ne leur ait donné le prix dans tous les fiecles, & perfonne jufqu'icy, n'a été en état de leur enlever ce prix, qu'ils confervent encore aujour d'hui, & que vrai-femblablement ils conferveront toûjours.

Tant qu'on verra les eaux dãs les plaines courir, Et les bois dépouillez au Printemps refleurir. On me dia peut-être qu'un Coloffe qui a quelques défauts n'eft pas plus à eftimer qu'une pe tite Statue achevée, comme par exemple le Sol dat de Polyclete. A cela je repons, que dans

les ouvrages de l'Art c'est le travail & l'achevement que l'on confidere: au lieu que dans les Ouvrages de la Nature c'eft le Sublime & le prodigieux. Or, difcourir, c'eft une operation naturelle à l'homme. Ajoûtez que dans une Statue on ne cherche que le rapport & la reff mblance: mais dans le Difcours on yeat, comme j'ay dit,lefurnaturel & le divin. Toutefois pour ne nous point éloigner de ce que nous avons établi d'abord, comme c'eft le devoir de l'Ait d'empécher que l'on ne tombe, & qu'il eft bien difficile qu'une haute élevation à la longue fe foûtienne, & garde toûjours un ton égal, il faut que l'Ait vienne au fecours de 1: Nature: parce quen effet c'eft leur parfaite alliance qui fait la fouveraine perfection. Voilà ce que nous

a Le Doryphore petite ftatuë de Polyclete.

avons crû être obligez de dire fur les quefticns qui fe font prefentées. Nous laiffons pourtant à chacun fon jugement libre & entier.

CHAPITRE XXXI.

Des Paraboles, des Comparaifons, & des Hyperboles.

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ur retourner à nôtre Difcours, les Paraboles & les Comparaifons approchent fort des Metaphores, & ne different d'elles qu'en un feul point ********

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Telle eft cette Hyperbole. Suppofé que vêtre efprit foit dans vostre Teste, & que vous ne le fouliez pas fous vos talons. C'est pourquoy il faut bien prendre garde jufques où toutes ces Figures peuvent être pouffées: parce qu'affez fouvent, pour vouloir porter trop haut une Hyperbole, on la détruit. C'eft comme une corde d'arc qui pour être trop tenduë fe relâche : & cela fait quelquefois un effet tout contraire à celui que nous cherchons.

Ainfi 1focrate dans fon Panegyrique, par une fotte ambition de ne vouloir rien dire qu'avec emphafe, eft tombé, je ne fçai comment. dans une faute de petit Ecolier. Son deffein dans ce Panegyrique, c'eft de faire voir que les Atheniens ont rendu plus de fervice à la Grece, que ceux de Lacedemone : & voci par où il de

**Cet endroit eft fort defcctueux,& ce que l'Auteur avoit dit de ces Figures manque tour entier.

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bute. Puifque le Difcours a naturellement la vertu de rendre les chofes grandes, petites ; & Les petites, grandes: qu'il fait donner les graces de la nouveauté aux chofes les plus vieilles, & qu'il fait paroître vieilles celles qui font nouvellement faites. Eft-ce ainfi dira quelqu'un, ô Ifocrate, que vous allez changer toutes chofes à l'égard des Lacedemoniens & des Atheniens? En faisant de cette forte l'éloge du Difcours, it fait proprement un Exorde pour exhorter fes Auditeurs à ne rien croire de ce qu'il leur va dire.

C'eft pourquoi il faut fuppofer, à l'égard des Hyperboles, ce que nous avons dit pour toutes les Figures en general que celles-là font les meilleures qui font entierement cachées, & qu'on ne prend point pour des Hyperboles. Pour cela donc, il faut avoir foin que ce foit toûjours la paffion qui les faffes produire au milieu de quelque grande circonftance. Comme, par exemple, l'Hyperbole de Thucydide, à propos des Atheniens qui perirent dans la Sicile. Les Siciliens eftant defcendus en ce lieu; ils y firent un grand carnage de ceux fur tout qui s'étoient jettez dans le fleuve. L'eau fut en un moment corrompue du fang de ces miserables : & neanmoins toute bourbeufe toute fanglante qu'elle eftoit, ils fe battoient pour en boire. Il eft affez peu croya

ble
que des Hommes boivent du fang & de la
boue, & fe battent même pour en boire : & tou-
tefois la grandeur de la paffion, au milieu de
cette étrange circonftance, ne laiffe pas de don-
ner une apparence de raifon à la chose. Il en eft
de même de ce que dit Herodote de ces Lacede-
moniens qui combatirent au pas des Termopy
les. Ils fe deffendirent encore quelque temps en ce

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Lieu avec les armes qui leur reftoient, & avec les mains & les dents: jufqu'à ce que les Barbares, tirant toûjours, les euffent comme enfevelis fous leurs traits. Que dites-vous de cette Hyperboie? Qu'elle apparence que des Hommes fe defendent avec les mains & les dents contre des gens armez, & que tant de per fonnes foient enfevelies fous les traits de leurs Ennemis Cela ne laiffe pas neaninoins d'avoir de la vrai-femblance:parce que la chofe ne femble pas recherchée pour l'Hyperbole ; mais que l'Hyperbole femble naître du fajet même. En effet, pour ne me point départir de ce que j'ai dit, un remede infaillible, pour empêcher que les hardieffes ne choquent, c'eft de ne les employer que dans la paffion, & aux endroits à peu-prés qui femblent les demander. Cela eft fi viai que dans le Comique on dit des chofes qui font abfurdes d'elles mêmes, qui ne laiffent pas toutefois de paffer pour vrai-femblables, à caufe qu'elles émeuvent la paffion, je veux dire qu'elles excitent à rire. En effet, le Rire eft une Paffion de l'ame causée par le plaifir. Tel eft ce trait d'un Poëte Comique: Il poffedoit une terre à la campagne qui n'eftoit pas plus grande qu'une Epiftre de Lacedemonien.

Aurefte on fe peut fervir de l'Hyperbole auffi bien pour diminuer les chofes, que pour les agrandir: Car l'Exageration eft propre à ces deux differens effets : & ie Diafyrme, qui eft une efpece d'Hyperbole, n'eft, à le bien prendre, que l'exageration d'une chofe baffe & ridicule.

G

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