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dès les premiers tems en divers endroits du pays, avoient repandu partout l'excellente police des Egyptiens; c'est de là qu'ils avoient appris les exercices du corps, la lutte, la course à pied, à cheval et sur des chariots, et les autres exercices qu'ils mirent dans leur perfection par les glorieuses couronnes des jeux olympiques; mais ce que les Egyptiens leur avoient appris de meilleur, étoit de se rendre dociles et à se laisser former par les loix pour le bien public.

Ce n'étoient pas des particuliers qui ne songent qu'à leurs affaires et ne sentent les maux de l'Etat qu'autant qu'ils en souffrent eux-mêmes, ou que le repos de leur famille en est troublé ; les Grecs étoient instruits à se regarder et à regarder leur famille comme partie d'un plus grand corps qui étoit le corps de l'état; les pères nourrissoient leurs enfans dans cet esprit, et les enfans apprenoient dès le berceau à regarder la patrie comme une mère commune à qui ils appartenoient plus encore qu'à leurs parens; le mot de civilité ne signifioit pas seulement chez eux la déférence mutuelle qui rend les hommes sociables, l'homme civil étoit encore un bon citoyen, qui se regarde toujours comme membre de l'Etat, qui se laisse conduire par les loix et conspire avec elles au bien public, sans rien entreprendre sur personne.

Les anciens rois que la Grèce avoit eu en divers tems, Minos, Cécrops, Thésée, Codrus, Thémenes, Chresphonte, Euristhènes, Patrocle et les autres semblables, avoient répandu cet esprit dans toute la nation; ils furent tous populaires, non point en flattant le peuple, mais en procurant son bien et en faisant regner la loi.

Que dirai-je de la rigidité des jugemens? quel plus grave tribunal y eût-il jamais que celui de l'Aréopage,

si révéré dans toute la Grèce, que l'on disoit
l'on disoit que les
dieux mêmes y avoient comparu ! les Romains y allè-
rent puiser leur loix; dès les premiers tems il a été
célèbre, et Cécrops l'avoit apparemment établi à
Athènes, sur le modèle des tribunaux de l'Egypte; au-
cune compagnie n'a conservé si long-tems la réputation
de son ancienne sévérité, et l'éloquence pompeuse en
a toujours été bannie.

Les Grecs ainsi policés peu-à-peu, se crurent capables de se gouverner eux-mèmes, et la plupart des villes se formèrent en républiques; de sages législateurs qui s'élevoient en chaque pays, un Thalès, un Pythagore, un Pittacus, un Lycurgue, un Solon. un Philolas, et tant d'autres que l'histoire marque, empêchèrent que la liberté ne dégénérât en licence ; des loix simplement écrites et en petit nombre, tenoient les peuples dans le devoir, et les faisoient concourir au bien de la patrie; l'idée de liberté qu'une telle con1 duite inspiroit étoit admirable, car la liberté que se

figuroient les Grecs, étoit une liberté soumise à la loi, c'est-à-dire à la raison même reconnue par tout le peuple. Ils ne vouloient pas que les hommes eussent de pouvoir parmi eux; les magistrats redoutés durant le tems de leur ministère redevenoient des particuliers qui ne gardoient d'autorité qu'autant que leur en donnoit leur expérience; la loi étoit regardée comme la maîtresse, c'étoit elle qui établissoit les magistrats, qui en régloit le pouvoir, et qui enfin châtioit leur mauvaise administration.

La Grèce étoit charmée de cette sorte de gouvernement, et préféroit les inconvéniens de la liberté, à ceux de la suggestion légitime, quoiqu'en effet beaucoup moindres. Mais comme chaque police a son avantage, ceux que la Grèce tiroit de la sienne, étoient que

les citoyens s'affectionnoient d'autant plus à leur pays, qu'ils le gouvernoient en commun, et que chaque particulier pouvoit parvenir aux premiers honneurs.

Ce que fit la philosophie pour conserver l'état de la Grèce n'est pas croyable : plus ces peuples étoient libres, plus il étoit nécessaire d'y établir par de bonnes maximes, les regles des mœurs et celles de la société ; Pythagore, Thalès, Socrate, Anaxagore, Architas, Platon, Xénophon, Aristote, et une infinité d'autres, remplirent la Grèce des plus beaux préceptes. Il y eut des extravagans qui prirent le nom de philosophes, mais ceux qui étoient suivis, étoient ceux qui enseignoient à sacrifier l'intérêt particulier et même la vie à l'intérêt général et au salut de l'état et c'étoit la maxime la plus commune des philosophes qu'il falloit ou se retirer des affaires ou n'y regarder que l'intérêt public.

