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d'empire que par la douceur du sien; la famille de Darius s'en loua dans sa captivité, Darius lui-même fit hautement l'éloge de son ennemi: témoignage précieux qui vaut seul tous les triomphes.

'Il falloit l'arrêter dans ses largesses. En partant pour l'Asie, il donne tout son bien à ses amis, et ne se réserve que l'espérance. Après ses victoires, il donne aux rois vaincus ou soumis des royaumes plus grands que ceux qu'ils avoient avant leur défaite.

Tout ce qui l'approche ressent les effets de sa libéralité et de sa magnificence; il donnoit moins en roi qu'en maître du monde; non content de payer généreusement ceux qui le servoient, il étendoit plus loin sa reconnoissance; il conservoit aux enfans de ceux qui étoient morts à son service, la paye de leurs pères pendant leur bas âge. Payant ainsi aux descendans les belles actions de leurs ancêtres, il en conservoit la mémoire à la postérité, et les proposoit en exemple.

Comme tout a paru extraordinaire dans ce prince, les écrivains anciens ont reçu avec facilité toutes les fables et les présages que l'on débitoit sur sa naissance. Alexandre naquit à Pella, capitale de la Macédoine, de Philippe et d'Olympias, le jour même que le temple d'Ephèse fut brûlé.

Philippe étoit alors absent de son royaume, et le jour qu'il apprit qu'il lui étoit né un fils, il reçut deux autres nouvelles aussi agréables; l'une, qu'il avoit été couronné aux jeux olympiques; et l'autre, que Parmenion, l'un de ses généraux, avoit remporté une grande victoire sur les Illyriens. Ce prince, effrayé d'un si rare bonheur, que les payens croyoient souvent annoncer quelque catastrophe, s'écria: Grand Jupiter! pour tant de biens, envoie-moi au plutôt quelque légère disgrace!

Dès qu'il fut en âge de recevoir des leçons, on commença à l'accoutumer à une vie sobre, dure, simple, éloignée de tout luxe et de toute délicatesse, ce qui est un excellent apprentissage pour le métier de la guerre; on lui donna aussi plusieurs maîtres, mais Philippe s'apperçut bientôt qu'ils ne répondoient pas aux rares dispositions de son fils, et connoissant tout le prix du trésor qu'il avoit dans la personne d'Aristote, le plus célèbre et le plus illustre des philosophes de son tems, il lui confia son fils.

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On dit que quelques jours après la naissance de son fils, il lui avoit écrit une lettre pour lui marquer que dès-lors il le choisissoit pour être un jour précepteur de son fils. Je vous apprends, lui dit-il j'ai un fils; je rends graces aux dieux, non pas tant de me l'avoir donné, que de me l'avoir donné du tems d'Aristote. J'ai lieu de me promettre que vous en ferez un successeur digne de nous, et un roi digne de la Macédoine. Alexandre, quoique jeune, reconnut aussi bientôt son mérite; il lui donna son estime et şon amitié, et lui disoit qu'il lui avoit plus d'obligation qu'à son père: l'un ne lui ayant donné que la vie, et ayant reçu de l'autre la bonne vie. Pendant six années qu'il écouta ses leçons, il apprit les belleslettres, la logique, la morale, la physique, et ses progrès répondirent aux soins et à l'habileté du maître. Il conçut une grande ardeur pour la philosophie, et en embrassa toutes les parties, mais avec la discrétion qui convenoit à son rang. Aristote l'exerça aussi dans les sciences que l'on appelle méthaphysiques, qui peuvent être fort utiles à un prince, s'il s'y applique avec mesure, et qui lui apprennent ce que c'est que l'esprit de l'homme, combien il est distingué de la matière, comme il voit les choses spirituelles, comment

il sent l'impression de celles qui l'environnent et beaucoup d'autres questions pareilles. On juge bien qu'il ne lui laissa point ignorer ni les mathématiques, si propres à donner à l'esprit de la justesse et de l'exactitude, ni les nerveilles de la nature. Mais la plus grande occupation d'Alexandre fut`la morale, qui est, à proprement parler, la science des rois, parce qu'elle est la connoissance des hommes et de tous leurs devoirs; il en fit une étude sérieuse et profonde, et la regarda dès-lors comme le fondement de la prudence et d'une sage politique. Combien croit-on qu'une telle éducation peut contribuer à mettre un prince en état de se bien conduire lui-même, et de bien gouverner ses peuples?

