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PREUVES DES PASSAGES

Allégués dans les Observations sur le Cid par M. DE SCUDERI, adressées à Messieurs de l'Académie françoise, pour servir de réponse à la Lettre apologétique de M. CORNeille.

M. CORNEILLE témoigne, par sa réponse aux observations sur le Cid, qu'il est très éloigné de la modération d'un auteur, qui, persuadé de la bonté de son ouvrage, attend un jugement favorable de l'intégrité de ses juges; puisqu'au lieu de se donner l'humilité d'un accusé, il occupe la place des juges, et se loge lui-même à ce premier lieu, où personne n'oseroit seulement dire qu'il prétend. C'est de cette haute région que sa plume, qu'il croit aussi foudroyante que l'éloquence de Périclès, lui a fait croire que des injures étoient assez fortes pour détruire tout mon ouvrage, et que sans combattre mes raisons par d'autres, il lui suffiroit seulement de dire que j'ai cité faux. Mais sans repartir à ses invectives, je me veux toujours conserver cette froideur, qui donne aisément les victoires, et qui fait que le jugement conduisant la main, l'avantage du combat est chose indubitable, Je me tairai donc pour le vaincre, et pour laisser parler Aristote qui lui veut répondre pour moi.

J'ai dit en mes observations que le poëme dramatique ne doit avoir qu'une action principale; ce philosophe me l'enseigne en sa Poétique, aux chapitres IX, XXiv et xxvi. J'ai avancé qu'il faut nécessairement que le sujet soit vraisemblable ; ce même Aristote me l'enseigne en trois lieux différents du chap. xxv du même livre, et je pense avoir montré bien clairement que le Cid choque partout cette

règle. J'ai soutenu que le poète et l'historien ne doivent pas suivre-la même route; ce philosophe me l'apprend au chapitre x de son Art poétique; et ensuite j'ai montré que le sujet du Cid étoit bon pour l'historien, et qu'il ne valoit rien pour le poète. J'ai donné la définition du mot de fable, après l'avoir apprise d'Aristote au chapitre vi vers le commencement, et d'Heinsius, au livre de la Constitution de la tragédie, chap. I. J'ai dit ensuite que les anciens s'étoient retranchés dans un petit nombre de sujets qu'ils avoient presque tous traités pour éviter les fautes qu'a faites l'auteur du Cid. Aristote m'en assure au chap. xiv de sa Poétique, et après lui Heinsius est mon garant au chap. ix du livre que j'ai déjà cité de lui. J'ai dit qu'ils avoient traité ces sujets diversement; mais je ne l'ai dit qu'après Aristote et Heinsius', l'un au chap. xvii, l'autre au chap. I. Pour montrer la disproportion du Cid en toutes ses parties, je me suis servi de la comparaison de tous les corps physiques, mais je n'ai fait que l'emprunter d'Aristote, qui s'en sert au chap. viii de son Art poétique. J'ai montré que le poëme dramatique ne doit contenir que ce qui peut vraisemblablement arriver dans vingt-quatre heures ; c'est l'opinion de ce grand Stagirite, au chap. VIII; et ensuite j'ai fait voir que l'auteur du Cid avoit eu tort d'enfermer dans vingt-quatre heures, des choses qui dans l'histoire n'arrivent que dans quatre ans. Je me suis servi de l'exemple des tragédies de Niobé et de Jephté pour montrer l'imperfection du Cid; mais je les ail prises d'Heinsius au chap. xvi vers la fin. J'ai dit que c'étoit pour des ouvrages de la nature du Cid que Platon n'admettoit point la poésie; il me l'apprend lui-même au livre de sa République, et Heinsius le rapporte au Traité de la Satire d'Horace livre II. J'ai dit que ce philosophe, qui a mérité le nom de divin, bannissoit toute la poésie pour celle qui, comme le Cid, fait voir les méchantes actions sans les punir, et les bonnes sans les récompenser. Aristote me l'enseigne au chap. Iv de sa Poétique, et après lui

