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qui sans se rendre jamais incommode, lui dit des vérités que nul autre n'oseroit lui dire.

Alexandre dut tous ces avantages à l'excellente éducation qu'il reçut d'Aristote; elle eut néanmoins quelque chose de trop vaste; on lui fit tout connoître dans la nature, excepté lui seulement. Son ambition alla ensuite aussi loin que ses connoissances; après avoir voulu tout savoir, il voulut tout conquérir.

Dans tous ceux que la fortune destine aux grandes choses, on remarque toujours quelques qualités extraordinaires. Dès la première jeunesse d'Alexandre, on vit en lui un cœur rempli d'une ardeur insatiable de gloire, mais non pas pour toutes sortes de gloire. Jamais il ne voulut combattre aux jeux olympiques, parce qu'il vouloit avoir des rois pour antagonistes ; il appréhendoit que son père, qui étoit alors victorieux de ses ennemis, ne lui laissât rien à faire. A la nouvelle des batailles gagnées et d'autres avantages qu'on venoit lui annoncer, il disoit à ses amis, mon père prendra tout; il ne me laissera rien de beau, d'éclatant et de mémorable que je puisse faire avec vous ! C'est cet amour pour la gloire qui le portoit alors à se distinguer dans ses études par les exercices de corps et d'esprit, et qui par la suite lui fera soutenir avec tant de courage, tant de travaux et tant de fatigues.

Un jour des ambassadeurs de Perse étant arrivés à la cour pendant l'absence de Philippe, Alexandre les reçut avec tant d'honnêteté et de politesse, et fit si bien les honneurs de la table, qu'ils en furent charmés; mais ce qui les surprit plus que tout le reste, fut l'esprit et le jugement qu'il fit paroître dans divers entretiens qu'il eut avec eux. Il ne leur proposa rien de puérile ni qui ressentît son âge, comme auroit été

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de savoir ce que c'étoit que ces jardins suspendus en l'air, qui étoient si vantés; les richesses et le superbe appareil de la cour du roi de Perse, qui faisoient l'admiration de tout le monde; ce platane d'or dont on parloit tant, et cette vigne d'or dont les grappes étoient faites d'émeraudes, d'escarboucles, de rubis et d'autres pierres précieuses, sous laquelle on dit que le roi de Perse donnoit souvent ses audiences aux ambassadeurs. Il leur fit des questions toutes différentes. Quel chemin il falloit prendre pour aller dans la haute Asie? quelle étoit la distance des lieux? en quoi consistoient les forces et la puissance des Perses? quelle place le roi prenoit dans une bataille? comment il se conduisoit à l'égard de ses ennemis, et comment il gouvernoit ses Peuples? Ces ambassadeurs ne se lassoient point de l'admirer, et sentant dès lors ce qu'il pouvoit devenir un jour, ils marquèrent en un mot la différence qu'ils mettoient entre Alexandre et Artaxercès, en se disant les uns aux autres : Ce jeune prince est grand; le nôtre est riche. C'est être réduit à bien peu de choses que de l'être uniquement à ses richesses sans avoir d'autres mérites.

Alexandre dès sa jeunesse étoit d'un caractère vif, ferme, arrêté à son sentiment, qui ne cédoit jamais à la force, mais qu'on ramenoit aisément au devoir par la raison. Pour manier de tels esprits, il faut beaucoup de dextérité; aussi Philippe, malgré sa double autorité de père et de roi, croyoit devoir employer à son égard la persuasion, plutôt que la contrainte, et cherchoit plutôt à se faire aimer qu'à se faire craindre.

Une occasion fortuite lui donna lieu encore de concevoir une grande idée d'Alexandre; on avoit amené de Thessalie à Philippe un cheval de bataille, grand, fier, ardent, plein de feu, il se nommoit Bucéphale :