Son maître Aristote qui étoit si habile rhéteur, ne manqua pas d'enseigner la rhétorique à ce prince; il lui dédia l'excellent livre qu'il composa sur ce sujet, dans l'exode duquel Aristote lui fait sentir de quel secours est pour un prince le talent de la parole, qui le fait règner sur les esprits par ses discours, comme il le doit faire par sa sagesse et par son autorité. Il ne nous reste rien qu'on puisse dire être certainement d'Alexandre, si ce n'est certains dits et quelques répliques spirituelles d'un tour admirable, qui nous laissent une impression égale de la grandeur de son ame et de la vivacité de son esprit.

Son estime pour Homère nous fait voir non-seulement avec quelle ardeur et avec quel succès il s'appliquoit aux belles-lettres, mais l'usage sensé qu'il en faisoit, et le fruit solide qu'il se proposoit d'en tirer. Ce n'étoit pas simplement curiosité ou délassement de travail, ou délicatesse de goût pour la poésie qui le portoit à lire ce poëte; c'étoit pour y puiser des sentimens digne d'un grand roi et d'un grand conquérant ;

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le courage, l'intrépidité, la magnanimité, la tempérance, la prudence, l'art de bien combattre et de bien gouverner. Ainsi, entre tous les vers d'Homère il donnoit la préférence à celui qui représente Agamemnon comme un bon roi et un courageux guerrier. Quand après la bataille d'Arbelles, ont eut trouvé parmi les dépouilles de Darius, une cassette d'or enrichie de pierreries, où étoient renfermés les parfums exquis dont usoit le prince vaincu, notre héros, tout couvert de poussière et peu curieux d'essences et de parfums, destina cette riche cassette à mettre en dépôt les livres d'Homère, qu'il regardoit comme la production de l'esprit humain la plus parfaite et la plus précieuse qui eût jamais été ; il admiroit sur-tout l'Iliade, qu'il appelloit la meilleure provision d'un homme de guerre ; il eut toujours avec lui l'édition de la cassette, et il la mettoit toutes les nuits avec son épée sous son chevet.

Alexandre étoit si avide de la gloire des belles lettres et des sciences, qu'il sut mauvais gré à Aristote d'avoir publié en son absence certains livres de métaphysique qu'il auroit voulu posséder seul. En quoi différerai-je, lui demanda-t-il, des autres hommes, si les hautes sciences dont tu m'as instruit deviennent communes ? ne sais-tu pas que j'aimerais beaucoup mieux être au-dessus des hommes par la science des choses sublimes et excellentes, que par la puissance ? Il écrivit cette lettre chagrine au milieu de sa gloire er de son ambition, lorsqu'il étoit occupé à poursuivre Darius. Quel homme! il vouloit être grand il vouloit être le premier par-tout; et qui pourroit penser après cela que ce fût la fortune seule qui le rendit si puissant, et que le mérite n'y ait pas eu la meilleure part?

Il eut aussi du goût pour tous les arts, mais comme il convient à un prince, c'est-à-dire, pour en connoître tout le prix et toute l'utilité; la peinture, la sculpture, l'architecture, fleurirent sous son règne, parce qu'elles trouvèrent en lui un juge habile et en même tems un rémunérateur libéral, qui savoit en tout genre discerner et récompenser le mérite.

Il aimoit sur-tout la musique et y excelloit même peut-être plus qu'il ne convenoit à son rang; Philippe, son père, l'ayant entendu un jour chanter dans un repas, lui dit: Mon fils, n'as-tu pas honte de chanter si bien ? Et un jour, un musicien sur lequel il prétendoit l'emporter, lui dit: Seigneur, aux dieux ne plaise que vous eussiez le malheur de savoir cet art mieux que

moi ?

Il n'y eut pas jusques à la médecine dont il ne voulût s'instruire; il ne s'en tint pas à la théorie, mais étudia même la pratique; il secourut plusieurs de ses amis dans leurs maladies, leur ordonnant les remèdes et les régimes dont ils avoient besoin.

L'utilité qu'Alexandre retira de ce goût pour les belleslettres et les beaux arts, fut infinie. Il aimoit à converser avec les gens de lettres, à s'instruire et à lire, trois sources de bonheur pour un prince, capables de lui faire éviter mille écueils, trois moyens sûrs d'apprendre à règner par lui-même. La conversation des gens d'esprit l'instruit en l'amusant, et lui apprend mille choses curieuses et utiles sans qu'il lui en coûte aucune peine. Les leçons que lui donnent d'habiles maîtres sur les sciences les plus relevées lui forment merveilleusement l'esprit et lui apprennent les règles d'un sage gouvernement. Enfin, la lecture, sur-tout celle de l'histoire, met le comble à tout le reste, et est à son égard ur maître de toutes les saisons et de toutes les heures

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