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par ce qu'ils ont de pire, & que le fouvenir des fautes qu'on y remarque, dure toûjours, & ne s'efface jamais au lieu que ce qui eft beau paffe vite, & s'écoule bien-tôt de nôtre efprit. Mais bien que j'aye remarqué plufieurs fautes dans Homere, & dans tous les plus celebres Auteurs, & que je fois peut-être l'homme du monde à qui elles plaifent le moins ; j'eftime aprés tout que ce font des fautes dont ils ne fe font pas fouciez, & qu'on ne peut appeller proprement fautes, mais qu'on doit fimplement regarder comme des méprifes & de petites negligences qui leur font échappées: parce que leur efprit qui ne s'étendoit qu'au Grand, ne pouvoit pas s'arrêter aux petites choles. En un mot, je maintiens que le Sublime. bien qu'il ne fe foutiennent pas également par tout, quand ce ne feroit qu'à caufe de fa grandeur, l'emporte fir tout le refte. Qu'ainfi ne foit, Apollonius, celui qui a compofé le Poëme des Argonautes,ne tombe jamais,& dans Theocrite, ôté quelques endroits, où ils fort un peu du caractere de l'Eglogue,il n'y a rien qui ne foit heu reufement imaginé. Cependant aimeriez-vous mieux être Apollonius ou Theocrite,qu'Homere? L'Erigone d'Eratofthene eft un Poëme où il n'y a rien à reprendre. Direz-vous pour cela qu'Eratofthene eft plus grand Poëte qu'Archiloque, qui fe brouille à la verité, & manque d'ordre & d'œconomie en plufieurs endroits de fes écrits mais qui ne tombe dans ce défaut qu'à caufe de cét efprit divin, dont il eft entraîné, & qu'il ne fçauroit regler comme il veut ? Et même pour le Lyrique, choifiriez vous plûtôt d'être Bacchylide, que Pindare? ou pour la Tragedie, Ion ce Poëte de Chio, que Sophocle? En effet, ceux-là ne font jamais de faux pas,& n'ont

rien qui ne foit écrit avec beaucoup d'élegance & d'agréement. Il n'en eft pas ainfi de Pindare & de Sophocle: car au milieu de leur plus grande violence, durant qu'ils tonnent & foudroyent pour ainfi dire, fouvent leur ardeur vient mal à propos à s'éteindre, & ils tombent malheureufement. Et toutefois y a-t-il un homme de bon fens qui daignât comparer tous les ouvrages d'Ion enfemble au feul Oedipe de Sophocle 2

CHAPITRE

XXVIII..

Comparaison d'Hyperide & de De-
mofthene.

Q

UE fi au refte l'on doit juger du merite d'un ouvrage par le nombre plûtôt que par la qualité l'excellence de fes beautez; il s'enfuivra qu'Hyperide doit être entierement préferé à Demofthene: En effet, outre qu'il eft plus bar-monieux, il a bien plus de parties d'Orateur, qu'il poffede prefque toute en un degré émineat, femblable à ces Athletes qui réüffiffent: aux cinq fortes d'Exercices, & qui n'étant les premiers en pas un de ces Exercices, paffent en tous l'ordinaire & le commun. En effet, il a imité Demofthene en tout ce que Demofthene a de beau, excepté pourtant dans la compofition & l'airangement des paroles. Il joint à cela les douceurs & les graces de Lyfias: il fçait adoucir, où il faut la rudeffe & la fimplicité du dif cours, & ne dit pas toutes les chofes d'un même air comme Demofthene: il excelle à peindre les murs: fon ftile a dans fa naïveté une

certaine douceur agreable & fleurie. Il y a dans fes ouvages un nombre infini de chofes plaifamment dites. Sa maniere de rire & de fe mo. quer eft fine, & a quelque chofe de noble. Il a une facilité merveilleuse à manier l'Ironie. Ses railleries ne font point froides ni recherchées, comme celles de ces faux imitateurs du Stile Attique, mais vives & preffantes. Il eft adroit à éluder les objections qu'on lui fait, & à les rendre ridicules en les amplifiant. Il a beaucoup de plaifant & de comique, & tout plein de jeux & de certaines pointes d'efprit, qui frappent toûjours où il vife. Au refte il affaisonne toutes ces chofes d'un tour & d'une grace inimitables. Il eft né pour toucher & émouvoir la pitié. Il est étendu dans fes narrations fabuleufes.. Il a une flexibilité admirable pour les digreffions, il fe détourne, it reprend haleine où il veut, comme on le peut voir dans ces Fables qu'il conte de Latone: Il a fait une Oraison funebre qui eft écrite avec tant de pompe & d'ornement, que je ne fçai fi pas un autre l'a Jamais égalé en cela.