Les poëtes mêmes qui étoient dans les mains de tout le peuple, instruisoient encore plus qu'ils ne divertissoient. Alexandre regardoit Homère comme un maître qui lui apprenoit à bien régner; ce grand poëte n'apprenoit pas moins à bien obéir et à être bon citoyen; lui et tant d'autres poëtes dont les ouvrages ne sont pas moins graves qu'ils sont agréables, ne célèbrent que les arts utiles à la vie humaine, ne respirent que le bien public, la patrie, la société et cette admirable civilité que nous avons expliqué.

Quand la Grèce ainsi élevée regardoit les Asiatiques, avec leur délicatesse, avec leur parure et leur beauté efféminée, elle n'avoit que du mépris pour eux ; mais leur forme de gouvernement qui n'avoit pour regle que la volonté du prince, maîtresse de toutes les loix et même des plus sacrées, lui inspiroit de l'horreur, et

l'objet le plus odieux qu'eut toute la Grèce, étoient les Perses qu'elle a toujours désignés par le nom de barbares.

tems ,

Cette haine étoit venue aux Grecs, dès les premiers et leur étoit devenue comme naturelle; une des choses qui faisoient aimer les poésies d'Homère, c'est qu'il chantoit par la guerre de Troye, les avantages de la Grèce sur l'Asie; du côté de l'Asie étoit Vénus, c'est-à-dire les plaisirs, les fols amours et la mollesse ; du côté de la Grèce étoit Junon, c'est-à-dire la gravité, avec l'amour conjugal; Mercure avec l'éloquence, Jupiter et la sagesse politique; du côté de l'Asie étoit Mars, impétueux et brutal, c'est-à-dire la guerre faite avec fureur; la Grèce avoit Pallas, c'est-à-dire l'art militaire et la valeur conduite par l'esprit. La Grèce depuis ce tems-là a toujours cru que l'intelligence et le vrai courage étoient son partage naturel; elle ne pouvoit souffrir que l'Asie songeât à la subjuguer, et en subissant ce joug, elle eût cru assujettir la vertu à la volupté, l'esprit au corps, et le véritable courage à une force insensée qui consistoit seulement dans la multitude.

La Grèce étoit pleine de ces sentimens quand elle fut attaquée par Darius, fils d'Histaspe, et par Xercès, avec des armées dont la grandeur paroît fabuleuse, tant elle est énorme; aussi-tôt chacun se prépare à défendre sa liberté. Quoique toutes les villes de la Grèce fassent autant de républiques séparées, l'intérêt commun les réunit, et il s'agissoit entr'elles à qui feroit le plus pour le bien public. Contre de telles armées et une telle conduite, la Perse se trouva foible; elle éprou→ va ce que peut la discipline contre la confusion, et ce que peut la valeur, conduite avec art, contre une

impétuosité aveugle. Miltiade, athénien, défit cette armée nombreuse dans la plaine de Marathon, avec dix mille hommes.

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Pour venger l'affront de la Perse, Xercès, fils de Darius, et son successeur, attaqua les Grecs avec 1,100,000 ou 1,700,000 combattans avec une armée navale de douze cent vaisseaux. Léonidas, Lacédémonien, avec une poignée de soldats, leur en tua 20,000 au passage des Thermopyles; il périt à la vérité, mais sur ses propres trophées, content d'avoir immolé à sa patrie un nombre infini de barbares, et d'avoir laissé à ses compatriotes l'exemple d'une hardiesse inouie.

Il ne coûta rien aux Athéniens d'abandonner leur ville au pillage et à l'incendie, après qu'ils eurent mis en sûreté leurs vieillards, leurs femmes et leurs enfans, ils mirent sur des vaisseaux tout ce qui étoit capable de porter les armes, et, sous la conduite de Thémistocle, ils gagnèrent la bataille navale de Salamine. Le prince persan repassa l'Hélespont avec frayeur, et une année après, son armée de terre que Mardonius commandoit, fut taillée en pièces auprès de Platée, par Pausanias, Lacédémonien, et par Aristide, Athénien. Le même jour les Grecs Ioniens, sous les ordres de Léothichides, gagnèrent la bataille de Mycale où ils tuèrent trente mille Persans.

Il ne restoit à la Perse, tant de fois vaincue, que de mettre la division parmi les Grecs, et l'état même où ils se trouvoient par leurs victoires, rendoit cette entreprise facile. Comme la crainte de l'ennemi les tenoit unis, la victoire et la confiance rompit l'union; accoutumés à battre et à vaincre, quand ils n'eurent plus rien à craindre des armées de Perse, ils se tournèrent les uns contre les autres.

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