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N'ôtez pas à ses murs un si puissant appui ;
Et souffrez, pour finir, que je m'adresse à lui.

Horace, ne crois pas que le peuple stupide
Soit le maître absolu d'un renom bien solide.
Sa voix tumultueuse assez souvent fait bruit,
Mais un moment l'élève, un moment le détruit,
Et ce qu'il contribue à notre renommée

Toujours en moins de rien se dissipe en fumée.
C'est aux rois, c'est aux grands, c'est aux esprits bien faits
A voir la vertu pleine en ses moindres effets ;
C'est d'eux seuls qu'on reçoit la véritable gloire,
Eux seuls des vrais héros assurent la mémoire.
Vis toujours en Horace; et toujours auprès d'eux
Ton nom demeurera grand, illustre, fameux,
Bien que l'occasion, moins haute, ou moins brillante,
D'un vulgaire ignorant trompe l'injuste attente.
Ne hais donc plus la vie, et du moins vis pour
pour servir encor ton pays et ton roi.
Sire, j'en ai trop dit : mais l'affaire vous touche;
Et Rome tout entière a parlé par ma bouche.

Et

VALÈRE.

Sire, permettez-moi....

TULLE.

Valère, c'est assez ;
effacés ;

Vos discours les leurs ne sont pas par

moi,

J'en garde en mon esprit les forces plus pressantes,
Et toutes vos raisons me sont encor présentes.

1

1 Force s'emploie au pluriel pour les forces du corps, pour celles d'un état, mais non pour un discours. Plus est une faute.

Cette énorme action faite presqu'à nos yeux
Outrage la nature, et blesse jusqu'aux dieux.
Un premier mouvement qui produit un tel crime
Ne sauroit lui servir d'excuse légitime:

Les moins sévères lois en ce point sont d'accord;
Et, si nous les suivons, il est digne de mort.
Si d'ailleurs nous voulons regarder le coupable,
Ce crime, quoique grand, énorme, inexcusable,
Vient de la même épée, et part du même bras
Qui me fait aujourd'hui maître de deux états.
Deux sceptres en ma main, Albe à Rome asservie,
Parlent bien hautement en faveur de sa vie :
Sans lui j'obéirois où je donne la loi,

Et je serois sujet où je suis deux fois roi.
Assez de bons sujets dans toutes les provinces

Par des vœux impuissants s'acquittent vers leurs princes;
Tous les peuvent aimer: mais tous ne peuvent pas
Par d'illustres effets assurer leurs états;

Et l'art et le pouvoir d'affermir des couronnes
Sont des dons que le ciel fait à peu de personnes.
De pareils serviteurs sont les forces des rois,
Et de pareils aussi sont au-dessus des lois.
Qu'elles se taisent donc ; que Rome dissimule
que dès sa naissance elle vit en Romule;
Elle peut bien souffrir en son libérateur

Ce

Ce qu'elle a bien souffert en son premier auteur.
Vis donc, Horace; vis, guerrier trop magnanime:
Ta vertu met ta gloire au-dessus de ton crime;
Sa chaleur généreuse a produit ton forfait;
D'une cause si belle il faut souffrir l'effet.

Vis pour servir l'état; vis, mais aime Valère :
Qu'il ne reste entre vous ni haine ni colère;
Et soit qu'il ait suivi l'amour ou le devoir,
Sans aucun sentiment' résous-toi de le voir.
Sabine, écoutez moins la douleur qui vous presse ;
Chassez de ce grand coeur ces marques de foiblesse :
C'est en séchant vos pleurs que vous vous montrerez
La véritable sœur de ceux que vous pleurez.

Mais nous devons aux dieux demain un sacrifice;
Et nous aurions le ciel à nos vœux mal propice,
Si nos prêtres, avant que de sacrifier,
Ne trouvoient les moyens de le purifier:
Son père en prendra soin; il lui sera facile
D'apaiser tout d'un temps les mânes de Camille.
Je la plains; et pour rendre à son sort rigoureux
Ce que peut souhaiter son esprit amoureux,
Puisqu'en un même jour l'ardeur d'un même zèle
Achève le destin de son amant et d'elle,

Je veux qu'un même jour, témoin de leurs deux morts, En un même tombeau voie enfermer leurs corps.

SCÈNE IV.a

JULIE.

CAMILLE, ainsi le ciel t'avoit bien avertie
Des tragiques succès qu'il t'avoit préparés;

Il faudrait ressentiment.

Ce commentaire de Julie sur le sens de l'oracle a été retranché dans les éditions suivantes : il est visiblement imité de la fin du

Mais toujours du secret il cache une partie
Aux esprits les plus nets et les plus éclairés.

Il sembloit nous parler de ton proche hyménée,
Il sembloit tout promettre à tes vœux innocents;
Et, nous cachant ainsi ta mort inopinée,

Sa voix n'est que trop vraie en trompant notre sens.

« Albe et Rome aujourd'hui prennent une autre face. << Tes vœux sont exaucés; elles goûtent la paix; « Et tu vas être unie avec ton Curiace,

« Sans qu'aucun mauvais sort t'en sépare jamais.

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Pastor fido; mais dans l'italien cette explication fait le dénoûment; elle est dans la bouche de deux pères infortunés; elle sauve la vie au héros de la pièce. Ici, c'est une confidente inutile qui dit une chose inutile. Ces vers furent récités dans les premières représentations.

Les lecteurs raisonnables trouveront bon sans doute qu'on ait ainsi remarqué avec une équité impartiale les grandes beautés et les défauts de Corneille, et qu'on poursuive dans cet esprit. Un commentateur n'est pas un avocat qui cherche seulement à faire valoir en tout la cause de sa partie; et ce serait trahir la mémoire de Corneille que de ne pas imiter la candeur avec laquelle il se juge lui-même. On doit la vérité au public.

FIN D'HORACE.

EXAMEN D'HORACE.

C'EST

EST une croyance assez générale que cette pièce pourroit passer pour la plus belle des miennes, si les derniers actes répondoient aux premiers. Tous veulent que la mort de Camille en gâte la fin, et j'en demeure d'accord; mais je ne sais si tous en savent la raison. On l'attribue communément à ce qu'on voit cette mort sur la scène ; ce qui seroit plutôt la faute de l'actrice que la mienne, parce que, quand elle voit son frère mettre l'épée à la main, la frayeur, si naturelle au sexe, lui doit faire prendre la fuite, et recevoir le coup derrière le théâtre, comme je le marque dans cette impression. D'ailleurs, si c'est une règle de ne le point ensanglanter, elle n'est pas du temps d'Aristote, qui nous apprend que, pour émouvoir puissamment, il faut de grands déplaisirs, des blessures et des morts en spectacle. Horace ne veut pas que nous y hasardions les événements trop dénaturés, comme de Médée qui tue ses enfants; mais je ne vois pas qu'il en fasse une règlė générale pour toutes sortes de morts, ni que l'emportement d'un homme passionné pour sa patrie contre une sœur qui la maudit en sa présence avec des imprécations horribles soit de même nature que la cruauté de cette mère. Sénèque l'expose aux yeux du peuple en dépit d'Horace; et, chez Sophocle, Ajax ne se cache point aux spectateurs lorsqu'il se tue. L'adoucissement que j'apporte dans le second de ces discours pour rectifier la mort de Clytemnestre ne peut être propre ici à

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