tems qu'on cherchoit; par cette Tranfpofition également hardie & dangereufe, il touche bien davantage que s'il eût gardé un ordre dans fes paroles, il y a tant d'exemples de ce que je dis, que je me difpenferai d'en raporter. CHAPITRE XIX. Du changement de Nombre. L n'en faut pas moins dire de ce qu'on apelle, Diverfités de cas, Collections, Renversemens, Gradations, & de toutes ces autres Figures, qui étant comme vous fçavés extrémement fortes & vehementes, peuvent beaucoup fervir quent à orner le difcours, & contribuent en touconfepar tes manieres au Grand & au Pathetique. Que dirai-je des Changemens de Cas, de Tems,de Perfonnes, de Nombre, & de Genie? En éfet qui ne voit combien toutes ces chofes font propres à diversifier & à ranimer l'expreffion? Par exemple, pour ce qui regarde le Changement de nombre; ces Singuliers dont la terminaison eft finguliere, mais qui ont pourtant, à les bien prendre, la force & la vertu des Pluriels. Auffi-tôt un grand Peuple acourant fur le port Ils firent de leurs cris retentir les rivages. Et ces finguliers font d'autant plus dignes de remarque, qu'il n'y a rien quelquefois de plus magnifique que les pluriels. Car la multitude 'ils renferment, leur donne du fon & de l'emphale. Tels font ces P'uriels qui fortent de la bouche d'Oedipe dans Sophocle. qu'i E Hymen, funfte Hymen tu m'as donné la vie : Fit jamais voir au jour & de honte & d'horreur. Tous ces differens noms ne veulent dire qu'une feule pe fonne; c'eft à fçavoir, Oedipe d'une part, & fa mere Jocafte de l'autre. Cependant par le moien de ce nombre ainfi répandu & multiplié en differens pluriels, il multiplie en quelque façon les infortunes d'Oedipe. C'eft par un même pleonafme qu'un Poëte a dit : On vit les Sarpedons & les Hectors paroître. Il en faut dire autant de ce paffage de Platon à propos des Atheniens, que j'ai raporté ailleurs. Cene font point des pelops, des Cadmus des Egyptes, des Danaus, ni des hommes nés barbares qui demeurent avec nous. Nous fommes tous Grecs, éloignés du commerce & de la frequentation des nations étrangeres, qui habitons une même ville, irc. En éfet tous ces Pluriels ainfi ramaffés enfemble,nous font concevoir une bien plus grande idée des chofes. Mais il faut prendre garde à ne faire cela que bien à propos, & dans les endroits où il faut amplifier, ou multiplier,ou exagerer & dans la paffion; c'eft à dire, quand le fujet eft fufceptible d'une de ces chofes ou de plufieurs. Car d'atacher par tout ces cymbales & ces fonnettes, cela fentiroit trop fon Sophifte. Des Pluriels reduits en Singuliers. N peut auffi tout au conttaire reduire les Plu riels en Singuliers, & cela a quelque chofe de fort grand. Tout le Peloponefe, dit Demofthene, étoit alors divifé en factions. Il en eft de même de ce paffage d'Herodote. Phrynicus faifant reprefenter fa Tragedie intitulée la Prife de Milet, tout le Theatre fe fondit en larmes. Car de ramaf fer ainfi plufieurs chofes en une, cela donne plus de corps au difcours. Au refte je tiens que pour l'ordinaire c'eft une même raison qui fait valoir ces deux differentes Figures. En éfet foit qu'en changeant les Singuliers en Pluriels,d'une feule chofe vous en faffiés plufieurs : foit qu'en ramaffant des Pluriels dans un feul nom Singulier qui fonne agreablement à l'oreille, de plufieurs chofes vous n'en faffiés qu'une, ce changement im preveu marque la paffion. Du changement de Tems. L en eft de même du changement de Tems: Ilorfqu'on parle d'une chore paffée, comme li elle fe faifoit prefentement: parce qu'alors ce n'eft plus une narration que vous faites, c'eftune action qui fe paffe à l'heure même. Un Soldat, dit Xenophon, étant tombé fous le cheval de Cyrus, & étant foulé aux pieds de ce cheval, il lui donne un coup d'épée dans le ventre. Le Cheval bleffé fe démene & fecouë fon maître. Cyrus Tombe. Cette Figure eft fort frequente dans Tucydide. CHAPITRE LE Du Changement de Perfonnes. E Changement de Perfonnes n'eft pas moins pathetique. Car il fait que l'Auditeur affés fouvent fe croit voir lui-même au milieu du peril. Vous diriés à les voir pleins d'une ardeur fi belle, Net'embarque jamais durant ce trifte mois. fieurs en general, mais à un feul en particulier. Tu ne fçaurois connoître au fort de la mêlée, Car en réveillant ainfi l'Auditeur par ces Apoftrophes, vous le rendés plus émû, plus attentif, & plus plein de la chofe dont vous parlés. CHAPITRE XXIII. Des Tranfitions impreveuës. L arrive auffi quelquefois qu'un Efcrivain à fa place, & joue fon personnage : & cette Figure marque l'impetuofité de la Paffion. Mais Hector de fes cris remplissant le rivage, Commande à fes Soldats, de quitter le pillage; De courir aux Vaiffeaux. Car, jateste les Dieux Que quiconque ofera s'écarter à mes yeux, Moi-même dans fon fang j'irai laver fa honte. Ce Poëte retient la narration pour foi, comme celle qui lui eft propre, & met tout d'un coup. & fans en avertir, cette menace précipitée dans la bouche de ce Guerrier bouillant & furieux. En éfet fon difcours auroit langui s'il y eût entremêlé: Hector dit alors de telles ou femblables pamoles. Au lieu que par cette Tranfition impreveue il previent le Lecteur, & la Transition eft faite avant que le Poëte même ait fongé qu'il la faifoit. Le veritable lieu donc où l'on doit ufer de cette Figure, c'eft quand le tems preffe, & que: |