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S'il y a un Art particulier du Sublime, & des trois vices qui lui font opposés.

I

L faut voir d'abord, s'il y a un Art particulier du Sublime. Car il fe trouve des gens qui s'imaginent, que c'eft une erreur de le vouloir reduire en Ait, & d'en donner des preceptes. Le Sublime, difent-ils, naît avec nous, & ne s'apprend point. Le feul Art pour y parvenir, c'est d'y être né. Et mêmes, à ce qu'ils pretendent, il y a des Ouvrages que la nature doit produire toute feule. La contrainte des preceptes ne fait que les affoiblir, & leur donner une certaine fechereffe, qui les rend maigres & decharnés, Mais je foûtiens, qu'à bien prendre les chofes, on verra clairement tout le contraire.

Et à dire vrai, quoi que la Nature ne fe montre jamais plus libre que dans les Difcours Sublimes & Pathetiques, il eft pourtant aisé de reconnoître qu'elle ne fe laiffe pas conduire au hazard, & qu'elle n'eft pas abfolument ennemie de l'Art & des régles. J'avoue que dans toutes nos productions if la faut toûjours fupofer comme la baze, le principe, & le premier fondement. Mais auffi il eft certain que nôtre esprit a befoin d'une methode pour lui enfeigner à ne dire que ce qu'il faut, & à le dire en fon lieu, & que cette methode peut beaucoup contribuer a nous acquerir la parfaite habitude du Sublime. Car comme les Vaiffeaux font en danger de perir, lors qu'on les abandonne à leur feule lege

reté, & qu'on ne fçait pas leur donner la charge & le poids qu'ils doivent avoir. Il en eft ainfi du Sublime, fi on l'abandonne à la feule impetuofité d'une Nature ignorante & temeraire. Nôtre efprit affés fouvent n'a pas moins befoin de bride que d'éperon. Demofthene dit en quelque endroit, que le plus grand bien qui puiffe nous arriver dans la vie c'est d'être heureux mais qu'il y en a encore un autre qui n'eft pas moindre, & fans lequel ce premier ne fçauroit fubfifter, qui eft de Sçavoir fe conduire avec prudence. Nous en pouvons dire autant à l'égard du Difcours. La Nature eft ce qu'il y a de plus neceffaire pour arriver au Grand: toutefois fi l'Art ne prend foin de la conduire c'eft une aveugle qui ne fçait où elle va.********* Telles font ces penfées : Les torrens de flamme entortillés. Vomir contre le Ciel,Faire de Boréefon: joueur de flutes, & toutes les autres façons de parler dont cette piece eft pleine. Car elles ne font pas grandes & tragiques, mais enflées & ex. travagantes. Toutes ces phrafes ainfi embarraffées de vaines imaginations troublent & gâtent: plus un difcours, qu'elles ne fervent à l'élever. De forte qu'à les regarder de prés & au grand jour, ce qui paroiffoit d'abord fi terrible devient: tout à coup for & ridicule. Que fi c'est un défaut infuportable dans la Tragedie, qui eft naturellement pompeufe & magnifique, que de s'enfer mal à propos; A plus forte raifon doit-il être condamné dans le difcours ordinaire. De là vient qu'on s'eft raillé de Gorgias, pour avoir apellé Xerces, le Jupiter des Perfes

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*L'Auteur avoit parlé du Stileenflé, & citoit à propos de cela les fotrifes d'un Poète tragique › dont voici quelques reftes. Voiles Remarques.

& les Vautours, des Sepulchres animés. On n'a pas été plus indulgent pour Callifthene, qui en certains endroits de fes écrits ne s'éleve pas proprement, mais fe guinde fi haut qu'on le perd de veuë. De tous ceux-là pourtant je n'en voi point de fi enflé que Clitarque. Cet Auteur n'a que du vent & de l'écorce, il reffemble à un homme qui pour me fervir des termes de Sophocle,ouvre une grande bouche, pour foußer dans une petite flute. Il faut faire le même jugement d'Amphicrate,d'Hegefias & de Matris. Ceux-ci quelquefois s'imaginant qu'ils font épris d'un enthoufiafme & d'une fureur divine, au lieu de tonner, comme ils penfent, ne font que niaizer & que badiner comme des enfans.

