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l'orgue, par un chant plein d'élan et de tendresse, semb e porter ces accents jusqu'au pied de l'Éternel.

Puis, sur un dernier cri de rage de l'Esprit infernal, l'orgue reprend son grave prélude, comme pour affirmer que Dieu aura le dernier mot.

On peut voir, par cette faible analyse d'une scène sublime et sans égale dans aucun ouvrage et dans nul pays, le parti qu'un artiste de génie a su tirer du plus admirable des instruments. Ceux qui ont pu entendre cette œuvre à l'Opéra de Paris, interprétée dans un décor merveilleux, aux sons d'un orgue qui est un des plus parfaits du grand facteur français mort il y a quelques mois, se rappelleront certainement leur émotion et comprendront le succès toujours constant d'une œuvre qui a dépassé depuis longtemps sa millième représentation.

Quiconque porte au cœur l'amour de l'art et de la patrie, sera fier en constatant que la plus belle page, dans laquelle l'orgue ait été employé, a été écrite par un Maître français, qui en a fait, d'un seul jet, une œuvre sans rivale.

Puissions-nous, par cette étude rapide et sommaire, avoir contribué à faire connaître et admirer un instrument dont les perfectionnements encore récents, permettent d'espérer de nouvelles et magnifiques applications à l'Art musical. Par la nature essentiellement noble et élevée des œuvres qui lui sont consacrées, l'orgue mérite une place toujours plus grande au Concert, et son introduction à l'École serait un auxiliaire précieux pour l'éducation des jeunes générations. Son emploi au Théâtre en est un exemple plein d'enseignements.

Mâcon, 17 mai 1900.

HENRI LENORMAND,

Membre titulaire de l'Académie de Mâcon.

RÉPONSE

AU

DISCOURS DE RÉCEPTION DE M. LENORMAND '

MONSIEUR,

Le poète Sully-Prudhomme ayant à recevoir tout récemment, à l'Académie française, le Président de la Chambre des députés, se trouvait bien empêché et s'excusait vis-à-vis du récipiendaire, lui disant que la Politique n'avait pas accoutumé de figurer au cortège des Muses et principalement de la Muse dont il avait sollicité les leçons.

A bien plus forte raison,

« Si Parvos licet componero magnis,

>>

dois-je sentir et déplorer mon incompétence et regretter pour vous la malechance qui fait que moi, profane, nullement initié aux secrets de votre art, ne connaissant pas une note de musique, ne jouant d'aucun instrument, pas même de la basse, comme Lamartine, je sois chargé aujourd'hui de vous adresser les compliments de bienvenue et de vous répondre.

Et pourtant, j'ose croire que vous voudrez bien me considérer comme assez autorisé pour vous dire la douce émotion, le ravis

1. Lu à la séance du 17 mai 1900.

sement où nous a plongés votre discours qui a toutes les suavités d'une audition.

C'est que, Monsieur, vous parlez le langage des Dieux, que disje, du Dieu auprès duquel vous êtes notre interprète; car, vous aussi, vous exercez un sacerdoce. Vous prenez sur la bouche du prêtre qui, à l'autel, accomplit les mystères sacrés, le chant liturgique; vous le convertissez en puissantes ondulations et en saintes harmonies qui suscitent la prière dans l'âme des fidèles, et cette prière que leurs lèvres murmurent timidement, vous la faites monter et vous la déposez, éloquente et mélodieuse, aux pieds de l'Éternel.

Le sacerdoce dont vous êtes revêtu, les poètes l'ont proclamé :

L'orgue, le seul concert, le seul gémissement

Qui mêle aux cieux la terre,

a dit Victor Hugo.

Il élève, dans l'ombre de l'église,

Sa grande voix qui s'enfle et court comme une brise,

Et porte, en saints élans, à la divinité,

L'hymne de la nature et de l'humanité,

a dit Lamartine en vers plus grandioses.

Ces fidèles que vous vous plaisez à mettre en communication continuelle avec vous, vous les aimez d'un amour si sincère et si peu exclusif que vous voulez leur faire goûter, même en dehors de vous, toutes les joies que vous savez leur être délicieuses. Il y a deux mois à peine, vous eu la délicate attention de leur doncar c'est à vous et à l'un de nos confrères associés dont le nom évoque, dans notre région, une des gloires de la musique, qu'ils le doivent - un régal qu'ils ont vivement apprécié, je

ner

veux dire l'audition des Chanteurs de Saint-Gervais.

