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thetique maniere d'affirmer par des fermens fi extraordinaires, fi nouveaux, & fi dignes de foi, il fait entrer dans l'ame de fes Auditeurs comme une efpece de contre-poifon & d'antidote qui en chaffe toutes les mauvaises impreffions. Il leur éleve le courage par des louanges. En un mot il leur fait concevoir qu'ils ne doivent pas moins s'eftimer de la bataille qu'ils ont perduë contre Philippe, , que des victoires qu'ils ont remportées à Marathon & à Salamine, & par tous ces differens moiens renfermés dans une feule Fi

gure, il les entraîne dans fon parti. 11 y en a pourtant qui pretendent que l'original de ce ferment fe trouve dans Eupolis, quand il dit :

On ne me verra plus affligé de leur joie.
T'en jure mon combat aux champs de Marathon,

Mais il n'y a pas grande fineffe à jurer fimplement. Il faut voir où, comment, en qu'elle occafion, & pourquoi on le fait. Or dans le paffage de ce Poëte il n'y a rien autre chose qu'un fimple ferment. Car il parle là aux Atheniens heureux, dans un tems où ils n'avoient pas befoin de confolation. Ajoûtés que dans ce ferment il ne jure pas, comme Demofthene, par des Hommes qu'il rende Inmortels, & ne fonge point à faire naître dans l'ame des Atheniens des fentimens dignes de la vertu de leurs Anceftres veu qu'au lieu de jurer par le nom de ceux qui avoient combattu, il s'amufe à jurer parune chofe inanimée, telle qu'eft un combat, Au contraire dans Demofthene ce ferment eft fait direc tement pour rendre le courage aux Atheniens vaincus, & pour empêcher qu'ils ne regardent d'orefnavant comme un malheur, la bataille.

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de Cheronée. De forte que, comme j'ai déja dit, dans cette feule Figure, il leur prouve par raifon qu'ils n'ont point failli; il leur en fournit un exemple ; il le leur confirme par des fermens ; il fait leur éloge ; & il les exhorte à la guerre contre Philippe.

Mais comme on pouvoit répondre à nôtre Orateur; il s'agit de la bataille que nous avons perdue contre Philippe ; durant que vous maniés les affaires de la Republique, & vous jurés par les victoires que nos Ancêtres ont remportées. A fin donc de marcher feurement, il a foin de régler fes paroles, & n'emploie que celles qui lui font avantageuses: faifans voir, que même dans les plus grands emportemens il faut être fobre & retenu. En parlant donc de ces victoires de leurs Anceftres, il dit, ceux qui ont combattu par terre à Marathon, & par mer à Salamine, ceux qui ont donné bataille prés d'Artemife &de Platée. Il fe garde bien de dire ceux qui ont vaincu. Il a foin de taire l'évenement qui avoit été auffi heureux en toutes ces batailles, que funefte à Cheronée; & prévient même l'Auditeur en poursuivant ainfi : Tous ceux, Efchine, qui font pris en ces rencontres, ont été enterrés aux dépens de la Republique, & non pas feulement ceux dont la fortune a fecondé la valeur.

CHAPITRE X V.

Que les Figures ont befoin du Sublime pour les foûtenir.

ne faut pas oublier ici une reflexion que j'ai Faite, se que je vais vous expliquer en peu de mots : c'eft que files Figures naturellement foûtiennent le Sublime, le Sublime de fon côté foûtient merveilleufement les Figures: mais où, comment, c'est ce qu'il faut dire.

En premier lieu, il eft certain qu'un difcours où les Figures font emploïées toutes seules, eft de foi-même fufpect d'adreffe, d'artifice, & de tromperie. Principalement lorsqu'on parle devant un Juge fouverain, & fur tout fi ce Juge eft un grand Seigneur, comme un Tyran, un Roi, ou un Général d'armée: car il conçoit enlui-même une certaine indignation contre l'Orateur, & ne fçauroit fouffrir qu'un chetif Rhetoricien entreprenne de le tromper, comme un enfant, , par de groffiéres fineffes. Et même il eft à craindre quelquefois, que prenant tout Get artifice pour une efpece de mépris, il ne s'éfarouche entierement: & bien qu'il retienne fa colere, & fe laiffe un peu amollir aux charmes du difcours, il a toujours une forte repugnance à croire ce qu'on lui dir. C'est pourquoi il n'y a point de Figure plus excellente que celle qui eft tout-à-fait cachée, & lorfqu'on ne reconnoît point que c'est une Figure. Or il n'y a point de fecours ni de remede plus merveilleux pour l'empêcher de paroître,

que le Sublime & le Pathetique, parce que l'Ast ainsi renfermé au milieu de quelque chofe de grand & d'éclatant, a tout ce qui lui manquoit, & n'eft plus fufpect d'aucune tromperie. Je ne vous en fçaurois donner un meilleur exemple que celui que j'ai déja raporté.

Fen jure par les manes de ces grands Hommes,&C.. Comment eft-ce que l'Orateur a caché la figure dont il fe fert ? N'eft il pas aife de reconnoître que c'eft par l'éclat même de fa pensée ? Car comme les moindres lumieres s'évanouiffent, quand le Soleil vient à éclairer, de même toutes ces fubtilités de Rhetorique difparoiffent à la veuë de cette grandeur qui les environne de tous côtés. La même chose à peu prés arrive dans la peinture. En éfet, qu'on tire plufieurs lignes paralelles fur un même plan, avec les jours & les ombres, il eft certain que ce qui fe prefentera d'abord à la veue, ce fera le lumineux à caufe de fon grand éclat qui fait qu'il femble fortir hors du tableau, & s'aprocher en quelque façon de nous. Ainfi le Sublime & le Pathetique, foit par une affinité naturelle qu'ils ont avec les mouvemens de notre ame,. foit à caufe de leur brillant, paroiffent davantage & femblent toucher de plus prés nôtre efprit que les Figures, dont ils cachent l'Art, & qu'ils mettent comme à couvert.

CHAPITRE

Quions?

XV I..

Des Interrogations..

,

Ue dirai-je des Demandes & des interroga tions? Car qui peur nier que ces fortes de Figures ne donnent beaucoup plus de mouvement, d'action & de force au difcours ? Ne voulés vous jamais faire autre chofe, dit Demofthene aux Atheniens, qu'aller par la ville. vous demander les uns aux autres; Que dit on de nouveau que peut-on vous aprendre de plus nouveau, que ce que vous voiés ? Un Hom me de Macedoine fe rend maître des Atheniens

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fait la loy à toute la Grace. Philippe eft-il mort? dira l'un: Non, répondra l'autre, il n'eft que malade. Hé, que vous importe, Meffieurs qu'il vive ou qu'il meure? Quand le Ciel vous en auroit délivrés, vous vous feriés bien-tôt vous mêmes un autre Philippe.Et ailleurs, Embarquonsnous pour la Macedoine, mais où aborderons nous, dira qu'elqu'un, Malgré Philippe? La guerre même, Meffieurs, nous decouvrira par où Philippe. eft facile à vaincre. S'il eût dit la chofe fimple ment, fon difcours n'eût point répondu à la majefté de l'affaire dont il parloit: au lieu que par cette divine & violente maniere de fe faire des interrogations & de fe répondre fur le champ à foi-même, comme fi c'étoit une autre perfonne, non feulement il rend ce qu'il dit plus grand & plus fort; mais plus plaufible & plus vrai- femblable. Car le Pathetique ne fait jamais plus. d'éfet que lorfqu'il femble que l'Orateur ne le

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