Au contraire Demofthene ne s'entend pasfort bien à peindre les mœurs. Il n'eft point étendu dans fon ftile: Il a quelque chofe de dur, & n'an pompe ni oftentation. En un mot il n'a prefque aucune des parties dont nous venons de parler. S'il s'efforce d'être plaifant il fe rend ridicule, plûtoft qu'il ne fait rire, & s'éloigne d'autant plus du plaifant qu'il tâche d'en approcher. Cependant par ce qu'à mon avis, toutes ces beautez qui font en foule dans Hyperide, n'ont rien de grand : qu'on y voit, pour ainfi dire,un Orateur toujours à jeun, & une langueur defprit,qui n'échauffe, qui ne remue point l'ame,

perfonne n'a jamais été fort tranfporté de la lecture de fes Ovrages. Au lieu que Demofthene ayant ramaffé en foy toutes les qualitez d'un Orateur veritablement né au Sublime, & entierement perfectioné par l'étude, ce ton de majesté & de grandeur, ces mouvemens animez, cette fertilité, cette addreffe, cette promptitude, &, ce qu'on doit fur tout eftimer en luy, cette force & cette vehemence dont jamais perfonne n'a fceu approcher: Par toutes ces divines qualitez, que je regarde en effet comme autant de rares prefens qu'il avoit recens des Dieux, & qu'il ne m'eft pas permis d'appeller des qualitez humaines, il a effacé tout ce qu'il y a d'Orateurs celebres dans tous les fiecles : les laiffant comme abbattus & éblouis, pour ainfi dire, de fes tonnerres & de fes éclairs. Car dans les parties où il excelle, il eft tellement élevé au deffus d'eux, qu'il repare entierement par là celles qui luy manquent. Et certainement, il eft plus aifé d'envifager fixement, & les yeux ouverts, les foudres qui tombent du Ciel, que de n'être point émû des violentes paffions qui regnent: en foule dans fes ouvrages.

CHAPITRE XXIX.

De Platon, de Lyfias, de l'excellence, de l'esprit humain.

POUR

Pour ce qui eft de Platon, comme j'ay dit, il y a bien de la difference. Car il furpaffe Lyfias non feulement par l'exellence, mais auffi par le nombre de ces beautez. Je dis plus, c'eft

1

que Platon n'est pas tant au deffus de Lyfias, par un plus grand nombre de beautez, que Lyfas eft au deffous de Platon par un plus grand nombre de fautes..

Qu'eft ce donc qui a porté ces Efprits divins à méprifer cette exacte & fcrupuleufe delicateffe, pour ne chercher que le Sublime dans leurs Ecrits? En voici une raifon. C'eft que la Nature n'a point regardé l'homme comme un animal de baffe & de vile condition: mais elle lui a donné la vie,& l'a fait venir au monde comme dans une grande a ffemblée, pour être spectateur de toutes les chofes qui s'y paffent; elle l'a,dis je, introduit dans cette lice, comme un courageux Athlete qui ne doit refpirer que la gloire. C'eft pourquoi elle a engendré d'abord en nos ames une paffion invincible, pour tout ce qui nous paroît de plus grand & de plus divin. Aufli voions-nous que le monde entier ne fuffit pas la vaste étendue de l'efprit humain. Nos pen fées vont fouvent plus loin que les Cieux, & penetrent au delà de ces bornes qui environnenɛ & qui terminent toutes choses.

à

Et certainement fi quelqu'un fait un рси de reflexion fur un Homme dont la vie n'ait rien cu dans tout fon cours, que de grand & d'illufire, il peut conoître par là,à quoy nous fommes nez. Ainfi nous n'admirons pas naturellement de petits ruiffeaux, bien que l'eau en foit claire & transparente, & utile même pour notre ulage: mais nous fommes veritablement furpris quand nous regardons le Danube, le Nil,le Rhin, & l'Ocean fur tour. Nous ne fommes pas fort étonnés de voir une petite flamme que nous avons allumée, conferver long-temps fa lumiere pure mais nous fommes frappés d'admira

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