Ce n'est donc pas assez z; et de la part des Muses, Ariste, c'est en vers qu'il vous faut des excuses; Et la mienne pour vous n'en plaint pas la façon : Il ne peut rendre hommage à cette tyrannie; Il ne se leurre point d'animer de beaux chants, Il rit du désespoir de tous ses envieux. Ce trait est un peu vain, Ariste, je l'avoue; 1 Voici cette épître de Corneille qu'on prétend qui lui attira tant d'ennemis; mais il est très vraisemblable que le succès du Cid lui en fit bien davantage. Elle paraît écrite entièrement dans le goût et dans le stylẻ de Régnier, sans grâce, sans finesse, sans élégance, sans imagination; mais on y voit de la facilité et de la naïveté. * ་ ་། 1 * Le style de Régnier était encore très convenable dans un ouvrage de ce genre. Ce qui nous paraît singulier, c'est qu'en y reconnaissant de la facilité `et de la naïveté, Voltaire semble oublier que ces deux qualités sont des grâces. P. 1 Mais faut-il s'étonner d'un poète qui se loue? 2 Je sais ce que je vaux ; et crois ce qu'on m'en dit. : Je satisfais ensemble et peuple et courtisans, e't 1 Les mots poète, oüate, étaient alors de deux syllabes en vers. Boileau, qui a beaucoup servi à fixer la langue, a mis trois syllabes à tous les mots de cette espèce. Si son astre en naissant ne l'a formé poète, Où sur l'oüate molle éclate le tabis. 9D 2 Ce vers désigne tous ses rivaux, qui cherchaient à se faire des protec teurs et des partisans, et cet endroit les souleva tous. Je ne dois qu'à moi seul toute ma renommée ; 1 Ce vers et le précédent étaient d'autant plus révoltans, qu'il n'avait fait encore aucun de ces ouvrages qui ont rendu son nom immortel : il n'était connu que par ses premières comédies, et par sa tragédie de Médée, pièces qui seraient ignorées aujourd'hui, si elles n'avaient été soutenues depuis par ses belles tragédies. Il n'est pas permis d'ailleurs de parler ainsi de soi-même. On pardonnera toujours à un homme célèbre de se moquer de ses ennemis, et de les rendre ridicules; mais ses propres amis ne lui pardonneront jamais de se louer. * * Il est sans doute plus adroit d'allier à beaucoup d'orgueil une modestie apparente; mais le jugement de Voltaire n'est-il pas un peu trop sévère ? On sait que les poètes anciens se permettaient de parler d'eux-mêmes et de leurs ouvrages avec infiniment moins de réserve; et l'exemple en était chez eux si commun , que cette liberté semblait être devenue un des priviléges de la poésie : disait Horace. Exegi monumentum ære perennius, Jamque opus exegi quod nec Jovis ira, nec ignes, disait Ovide avec une confiance plus avantageuse encore. 2 Si des anciens nous passons aux modernes, Malherbe avait osé dire: Ce que Malherbe écrit dure éternellement. s'il Le philosophe de Genève, qui n'était pas poète, disait naïvement que, existait en Europe un seul gouvernement éclairé, il eût élevé des statues à l'auteur d'Emile. Voltaire enfin était-il lui-même si modeste ? Comparez les vers de Corneille aux traits que nous venons de citer, et jugez. Nous ne voyons dans ces vers qu'un sentiment de franchise naïve, et très compatible avec ce caractère de simplicité qui sied au génie. Toute la question se réduit à savoir s'il y a moins d'orgueil dans une modestie simulée que dans cette franchise. On n'accuserait pas un homme de vanité parce qu'il aurait la conscience de sa force physique : pourquoi le génie ne sentirait-il aussi sa supériorité? Mais les écrivains médiocres oseraient se louer avec plus de confiance encore: eh bien! on s'en vengerait par des éclats de rire. P. pas Et me vante moi-même, au lieu de m'excuser. Revenons aux chansons que l'amitié demande. J'ai brûlé fort long-temps d'une amour assez grande, i Mon bonheur commença quand mon âme fut prise. Que ce divin esprit faisoit de notre rime Me fit devenir poète aussitôt qu'amoureux : Elle eut mes premiers vers, elle eut mes premiers feux; Je me trouve toujours en état de l'aimer; 1 Il avait aimé très passionnément une dame de Rouen, nommée madame du Pont, femme d'un maître des comptes de la même ville, qui était parfaitement belle, qu'il avait connue toute petite fille pendant qu'il étudiait à Rouen, au collège des Jésuites, et pour qui il fit plusieurs petites pièces de galanterie qu'il n'a jamais voulu rendre publiques, quelques instances que lui aient faites ses amis : il les brûla lui-même environ deux ans avant sa mort. Il lui communiquait la plupart de ses pièces avant de les mettre au jour; et, comme elle avait beaucoup d'esprit, elle les critiquait fort judicieusement; en sorte que M. Corneille a dit plusieurs fois qu'il lui était redevable de plusieurs endroits de ses premières pièces. (Note ancienne, qui se trouve dans les éditions de Corneille.) Vous le dirai-je, ami? tant qu'ont duré nos flammes, 1 Une voix ravissante, ainsi que son visage, amorce Si mon génie étoit pour épargner sa force : |