Page images
PDF
EPUB

qui nous en auront donné les moyens. C'est pourquoi il termine en conviant ses confrères à lever leurs verres en l'honneur de MM. Chabassière frères et à boire à la santé du survivant d'entre eux, M. Louis Chabassière.

M. Cazac, nouveau venu, fils de Lamartinien fervent, et lui-même admirateur passionné du grand poète, dit qu'il regarde comme un bonheur infini de sa carrière d'être proviseur du Lycée Lamartine, et comme un honneur très précieux d'appartenir désormais à l'Académie que le grand homme a présidée. Il annonce l'installation du premier buste de Milly, celui d'Adam Salomon, dans la cour d'honneur du Lycée, et invite d'ores et déjà tous les membres de notre Compagnie aux fêtes qui seront données à cette occasion.

M. Laneyrie exprime à son tour le plaisir qu'il éprouve à faire partie de notre Académie et à prendre part à notre banquet avec quelques malices aimables à l'adresse de M. Maritain dont la verve a coupé d'interjections spirituelles la plupart des toasts prononcés, il s'excuse modestement de n'avoir pas eu de meilleurs titres à nos suffrages que sa qualité d'avocat, et comme un bon Mâconnais il affirme cordialement toute la sincérité de sa sympathie, de sa considération et désormais de son dévouement pour une Société qui a toujours fait le plus grand honneur à la cité mâconnaise.

Après tous ces toasts successivement applaudis avec une chaleur égale à celle qui animait les orateurs eux-mêmes, et entremêlés dans leurs intervalles de propos verveux et de bon aloi, M. Maritain a la parole pour la lecture de son étude sur les Origines du Lac de Lamartine.

Sous ce titre, M. Maritain a entrepris de démontrer que l'immortelle élégie, qui chante dans toutes les mémoires, n'est pas comme les autres Méditations le produit d'un jet unique, et que Lamartine s'y est pris à deux fois « avant de la jeter toute palpitante des frissons de son âme sonore sur la page du livre impérissable ». La première ébauche, selon M. Maritain, l'idée mère du poème sur la brièveté des félicités humaines, date du mois d'août 1815. A cette époque, Lamartine tenait garnison à Beauvais, dans la compagnie des gardes du corps, et il s'y ennuyait ferme, trouvant la ville laide et les femmes sans beauté. Son service du manège et de la charge en douze temps terminé, il faisait de longues promenades à travers la campagne environnante, un livre et un crayon à la main; quand il était las de marcher sous les rayons du soleil brùlant, il s'étendait à l'ombre d'un sentier parfumé, il ôtait ses bottes, dont l'une lui servait d'oreiller et l'autre de

pupitre, et dans cette posture peu académique, il se mettait à griffonner des vers entremêlés de prose, à l'adresse de son ami Aymon de Virieu, garde du corps comme lui, à Versailles. Une de ces compositions hâtives, nées de l'influence du lieu et du moment, se termine justement par une invocation au temps que le poète supplie de retarder le cours des heures heureuses. C'est le même mouvement, la même inspiration que dans le Lac, seconde édition, mais il y manque le sentiment de la réalité et le souvenir d'un être aimé. Jusque là Lamartine n'avait eu que des amourettes, des passionnettes, comme on dit dans l'argot des snobs de cette fin de siècle; Graziella elle-même, cette fleur délicieuse éclose sous le ciel de Naples, n'avait pu trouver le chemin de son cœur et était morte victime de son indifférence. Mais il devait bientôt ressentir, à son tour, comme un bien suprême et peut-être aussi comme une expiation, les atteintes de l'amour vrai, « le choc de la passion triomphante qui prend l'homme tout entier et le garde jusqu'à la mort ».