Et certainement en matiere d'éloquence il n'y a rien de plus difficile à éviter que l'enflure. Car comme en toutes chofes naturellement nous cherchons le Grand, & que nous craignons fur tout d'être acufés de fechereffe ou de peu de force; il arrive, je ne fçai comment, que la plufpart tombent dans ce vice: fondés fur cette maxime commune ;.

Dans un noble projet on tombe noblement.

Cependant il eft certain que l'Exflure n'eft pas moins vicieufe dans le Difcours que dans les corps. Elle n'a que de faux dehors & une aparence trompeufe: mais au dedans elle eft creufe & vuide, & fait quelquefois un éfet tout contraire au Grand. Car comme on dit fort bien, Il n'y a rien de plus fec qu'un Hydropique.

Aurfte le défaut du Stile enflé, c'est d: vouloir aller au delà du Grand. Il en est tout au contraire du Puerile. Car il n'y a rien de fi bas de fi petit, ni de fi opofé à la nobleffe du Di

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Qu'eft ce donc que Puerilité ? Ce n'est vifiblement autre chofe qu'une penfée d'Ecolier, qui pour être trop recherchée devient foible.. C'est le vice où tombent ceux qui veulent toûjours dire quelque chofe d'extraordinaire & de brillant mais fur tout ceux qui cherchent avec. tant de foin le plaifant & l'agreable. Parce qu'à. la fin, pour s'atacher trop au Stile figuré, ils tombent dans une fotte afectation.

Il y a encore un troifiéme défaut opofé au Grand, qui regarde le Pathetique, Theodore L'apelle une fureur hors de faifon lors qu'on s'échauffe mal à propos, ou qu'on s'emporte avec excés, quand le fujet ne permet que de s'échauffer mediocrement. En éfet, on voit trés fouvent des Orateurs, qui comme s'ils étoient yvres, fe laiffent emporter à des paffions qui ne conviennent point à leur fujet, mais qui leur font propres & qu'ils ont aporté de l'Ecole : fi bien que comme on n'eft point touché de ce qu'ils difent, ils fe rendent à la fin odieux & infuportables. Car c'eft ce qui arrive neceffairement à ceux qui s'emportent & fe débatent mal à propos devant des gens qui ne fout point du tout émûs. Mais nous parlerons en un autre endroit de ce qui concerne les paffions.

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CHAPITRE III

Du Stile Froid.

Our ce qui eft de ce Froid ou Puerile dont nous parlions. Timée en est tout plein. Cet Auteur eft affés habile homme d'ailleurs; il ne manque pas quelquefois par le Grand & le Su

blime. Il fçait beaucoup, & dit même les chofes d'affés bon fens: Si ce n'eft qu'il eft enclin naturellement à reprendre les vices des autres, quoi qu'aveugle pour fes propres défauts, & fi curieux au reste d'êtaler de nouvelles pensées, que cela le fait tomber affés fouvent dans la derniere Puerilité. Je me contenterai d'en donner ici un ou deux exemples: parce que Cecilius en a déja raporté un affés grand nombre. En voulant loüer Alexandre le Grand. Il a dit-il, conquis toute l'Afie en moins de tems, qu'Ifocrate n'en a employé à compofer fon Panegirique. Voilà fans mentir une comparaison admirable d'Alexandre le Grand avec un Rheteur. Par cette raifon, Timée, il s'enfuivra que les Lacedemoniens le doivent ceder à Ifocrate : puis qu'ils furent trente ans à prendre la ville de Meffene, & que celui-ci n'en mit que dix à faire fon Panegirique.

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Mais à propos des Atheniens qui étoient prifonniers de guerre dans la Sicile, de quelle exclamation penferiés-vous qu'il fe ferve? 11 dit: Que c'étoit une punition du Ciel, à cause de leur impieté envers le Dieu Hermés, autrement Mercure, & pour avoir mutilé fes Statuës. Parce qu'il y avoit un des Chefs de l'armée ennemie qui tiroit fon nom d'Hermés de pere en fils, fçavoir Hermocrate fils d'Hermon. Sans mentir, mon cher Terentianus, je m'étonne qu'il n'ait dit auffi de Denys le Tyran, que les Dieux permi rent qu'il fut chaffé de fon Royaume par b Dion & par Heraclide, à caufe de fon peu de refpect à l'égard de Dios & d'Heraclés, c'eft à dire de Fupiter & d'Hercule.

a Hermés en Grec veut dire Mercure. Ζιυς, Δέος ο Ηρακλὺς

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