Ç'a été une soirée que nous n'oublieront pas. Non, nous n'ou

blierons pas les mélopées grégoriennes : Alleluia Salve Virgo, le Graduel Christus factus est, exquises mélodies de plain-chant que, dans les églises, on exécutait au Moyen Age. Ah! laissez-moi vous le dire: -vous pardonnerez à une impression d'homme de lettres -tous les instruments qui composent un orchestre, votre admirable instrument lui-même, ne donnent pas le degré d'émotion poignante et le frisson que font éprouver, dans ces chants grégoriens, les voix humaines qui, se décuplant en un unisson parfait, avec leurs notes perlées au début, montent en crescendo, grondent comme un tonnerre et se perdent en un finale vibrant comme un cuivre dont la sonorité qui s'atténue va mourir en des ondes. assoupies.

Nous nous rappellerons l'Ave Maria de Palestrina, Palestrina que ses chagrins domestiques, la détresse à laquelle il fut réduit ont touché de quelque mélancolie, mais dont le génie, même voilé de tristesse, conserve sa pureté.

Et le Tantum ergo de Vittoria et son O vos omnes qui transitis, Vittoria, au sentiment farouche, à la religion ténébreuse des rois de l'Escurial.

Et l'admirable oratorio de Carissimi, la Plainte des Damnés, où revient, comme une imprécation stridente et qui fait frémir, le refrain: Pereat Dies in quá nati sumus. Comment le cri de Job, qui a eu sa répercussion de nos jours, dans l'école romantique, a-t-il pu être poussé par un homme presque encore de la Renaissance, par un contemporain de Rubens, à une époque où tout était plaisir et joie de vivre? Il y aura donc toujours, et même aux temps de renouveau où tout semble sourire, des âmes endolories! Oui, même aux siècles d'or, le Surgit amari aliquid montera au cœur et aux lèvres de l'homme, et Shakspeare, dans la Merry England, écrira presque au même moment Hamlet et les Joyeuses commères de Windsor.

Merci, Monsieur, pour cette fête de l'âme.

Nous marquerons encore d'un caillou blanc cette journée qui nous apporte votre discours de réception. Vous n'avez pas été ingrat envers le divin outil de votre profession, devenu le confident auquel vous communiquez, du bout de vos doigts, les plus intimes secrets de votre âme et qui répond à vos effusions en son langage sonore, si doux et si profond tout ensemble. Il a récompensé votre affection et vous a fait, car nous connaissons votre mérite et les distinctions qu'il vous a values, lauréat de l'école de musique classique et religieuse fondée par Niedermeyer, votre maître. C'est à cet ami de tous les jours que vous avez voulu consacrer votrep remière étude. C'était faire un acte pieux, et cette attention, encore aujourd'hui, vous a porté bonheur; vous en avez parlé en termes excellents.

Tout d'abord et fort justement, vous constatez que, dès son apparition en Europe, l'orgue servit principalement à rehausser l'éclat des cérémonies religieuses. Mais on l'a employé aussi au théâtre, et c'est l'orgue au théâtre que vous avez désiré nous faire connaître. Vous analysez brièvement les œuvres dans lesquelles cet instrument intervient. Vous citez entre autres, la Juive, le Prophète, le Cid, et vous faites judicieusement observer que, dans ces opéras, « le compositeur a non seulement employé l'orgue, il a emprunté à la liturgie ses chants les plus beaux, parfaitement appropriés aux épisodes du drame représenté ». Mais c'est à la scène de l'église, dans Faust, que vous aimez à vous arrêter. «Par une inspiration de génie », dites-vous, « le maître fait de l'orgue non un instrument ordinaire concourant à l'ensemble orchestral, mais un personnage prenant part à l'action dramatique. » C'est ce personnage, c'est l'Esprit du bien qui vient au secours de Marguerite et qui lutte contre l'Esprit du mal pour défendre son âme. Et vous déroulez devant nous les péripéties de

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