On connaît celle qui lui inspira cette passion exclusive, et M. Maritain la fait connaître mieux encore, sans se dissimuler, toutefois, que les voiles qu'il fait tomber l'un après l'autre pourraient bien recouvrir des indiscrétions. C'est Elvire en poésie, Julie en prose, et Mme Charles, née Bouchaud des Hérelles, d'après son acte de l'état civil. Son mari, de vingt-cinq ans plus âgé qu'elle, physicien et aéronaute célèbre, a fait, le 1er décembre 1783, l'ascension du ciel dans un ballon dont il était l'inventeur. Quant à elle, il lui était réservé de monter à l'immortalité sur les ailes des stances de Lamartine. Il l'avait rencontrée à Aix, en Savoie, dans l'été de 1816, et il avait fait avec elle la promenade du lac du Bourget. Il comptait la retrouver l'année suivante; mais il l'attendit en vain, la maladie qui devait l'emporter, à la fin de décembre 1817, l'empêcha de faire le voyage. C'est alors entre le 16 et le 23 septembre que Lamartine, vaincu d'impatience et de douleur, assiégé par les plus sombres pressentiments, exhala la plainte du Lac, qui durera aussi longtemps que la souffrance humaine et le regret des délices trop rapidement évanouies.

Au début de son étude, M. Maritain s'est livré à une recherche curieuse des réminiscences, des imitations, des emprunts, qu'il n'est pas interdit de croire que Lamartine a faits à ses devanciers en littérarature et en poésie. Il cite en premier lieu l'extrait d'une lettre de Saint-Preux tirée du roman de Jean-Jacques Rousseau, où l'on reconnaît effectivement des expressions et des membres de phrases qui

paraissent avoir été transposés dans le Lac. Il cite encore deux vers d'une pièce de Parny, intitulée le Raccommodement:

Et l'on dira, quand nous ne serons plus :

Ils ont aimé, voilà toute leur vie !

que Lamartine a sans doute imités dans la strophe finale du Lac, en les synthétisant :

Que tout ce qu'on entend, l'on voit ou l'on respire,

Tout dise: Ils ont aimé !

L'étude de M. Maritain, dont ce compte rendu, forcément écourté, ne peut donner qu'une idée imparfaite, a été fort goûtée. Jamais notre confrère n'a été mieux inspiré il a fait là, pour nos Annales, dans une solide structure et une belle ordonnance, une œuvre de critique littéraire de vraie valeur, et, lorsqu'il termina sa lecture, aux applaudissements de tous, la nuit était venue sans que l'attention de son auditoire eût un instant fléchi. L'ardeur lamartinienne poussa même encore MM. Cazac et Reyssié à faire successivement deux nouvelles passes dans des controverses brillantes sur certaines appréciations de M. Maritain, puis enfin, tous les convives se séparèrent, souhaitant, pour le premier jeudi de 1901, de semblables régals. Il était 5 heures 1/4.

Le Secrétaire perpétuel,

A. DURÉAULT.

Le Président,

F. REYSSIE.

SÉANCE DU Ier
Ier FÉVRIER 1900

PRÉSIDENCE DE M. REYSSIÉ, PRÉSIDENT.

La séance est ouverte à 2 heures 1/2 par M. Reyssié, président, assisté de MM. Duréault, secrétaire perpétuel; Maritain, bibliothécaire; Lacroix, trésorier.

Présents MM. Authelain, de Benoist, Duhain, Duréault, Lacroix, Maritain, P. Martin, Siraud, Virey.

Excusés MM. Battanchon, Dr Biot, Lenormand, Mangenot, J. Martin, Pellorce, Plassard, Bon du Teil du Havelt.

M. Bovier-Lapierre, de Mâcon, membre associé, assiste à la séance.

M. le Président a le regret d'annoncer que l'Académie, depuis la dernière séance, a perdu trois associés: MM. Delmont, Cantrel et Piot.

M. Jean-Baptiste Delmont, ingénieur des arts et manufactures, ancien directeur des forges et aciéries de Huta-Bankova, à Dombrowa (Pologne Russe), chevalier de l'ordre impérial russe de Sainte-Anne, était notre confrère associé depuis le 16 juillet 1896. Il avait pris sa retraite à Juliénas (Rhône), où il s'occupait de viticulture avec intelligence et activité. Il y est décédé le 19 janvier dernier.

M. Eudore Cantrel, qui vient de décéder à Mâcon le 25 janvier, s'était marié à Mâcon lorsqu'il commençait la carrière qu'il a menée si brillamment dans l'administration de l'Enregistrement des domaines et du timbre, et qu'après avoir été directeur à Lyon, il a terminée comme administrateur à Paris. Il avait pris sa retraite à Mâcon, comme administrateur honoraire. M. Cantrel était officier de la Légion d'honneur et officier de l'Instruction publique, et notre confrère depuis le 2 juillet 1896.

