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l'on trouve en la plupart de nos poëmes dramatiques', et auquel il semble que la négligence des poètes ait accoutumé les spectateurs. Mais l'auteur de celui-ci s'étant mis si à l'étroit pour y faire rencontrer l'unité du jour, devoit bien aussi s'efforcer d'y faire rencontrer celle du lieu, qui est bien autant nécessaire que l'autre, et, faute d'être observée avec soin, produit dans l'esprit des spectateurs autant ou plus de confusion et d'obscurité.

A l'examen de ce que l'observateur appelle conduite succède celui de la versification, laquelle ayant été reprise sans grand fondement en beaucoup de lieux, et passée pour bonne en beaucoup d'autres où il y avoit grand sujet de la condamner, nous avons jugé nécessaire, pour la satisfaction du public, de montrer en quoi la censure des vers a été bonne ou mauvaise, et en quoi l'observateur eût eu encore juste raison de les reprendre. Toutefois nous n'avons pas cru qu'il nous fallût arrêter à tous ceux qui n'ont d'autre défaut que d'être foibles et rampants, le nombre desquels est trop grand et trop facile à connoître pour y employer notre temps.

1 C'est aussi souvent le défaut des décorateurs et des comédiens. Une action se passe, tantôt dans le vestibule d'un palais, tantôt dans l'intérieur, sans blesser l'unité de lieu; mais le décorateur blesse la vraisemblauce en ne représentant pas ce vestibule et cet appartement. Ce serait un soulagement pour l'esprit et un plaisir pour les yeux de changer la scène à mesure que les personnages sont supposés passer d'un lieu à un autre dans la même enceinte.

SENTIMENTS DE L'ACADÉMIE

SUR LES VERS DU CID.

ACTE PREMIER.

SCÈNE PREMIÈRE.

Entre tous ces amants dont la jeune ferveur.

Ce mot de ferveur est plus propre pour la dévotion que pour l'amour; mais, supposé qu'il fût aussi bon en cet endroit qu'ardeur ou désir, jeune s'y accommoderoit fort bien, contre l'avis de l'observateur.

Ce n'est pas que Chimène écoute leurs soupirs,
Ou d'un regard propice anime leurs désirs.

La remarque de l'observateur n'est pas considérable, qui juge qu'il falloit dire ou que d'un regard propice elle anime, etc., parce que ces deux vers ne contiennent pas deux sens différents pour obliger à dire ou qu'elle anime.

Elle n'ôte à pas un, ni donne l'espérance.

Il falloit ni ne donne'; et l'omission de ce ne, avec la transposition de pas un, qui devoit être à la fin, font que la phrase n'est pas françoise.

1 Peut-être faudrait-il laisser plus de liberté à la poésie, à l'exemple de tous nos voisins. Ce vers serait fort beau :

Je ne vous ai ravi ni donné la couronne ;

il est très français; ni n'ai donne le gâterait.

Don Rodrigue surtout n'a trait en son visage

Qui d'un homme de cœur ne soit la haute image.

C'est une hyperbole excessive' de dire que chaque trait d'un visage soit une image; et haute n'est pas une épithète propre en ce lieu; outre que surtout est mal placé; ce qui l'a fait paroître bas à l'observateur.

A passé pour merveille.

Cette façon de parler a été mal reprise par l'observateur. 2

Ses rides sur son front ont gravé ses exploits.

Les rides marquent les années, mais ne gravent point les exploits.

L'heure à présent m'appelle au conseil qui s'assemble.

A présent est bas et inutile, comme a remarqué l'observateur; et qui s'assemble n'est pas inutile comme il a cru.

SCÈNE II.

Et que tout se dispose à leurs contentements. Il eût été mieux à leur contentement.

Deux mots dont tous vos sens doivent être charmés.

Cela est mal repris par l'observateur, parce qu'en poésie tous les sens signifient le sens intérieur, c'est-à-dire de l'âme, et que dans une extrême joie les sens extérieurs même sont comme charmés.

Puis-je à de tels discours donner quelque croyance ?

Il valoit mieux dire à ce discours; car n'ayant dit que on ne peut pas dire qu'elle ait fait des discours.

deux mots,

1 N'a trait en son visage est familier: mais l'hyperbole n'est peut-être pas trop forte; car il serait très permis de dire, tous les traits de son visage annoncent un héros.

2 A passé pour merveille ne se dirait pas aujourd'hui, parce que cette expression est triviale.

*

* Elle peut l'être devenue, mais alors elle ne l'était pas, P.

SCÈNE III.

L'informer avec soin comme va son amour.

L'observateur a bien repris cet endroit; il falloit dire vous

informer d'elle.

Madame, toutefois.

En cet hémistiche, toutefois est mal placé.

Mets la main sur mon cœur,

Et vois comme il se trouble au nom de son vainqueur.

:

En tout cet endroit, le nom de Rodrigue n'a point été prononcé elle veut peut-être entendre son nom par ce jeune chevalier; mais il le désigne seulement, et ne le nomme pas.

Mais je n'en veux point suivre où ma gloire s'engage.

Ce dernier mot ne dit pas assez pour signifier ma gloire court fortune.

A pousser des soupirs pour ce que je dédaigne.

Dédaigne dit trop pour sa passion, car en effet elle l'estimoit; elle vouloit dire pour ce que je devrois dédaigner.

Je le crains et souhaite.

L'usage veut que l'on répète l'article le, d'autant plus que les deux verbes sont de signification fort différente, et qu'autrement le mot de souhaite, sans l'article, fait attendre quelque chose ensuite.

Ma gloire et mon amour ont tous deux tant d'appas,
Que je meurs s'il s'achève et ne s'achève pas.

Le premier vers ne s'entend point, et le second est bien repris par l'observateur: il falloit dire s'il s'achève et s'il ne s'achève pas, parce que cet et conjoint ce qui se doit séparer.

A vos esprits flottants.

L'observateur a mal repris cet endroit, parce que les pas

sions sont comme des vents qui agitent l'esprit, et donnent lieu à la métaphore; et quant au pluriel esprits, il se peut fort bien mettre en poésie pour signifier l'esprit.

Pour souffrir la vertu si long-temps au supplice.

Cette expression n'est pas achevée: on ne dit point souffrir quelqu'un au supplice, mais bien souffrir que quelqu'un soit au supplice; outre qu'étre au supplice laisse une fâcheuse image en l'esprit.

Ma plus douce espérance est de perdre l'espoir.

Ce vers est beau, et l'observateur l'a mal repris, parce qu'elle ne pouvoit rien espérer de plus avantageux pour sa guérison que de voir Rodrigue tellement lié à Chimène, qu'elle n'eût plus lieu d'espérer sa possession.

Par vos commandements, Chimène vous vient voir.

Ce vers est bas, et la façon de parler n'est pas françoise, parce qu'on ne dit point un tel vous vient voir par vos commandements.

Cet hyménée à trois également importe.

Ce vers est mal tourné; et à trois après hyménée dans le repos du vers fait un fort mauvais effet.

SCÈNE IV.

Vous élève en un rang.

Cela n'est pas françois : il faut dire élever à un rang.

Mais le roi m'a trouvé plus propre à son désir.

Ce n'est pas bien parler de dire plus propre à son désir; il falloit dire plus propre à son service, ou bien plus selon

son désir.

Instruisez-le d'exemple.

Cela n'est pas françois il falloit dire instruisez-le par l'exemple de', etc.

1 Instruire d'exemple me paraît faire un très bel effet en poésie; cette

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