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mais heureusement il tomba et les conviés eurent le loisir de se jetter entre deux. Le plus difficile fut d'obtenir d'Alexandre qu'il ne s'obstinât pas à se perdre. Outré de tant d'injures atroces, il exhala son ressentiment par cette amère raillerie : Est-ce là, dit-il, Macédoniens, ce chef qui vous conduira d'Europe en Asie, lui qui ne peut passer d'une table à l'autre sans s'exposer à se rompre le col? Après cette insulte il sortit, et ayant pris sa mère Olympias, il la mena en Epire, et lui de son côté se retira en Illyrie.

Quelques tems après arriva à la cour Demarate de Corinthe, qui étoit lié avec Philippe par les liens de l'hospitalité, et qui étoit très-libre et très-familier avec lui. Après les premières civilités, Philippe lui demanda si les Grecs étoient en bonne intelligence entr'eux. Vous sied-il bien, Seigneur, lui dit Demarate, de vous inquiéter du repos de la Grèce, tandis que vous avez rempli de désordre et de trouble votre famille? Le prince sentant jusqu'au vif ce reproche revint à lui, il reconnut sa faute, et rappella Alexandre en lui envoyant ce même Demarate pour lui persuader de revenir.

Après cela plein du grand projet qu'il méditoit dans sa tête, il se hâtoit d'en faire les préparatifs, lorsqu'au milieu des noces de sa fille Cléopâtre, il fut assassiné par un jeune homme de distinction, nommé Pausanias, à qui il n'avoit pas rendu justice. Ainsi périt ce prince la ving-quatrième année de son règne et la quarante-septième de sa vie ; on ne le connoît point. par des idées communes et ordinaires. Ses qualités telles qu'elles fussent étoient toujours au dernier dégré; ce fur un roi vigilant, actif, qui étoit à lui-même son sur-intendant, son ministre, son général : prince élo

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quent, magnifique, capitaine à la manière des héros, guerrier infatiguable, prodigue dans ses largesses, politique consommé, flatteur séduisant, fourbe comme il n'y en eut jamais, ambitieux sans mesure, débauché sans pudeur; c'est-là le portrait de Philippe.

Alexandre, âgé de 19 ans, succéda à ses royaumes et à ses desseins. Il trouva les Macédoniens, nonseulement aguéris, mais encore triomphans, et devenus par tant de succès autant supérieurs aux autres Grecs, en valeur er en discipline, que les autres Grecs étoient au-dessus des Perses et de leurs semblables.

On répandit qu'Olympias, de concert avec Alexandre, n'étoit pas innocente du meurtre de Philippe; il est cependant certain qu'il fit rechercher et punir trèssévèrement les complices de l'assassinat, et qu'il fut très-irrité contre sa mère, qui s'étoit cruellement vengée de Cléopâtre pendant son absence.

La nouvelle du meurtre de Philippe s'étant répandue, les Athéniens, sur-tout, en témoignèrent une joie immodérée. Démosthènes ne garda pas mieux les bienséances. On le vit dresser des autels à l'assassin, engager le sénat à célébrer cette heureuse nouvelle par des sacrifices et des réjouissances publiques; désigner Alexandre par le surnom d'enfant et d'imbécile, qui trop heureux, disoit-il, de se tenir renfermé dans Pella, n'oseroit jamais sortir de la Macédoine.

Bajoas tua dans la même année, Arsés, roi de Perse, et fit régner à sa place Darius, fils d'Arsame, surnommé Codoman; il mérite par sa valeur qu'on le range à l'opinion la plus vraisemblable, qui le fait sortir de la famille royale. Ainsi, deux rois courageux commencèrent ensemble leur règne; Darius, fils d'Arsame; et Alexandre, fils de Philippe. Ils se regardoient d'un œil jaloux,

jaloux, et sembloient nés pour disputer l'empire du monde; mais Alexandre voulut s'affermir avant que de rien entreprendre sur son rival.

Il se trouvoit environné d'extrêmes dangers de tous côtés; les nations barbares à qui Philippe avoit toujours fait la guerre, et qu'il avoit mal assujéties, crurent devoir profiter de la conjoncture d'un nouveau règne, et d'un prince encore jeuné, pour se remettre dans leur liberté, il n'avoit pas moins à craindre du côté de la Grèce. Dans une conjoncture si délicate, les Macédoniens lui conseillèrent d'abandonner la Grèce, et de ne pas s'opiniâtrer à la retenir par la force; de faire revenir par la douceur les barbares qui avoient pris les armes, et de flatter, pour ainsi dire, ces commencemens de révolte et de nouveauté en usant de ménage ment, de complaisance et d'insinuations. Ces avis déplurent à Alexandre, il rejetta ces conseils timides, et prit au contraire le parti de tirer sa sûreté de son audace et de sa magnanimité. Il leur fit voir que si dans ces commencemens il mollissoit dans la moindre chose, tout le monde lui tomberoit sur les bras. Cette prudente réflexion ébranla les esprits; et il acheva de les déterminer en leur promettant une exemption générale de toutes sortes d'impôts et de charges, pourvu qu'ils voulussent seulement prendre les armes; il leur dit qu'il partageroit avec eux le danger, et s'acquit tellement par-là leur estime et leur affection, qu'ils furent aussitôt remplis d'espérance, et crurent avoir retrouvé Philippe dans la personne de son fils.