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on vouloit le vendre 13 talens (39,000 livres ). Le roi avec ses courtisans, descendit dans la plaine pour le faire essayer; personne ne put le monter tant il étoit ombrageux; il se cabroit dès que quelqu'un vouloit monter dessus. Philippe fâché qu'on lui présentât un cheval si farouche et si indomptable, commanda qu'on le remmenât. Alexandre étoit présent. Quel cheval ils perdent-là, dit-il, faute de hardiesse et d'adresse ? Philippe traita d'abord ce discours de folie et de témérité de jeune homme; mais comme il insistoit avec force, véritablement affligé qu'on renvoyât ce cheval, son père lui permit d'en faire l'essai. Le jeune prince alors plein de joie et de confiance s'approche du cheval, prend les rênes et lui tourne la tête au soleil ayant remarqué sans doute que ce qui l'effarouchoit et l'effrayoit étoit son ombre qu'il voyoit tomber devant lui et se remuer à mesure qu'il s'agitoit. Il commença par le caresser doucement de la voix et de la main puis, voyant son ardeur calmée, et prenant adroitement son tems, il laisse tomber son manteau à terre, et s'élançant légèrement il saute dessus, lui lâche d'abord la bride sans le frapper ni le tourmenter; quand il vit que sa férocité étoit adoucie et qu'il n'étoit plus si furieux ni si menaçant, et qu'il ne demandoit qu'à aller, il lui baissa la main et le poussa à toute bride en lui parlant d'une voix rude et lui appuyant ses talons. Philippe cependant, au milieu de toute sa cour, trembloit de crainte et gardoit un profond silence; mais quand le prince, après avoir fourni sa carrière, revint tout fier et plein de joie d'avoir réduit ce cheval qui avoit paru indomptable, tous les courtisans à l'envi lui applaudirent et le félicitèrent; et l'on assure que Philippe versa des larmes de joie, que l'embrassant après être descendu de cheval, il lui dit: Mon fils, cherche

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un autre royaume, la Macédoine n'est pas assez grande pour toi !

Les premières années d'Alexandre jettent un éclat qui promet tout ce qu'il a fait de grand dans la suite. A l'âge de seize ans, Philippe le laissa régent du royaume avec un souverain pouvoir. Il y donna des preuves de son courage, il dompta des peuples rébelles, qui avoient regardé l'absence du roi comme un tems fort propre pour se révolter, et il prit leur ville d'assaut. Philippe fut rempli de joie de ces heureuses nouvelles, mais craignant qu'attiré par cette amorce dangereuse, il ne se livrât inconsidérément à son ardeur et à son courage, il l'appella auprès de lui pour devenir lui-même son maître et le former au métier de la guerre. Il avoit pour lui une extrême tendresse, jusques - là qu'il entendoit avec plaisir les Macédoniens l'appeller simplement leur général, tandis qu'ils appelloient son fils leur roi.

Deux ans après il lui donna le commandement de l'aile gauche à la bataille de Chéronée. Le combat fut rude et opiniâtre. Alexandre, animé d'un beau feu, plein d'envie et d'ardeur de se signaler sous les yeux de son père, montra dans cette journée toute la capacité d'un vieux général et le courage déterminé d'un jeune officier; ce fut lui qui enfonça, après une vigoureuse et longue résistance, les troupes Thébaines de la discipline d'Epaminondas.

On peut dire que c'est cette bataille de Chéronée qui mit la Grèce sous le joug. La Macédoine alors avec 30,000 soldats vint à bout de ce que les Perses avec des millions d'hommes avoient tenté inutilement à Marathon, à Salamines et à Platée. Philippe, dans les premières années de son regne, avoit repoussé, divisé, désarmé ses ennemis. Dans les suivantes, il avoit

soumis par artifice et par force les plus puissans peuples de la Grèce, et s'en étoit rendu l'arbitre. Maintenant il se prépara à venger les injures que les Grecs avoient reçues des barbares, et ne médita rien moins, soutenu d'un fils d'une si grande espérance, que de renverser leur empire. Le principal fruit qu'il tira de sa victoire, et c'étoit le but qu'il se proposoit depuis long-tems, ce fut de se faire déclarer, dans l'assemblée des Grecs, généralissime contre les Perses; avec cette qualité, il se prépara à aller attaquer ce puissant royaume, mais sa ruine étoit réservée à Alexandre.

Autant le dehors étoit heureux et brillant pour Philippe, autant l'intérieur de sa maison étoit, pour lui, triste et affligeant. La division et le trouble y régnoient. Olympias, mère d'Alexandre, naturellement jalouse, colère, vindicative, y excitoit continuellement des disputes et des querelles, et rendoit la vie désagréable à Philippe; d'ailleurs, mari peu fidèle luimême, on prétend qu'il éprouva l'infidélité qu'il avoit méritée; donc, soit sujet de plainte, soit légèreté et inconstance de sa part, il en vint jusqu'à la répudier.

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Il épousa ensuite Cléopâtre, nièce d'Attalus, elle étoit jeune, elle éroir belle: il ne put résister à ses attraits. Au milieu des réjouissances des noces et de la chaleur du vin, Attalus s'avisa de dire que les Macédoniens devoient demander aux Dieux qu'elle donnât un légitime successeur à leur roi. A ces mots Alexandre naturellement colère, irrité d'une parole si offensante: Quoi! misérable, lui dit-il, me prendstu donc pour un bâtard? En même tems il lui jetta sa coupe à la tête; Attalus en fit de même, la querelle s'échauffe: Philippe, qui étoit à une autre table irrité de ce que l'on troubloit ainsi la fête, oubliant qu'il étoit boiteux, courut l'épée nue droit à son fils,

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