M. Henri Piot, ancien président du tribunal de commerce, officier d'Académie, commandeur de l'ordre d'Isabelle la Catholique, commandeur de l'ordre du Christ, chevalier de l'ordre de Léopold, était notre associé depuis 1882. Depuis quelques années, M. Piot habitait Paris l'hiver, mais il passait tous ses étés et l'automne dans sa propriété de Chevignes, où il s'occupait de viticulture avec le plus grand succès. Il venait souvent à Mâcon où il ne comptait que des amis que sa mort afflige profondément. Chacun ici d'ailleurs conservera de lui le souvenir d'un homme aimable et charmant, d'une bonne grâce souriante, d'une serviabilité inlassable et d'un dévouement fidèle.

M. le Président fait l'éloge de nos confrères défunts, et traduit les sentiments de notre Compagnie en adressant à leurs familles respectives l'expression de nos regrets et de nos condoléances.

Deux autres de nos associés nous ont fait part des deuils qui les ont frappés dans leurs plus proches affections:

M. Laugier, sociétaire de la Comédie-Française, a perdu sa mère. Mme Laugier, femme d'une haute intelligence et d'une haute valeur morale, était fille de notre compatriote l'astronome Mathieu, membre de l'Institut et du bureau des longitudes, dont les travaux et la science ont fait grand honneur à l'Académie de Mâcon.

M. Fontaneilles, directeur de la Compagnie des Tramways de l'Ouest parisien, a perdu son père.

L'Académie offre ses sympathies à nos deux confrères.

Après avoir donné lecture du procès-verbal de la séance précédente, qui est adopté sans modifications, M. le Secrétaire perpétuel fait part de la correspondance et des lettres par lesquelles les derniers associés élus remercient de leur élection. Il présente aussi deux fascicules offerts en hommage par leurs auteurs, qui tous deux ont pris part au Congrès d'archéologie du mois de juin dernier.

M. Joseph Buche, professeur au lycée de Lyon et précédemment au lycée de Bourg, nous envoie un extrait des Procès-verbaux de la Société des antiquaires de France, dont il est associé correspondant, relatant la communication d'une note de lui sur une statuette de Dispater, en terre de pipe, de om 17, signalée comme inédite par M. Héron de Villefosse dans la visite que celui-ci fit au musée de Bourg pendant le Congrès archéologique de Mâcon.

M. Noël Thiollier, archiviste paléographe à Saint-Etienne, correspondant de la Commission des monuments historiques, envoie une notice archéologique sur l'église de Curgy (Saône-et-Loire). M. Thiollier, qui s'est fait une spécialité de l'étude des monuments d'art roman, n'a pas seulement rédigé une description très savante et très complète, ornée de quatre photogravures excellentes, il a, au moment même où il était question de la démolir ou de la défigurer en l'agrandissant, provoqué et obtenu par l'entremise de M. de Lasteyrie le classement comme monument historique de cette église de Curgy, si curieuse en ce qu'elle présente un type d'art bourguignon non encore arrivé à son plein développement, et si intéressante tant par sa structure que par la décoration de son abside, dont les peintures d'un grand style et d'une haute valeur semblent bien remonter à l'époque romane.

Les remerciements de l'Académie ont été adressés à ces deux savants par M. le Secrétaire perpétuel, qui a en outre félicité vivement M. Thiollier de l'heureuse initiative, que, quoique étranger à notre département, il a su prendre pour la sauvegarde de ce monument de l'Autunois.

Notre associé M. le docteur Chervin, directeur de l'Institut des Bègues de Paris, nous envoie une notice faite par M. Aimé Vingtrinier, bibliothécaire en chef de la ville de Lyon et notre correspondant, sur Claudius Chervin, fondateur de l'Institut des Bégues, décédé le 23 décembre 1896, à propos du monument que Bourg-de-Thizy (Rhône) a élevé à sa mémoire le 14 mai 1899.

Cette notice donne le compte rendu des fêtes de l'inauguration, et

« PreviousContinue »