Il se hâta donc d'arrêter les, mouvemens des barbares révoltés, et mena en diligence son armée sur les bords du Danube, qu'il traversa en une seule nuit. IL défit dans un grand combat le roi des Triballes, et mit en fuite les Getes qui n'osèrent l'attendre; il réduisit en Tome VI.

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suite les autres, les uns par

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autres par la force de ses armes. N'ayant plus aucunes ressources, ils lui envoyèrent des députés au nom des Getes, des Celtes et de Syrmus, roi des Triballes, pour lui demander la paix. Il remonta ensuite vers les sources du Danube, y soumit les peuples qu'il trouva sur la route, et entra dans la Macédoine par l'Illyrie.

Pendant qu'Alexandre étoit ainsi occupé au loin parmi les barbares, sur un faux bruit de sa mort, toutes les villes de la Grèce animées par Demosthènes, se révoltèrent. Les Thébains sur-tout le crurent d'autant plus volontiers, qu'ils le souhaitoient avec ardeur; ils fondirent sur la citadelle, et mirent en pièces les officiers et les soldats de la garnison.

Alexandre arriva en Macédoine sur ces entrefaites, et il jugea le mal trop important pour différer d'y apporter le remède. Sans interrompre sa marche, il s'avança à grandes journées vers la Grèce et passa les Thermopyles. Ce fut là qu'il dit : Demosthènes, dans ses harangues, m'a appellé enfant, pendant que j'ai été en Illyrie et chez les Triballes; il m'a appellé jeune homme quand j'étois en Thessalie; il faut donc lui montrer au pied des murs d'Athènes, que je suis présentement homme fait.

Cette résolution étant venue à la connoissance des Athéniens, ceux qui étoient les plus ardens furent les premiers à se calmer; intimidés par la promptitude et la colère du jeune héros, ils résolurent dans une assem blée de lui envoyer des députés. Alexandre intéressé à ménager les Grecs qui pouvoient le traverser dans ses projets sur l'Asie; espérant même en tirer de grands secours, reçut leurs envoyés avec une bonté particuliére, et leur promit d'oublier le passé, pourvu qu'on lui livrât Demosthènes et plusieurs autres orateurs,

Il avoit principalement les yeux sur les Thébains; il voulut leur donner le tems du repentir, et attendit quelques jours qu'ils vinssent aussi se rendre; il leur demanda seulement qu'on lui livrât Phoenix et Prothente, les deux principaux auteurs de la révolte, et fit publier à son de trompe une amnistie et une sûreté entière, pour tous ceux qui reviendroient à lui. Les Thébains comme pour lui insulter, demandèrent à leur tour qu'on leur livrât Antipater et Philotas, et fitent de même publier à son de trompe que ceux qui voudroient contribuer à la liberté de la Grèce, vinssent se joindre à eux: ils venoient presque toutes les nuits éscarmoucher les Macédoniens campés assez près de leur citadelle. Alexandre ne pouvant vaincre leur opiniâtreté et leur audace, vit bien qu'il falloit en venit, aux extrêmités. Il leur présenta donc la bataille que les Thébains acceptèrent; ils y combattirent avec une ardeur et un courage bien au-delà de leurs forces; mais enfin ils furent si violemment repoussés dans leurs murs, qu'ils n'eurent pas le tems ou la présence d'esprit de fermer les portes; l'ennemi s'y jetta en mêmetems qu'eux, et y fit un carnage horrible, sans respecter les vieillards, les femmes et les enfans. La ville fut rasée et détruite de fond en comble, excepté la seule maison du poëte Pindare, celle de ses parens, celles des prêtresses et prêtres, et de quelques autres particuliers qui s'étoient opposés à la révolte.

Après que ce prince eut ainsi satisfait sa vengeance, il fit tout son possible pour effacer les impressions désavantageuses, que cette cruelle expédition avoit fait naître, alléguant pour excuse les maux que les Thébains faisoient souffrir depuis long-tems à la Grèce. Néanmoins le souvenir du malheur des Thébains, lui causa souvent de cuisans repentirs, et ressentant l'im

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