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CHAPITRE

XXV I.

Des Methaphores.

Poecilius femble être de l'avis de ceux qui n'en Our ce qui eft du nombre des Methaphores, fouffrent pas plus de deux ou trois au plus, pour exprimer une feule chofe. Mais Demofthene nous doit encore ici fervir de regle. Cet Orateur nous fait voir qu'il y a des occafions où l'on en peut emploier plufieurs à la fois ; quand les Paffions, comme un torrent rapide, les entraînent avec elles neceffairement, & en foule. Ces Hommes malheureux, dit-il quelque part, ces lâches Flateurs, ces Furies de la Republique ont cruellement déchiré leur patrie. Ce font eux qui dans la débauche ont autrefois vendu à Philippe nôtre liberté, & qui la vendent encore aujourd'hui à Alexandre: qui mefurant, dis je, tout leur bonheur aux fales plaisirs de leur ventre, à leurs infames débordemens, ont renversé toutes les bornes de l'honneur, détruie parmi nous, cette regle où les anciens Grecs faifoient confifter toute leur felicité; de ne fouffrir point de maître. Par cette foule de Metaphores, prononcées dans la colére, l'Orateur ferme entierement la bouche à ces Traîtres. Neanmoins Ariftote & Theophrafte, pour excufer l'audace de ces Figures,penfent qu'il eft bon d'y aportet ces adouciffemens. Pour ainfi dire. Pour parler ainsi. si j'ofe me fervir de ces termes. Pour m'expliquer un peu plus bardiment. En éfet,ajoûtent-ils, l'excufe eft un remede contre les hardieffes du discours, & je fuis bien de

leur avis. Mais je foûtiens pourtant toûjours ce que j'ai déja dit, que le remede le plus naturel contre l'abondance & la hardiesse, soit des Metaphores, foit des autres Figures, c'eft de ne les emploier qu'à propos : je veux dire, dans les grandes paffions, & dans le Sublime. Car commele Sublime & le Pathetique par leur violence & leur impetuofité emportent naturellement, & entraînent tout avec eux ; ils demandent neceffairement des expreffions fortes, & ne laiffent pas le tems à l'Auditeur de s'amufer à chicaner le nombre des Methaphores, parce qu'en ce moment il eft épris d'une commune fureur avec celui qui parle.

que le

Et mêmes pour les lieux communs & les defcriptions, il n'y a rien quelquefois qui exprime les chofes qu'une foule de Metaphores continuées. C'est par elles que nous voions dans Xenophon une defcription fi pompeufe de l'édifice du corps humain. Platon neanmoins en a fait la peinture d'une maniere encore plus divine. Ce dernier apelle la tête une Citadelle. Il dit cou est un Ifthme, qui a été mis entre elle la poitrine. Que les Vertebres fout, comme des gonds fur lefquels elle tourne. Que la Volupté eft lamorce de tous les malheurs qui arrivent aux Hommes. Que la langue est le Juge des faveurs. Que le Cœur eft la fource des veines, la fontaine du fang qui delà fe porte avec rapidité dans toutes les autres parties, & qu'il est disposé comme une fortereffe gardée de tous côtés. Il apelle les Pores, des Rues étroites. Les Dieux, pourfuit-il, vonlant foutenir le battement du cœur, que la veuë inopinée des chefes terribles, ou le mouvement de La colere qui eft de feu, lui caufent ordinairemět ; ils ont mis fous luile poulmon dont la substance est

molle,

melle, & n'a point de fang: mais ayant par dedans de petits trous en forme d'éponge, il fert au cœur comme d'oreiller, afin que quand la colere eft en flammée, il ne foit point troublé dans fes fonctions. Il appelle la partie concupifcible, l'appartement de la Femme; & la partie irafcible, l'appartement de l'Homme. Il dit que la Rate eft la Cuifine des Inteftins, & qu'étant pleine des ordures du foie, elle s'enfle devient bouffie.Enfuite, continue-t-il, les Dieux couvrirent toutes ces parties de chair qui leur fert comme de rempart & de défenfe contre les injures du chaud & du froid, &contre tous les autres accidens. Et elle eft, ajoû