Heinsius au livre de la Constitution de la tragédie, chap. 1 et xiv. J'ai dit que Platon bannissoit Homère, encore qu'il l'eût couronné; on le peut voir au livre x de sa République, ou dans Heinsius au Traité de la Satire d'Horace, livre п1. J'ai dit en passant qu'il y a trois espèces de poésies : c'est Heinsius qui me l'apprend au chap. I de la Constitution tragique. J'ai dit que ce qu'on voit touche plus que ce qu'on ne fait qu'entendre; c'est Horace qui l'assure en son Art poétique. J'ai soutenu qu'il faut que les actions soient la plupart bonnes dans un poëme de théâtre; Aristote l'enseigne ainsi au chap. xvIII de sa Poétique; et après j'ai fait voir que toutes celles du Cid ne valent rien. J'ai rapporté l'exemple d'Euripide; Heinsius l'a fait devant moi au chap. xiv de la Constitution tragique. J'ai cité Marcellin au livre xxvII; on le peut voir, ou bien Heinsius au Traité de la Satire d'Horace livre II et c'est en cet endroit que j'ai montré que le Cid choque directement les bonnes mœurs. J'ai dit sur ce sujet que la volonté fait le mariage; mais je ne l'ai dit qu'après les canonistes et les jurisconsultes au titre des Noces. Tout ce que j'ai avancé touchant le sujet simple ou mixte est rapporté d'Aristote au chap. I de son Art poétique, dans lequel on voit la condamnation du Cid. J'ai soutenu qu'il ne faut rien de superflu dans la scène ; ce philosophe me l'enseigne au chap. ix du même livre; et ensuite j'ai montré les fautes de cette nature qu'on peut remarquer au Cid. Je me suis servi de l'exemple de l'Ajax de Sophocle; on peut voir ce que j'en ai dit dans la traduction qu'en a faite Joseph Scaliger, ou dans Heinsius' chap. vi de sa Constitution tragique. J'ai fait voir quels doivent être les épisodes; mais ce n'est qu'après Aristote, qui me l'enseigne aux chap. x et xvi de sa Poétique; et c'est par lui que j'ai montré bien clairement que ceux du Cid ne valent rien du

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Cet Heinsius était, comme Scudéri, un très mauvais poète, auteur d'une plate amplification latine, appelée tragédie, dont le sujet est le massacre de ce qu'on appelle les Innocens.

tout. Je me suis fortifié de l'exemple de Teucer et de Ménélaus, après Heinsius au chap. vi de la Constitution de la tragédie, et Scaliger le fils dans ses poésies. Il n'est pas jusqu'aux chœurs et à la musique dont j'ai parlé, que je ne prouve par Heinsius aux chap. xvii et xxvi. Enfin on peut lire tout ce que j'ai cité dans ces auteurs, et dans ces passages que je marque, et l'on verra que la réponse de M. Corneille est aussi foible que ses injures 1 et que s'il ne se défend mieux que cela, je n'aurai pas besoin de toutes mes forces pour l'empêcher de se relever.

1 Mais n'est-ce pas Scudéri qui, le premier, a dit des injures? et n'estce pas la méthode de tous ces barbouilleurs de papier, comme les Fréron, les Guion, et autres malheureux de cette espèce, qui attaquent insolemment ce qu'on estime, et qui ensuite se plaignent qu'on se moque d'eux?

LETTRE DE M. DE SCUDERI

A L'ACADÉMIE FRANÇOISE.

MESSIEURS,

1

PUISQUE M. Corneille m'ôte le masque, et qu'il veut que l'on me connoisse, j'ai trop accoutumé de paroître parmi les personnes de qualité pour vouloir encore me cacher : il m'oblige peut-être, en pensant me nuire; et si mes observations ne sont pas mauvaises, il me donne lui-même une gloire dont je voulois me priver. Enfin, messieurs, puisqu'il veut que tout le monde sache que je m'appelle Scudéri, je l'avoue. Mon nom, que d'assez honnêtes gens ont porté avant moi, ne me fera jamais rougir, vu que je n'ai rien fait, non plus qu'eux, d'indigne d'un homme d'honneur. Mais comme il n'est pas glorieux de frapper un ennemi que nous avons jeté par terre, bien qu'il nous dise des injures, et qu'il est comme juste de laisser la plainte aux affligés, quoiqu'ils soient coupables, je ne veux point repartir à ses outrages par d'autres, ni faire, comme lui, d'une dispute académique une querelle de crocheteur, ni du Lycée un marché public. Il suffit qu'on sache que le sujet qui m'a fait écrire est équitable, et qu'il n'ignore pas lui-même que j'ai raison d'avoir écrit. Car de vouloir faire croire que l'envie a conduit ma plume, c'est ce qui n'a non plus d'apparence que de vérité, puisqu'il est impossible que je sois atteint de ce vice, pour

1 Ge Scudéri est un modeste personnage !

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