te

que

les

t-il, comme une laine molle & ramassé qui entoure doucement le corps. Il dit que le Sang cft la pasture de la chair. Et afin, pourfuit-il, que toutes les parties pûffent recevoir l'aliment, ils y ont creusé, comme dans un jardin, plufieurs canaux, afin que les ruiffe eaux des veines fortant du cœur, comme de leur fource, pûffent couler dans Des étroits conduits du corps humain. Au refte quand la mort arrive, il dit, organes fe dénoient comme les cordages d' un vaiffeau, & qu'ils laiffent aller l'ame en liberté. Il y en a encore une infinité d'autres enfuite, de la même force: mais ce que nous avons dit fuffic pour faire voir, comblé toutes ces Figures font fublimes d'ellesmêmes combien, dis-je, les Metaphores fervent au Grand, & de quel ufage elles peuvent être dans les endroits pathetiques, & dans les defcriptions.

:

Or que ces Figures, ainfi que toutes les autres, elegances du difcours, portent toûjours les chofes dans l'excés ; c'eft ce que l'on remarque affez fans que je le dife. Et c'eft pourquoy Platon même n'a pas été peu blâmé, de ce que fouvent,

F

comme par une fureur de difcours, il fe laiffe emporter à des Metaphores dures & exceffives, & à une vaine pompe allegorique, On ne concevra pas aisément, dit-il, en un endroit, qu'il en doit être de même d'une ville comme d'un vase, où le vin qu'on verfe, & qui est d'abord bouillant & furieux, tout d'un coup entrant en focieté avec une autre Divinité sobre qui la châtie, devient doux & bon à boire. D'appeller l'eau une Divinité fobre, & le fervir du terme de châtier pour temperer: En un mot de s'étudier fi fort à ces petites fine fles, cela fent, difent-ils, fon Poëte qui n'eft pas lui-même trop fobre. Et c'eft peut-être ce qui a donné fujet à Cecilius de decider fi hardiment dans fes Commentaires fur Lyfias : que Ly has valoit mieux en tout que Platon, pouffé par des fentimens auffi peu raifonnables l'un que l'autre. Car bien qu'il aimât Lyfias plus que foi même, il haïffoit encore plus Platon qu'il n'aimoit Lyfias: fi bien que porté de ces deux mouvimens, & par un efprit de contradiction, il a avancé plufieurs chofes de ces deux Auteurs,qui ne font pas des decifions fi fouveraines qu'il s'imagine. De fait accufant Platon d'être tombé en plufieurs endroits, il parle de l'autre comme d'un Auteur achevé, & qui n'a pas de défauts; ce qui bien loin d'être vray, n'a pas même une ombre de vrai-femblance. Et en effet, où trouvons-nous un Ecrivain qui ne peche jamais, & où il n'y ait rien à reprendre.

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Si l'on doit préferer le Mediocre parfait au
Sublime qui a quelques défauts.

P

EUT-ESTRE ne fra-t-il propos pas hors de d'examiner ici cette queftion en general,fçavoir lequel vaut mieux, foit dans la Profe, foit dans la Poëfie, d'un Sblime qui a quelques défauts, ou d'une Mediocrité parfaite & faine en toutes les parties, qui ne tombe & ne fe dement point: & enfuite lequel, à juger équitablement des chofes, doit emporter le prix de deux Ouvrages, dont l'un a un plus grand nombre de beautez, mais l'autre va plus au Grand & au Sublime. Car ces queftions étant naturelles à nôtre Sujet, il faut neceffairement les refoudre: Premierement donc je tiens pour moi qu'une Grandeur au deffus de l'ordinaire, n'a point naturellement la pureté du mediocre. En effet, dans un difcours fi poli & fi limé, il faut craindre la baffetfe: & il en eft de même du Sublime que d'une richeffe immenfe, où l'on ne peut pas prendre garde à tout de fi prés, & où il faut, malgré qu'on en ait, negliger quelque chofe. Au contraire il eft prefque impoffible, pour l'ordinaire, qu'un efprit bas & mediocre faffe des fautes: Car comme il ne fe hazarde & ne s'éleve jamais, il demeure toûjours en feureté, au lieu que le Grand de foi-même, & par fa propre grandeur, eft gliffant & dangereux. Je n'ignore pas pourtant ce qu'on me peut objecter d'ailleurs,que naturellement nous jugeons des ouvrages des Hommes

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