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RÉPONSE DE M. REYSSIÉ

AU

DISCOURS DE RÉCEPTION DE M. JEAN MARTIN ·

MONSIEUR,

Avouez-le ce n'est pas sans hésitation que vous nous avez donné votre discours de réception. Vous vous croyiez, paraît-il, obligé de le faire précéder de remerciements, de témoignages de reconnaissance, et, comme les congratulations académiques ne semblent pas aller à votre nature entre nous, je vous suppose mauvais complimenteur; vos qualités sont d'autre sorte et bien plus sérieuses vous conserviez votre manuscrit en poche. Comme vous nous connaissez peu! Nous nous serions bien gardé de vous demander autre chose que ce que vous aviez l'intention de nous offrir, trouvant amplement à prendre dans ce qu'il vous plaisait de nous accorder volontiers, je veux dire le fruit de vos labeurs, labeurs dont nous sentions tout le mérite et tout le prix. Vous êtes un travailleur, un hardi et rude pionnier de la science archéologique, de cette science qui, comme l'épigraphie, n'est plus seulement, de nos jours, l'auxiliaire de l'histoire, mais est devenue l'histoire même, et ce sont des trésors que vous nous avez apportés et que vous nous apporterez encore.

1. Lu à la séance du 3 mai 1900.

Votre étude sur les Sépultures barbares des environs de Tournus est importante et du plus haut intérêt local.

Tout de suite, sans vain préambule, et, pour ainsi parler, la pioche à la main, vous entrez dans le champ de vos investigations. Pourtant, avant de fouiller les entrailles de la terre, vous jetez un coup d'œil autour de vous. Vous constatez qu'aucun vestige des anciens conquérants ne se retrouve sur la surface du sol. «Ils avaient cependant des abris », dites-vous. Oui, mais ne vous semble-t-il pas que, primitivement, ces abris étant de bois, de joncs, de torchis, devaient disparaître peu de temps après leur construction? Ceux qui les occupaient, nomades venus des forêts de la Germanie, campaient un jour, un mois, une année au plus et se montraient peu soucieux d'établissements permanents. Ces nomades qui, à Tournus et aux environs, étaient des Burgondes, avaient trouvé, auprès des habitants de la contrée, un accueil sinon empressé, du moins favorable. Ces derniers, serrés de près par les Goths à l'ouest, avaient compris qu'il était de leur avantage de se faire des amis des nouveaux venus et de s'appuyer sur eux pour résister à la fureur et aux déprédations de leurs voisins. Aussi leur offrirent-ils un gite, et cela, chez eux, dans leurs maisons, qu'ils partagèrent avec eux. Les barbares, heureux de quitter leurs toits de branchage et leurs murs de boue, s'installèrent confortablement dans des logements bien clos et y prirent leurs aises. Ce furent des hôtes souvent grossiers et incommodes auxquels les délicats Gallo-Romains eurent beaucoup de peine à s'habituer. « Je suis placé parmi ces bandes chevelues, obligé d'affronter des mots germaniques, de louer ce que chante le Burgonde vorace qui répand sur ses cheveux un beurre aigri », conte tristement Sidoine Apollinaire qui méprise ces hommes de sept pieds, qui les méprise mais qui en a peur. Ils ont, à leur manière, des égards, cependant, pour ceux qui les

Annales de l'Acad. de Mácon. 1900.

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ont accueillis; ils leur rendent un hommage, mais un hommage dont ceux-ci se passeraient volontiers : « Tu es heureux, écrit à un de ses amis le même Sidoine, de ne pas sentir chaque matin leur odeur d'ail, car, dès le point du jour, ils viennent nous saluer, ces géants. » Bientôt ils cesseront de témoigner ces marques de respect et comme de vassalité envers les légitimes propriétaires. « Ils sont les maîtres du sol romain! » s'écrie douloureusement Salvien, dès le commencement du ve siècle. Voilà pourquoi ces conquérants, commodément établis dans les habitations des possesseurs du pays qu'ils ont supplantés, n'ont pas eu à élever ce que vous avez appelé, Monsieur, « des abris », et ce doit être pour cela qu'il vous a été impossible d'en découvrir la trace aux lieux de vos recherches.

Après avoir, d'un regard, parcouru la surface, vous pénétrez dans les profondeurs. Vous explorez les cimetières de Tournus et de ses environs et principalement ceux de Farges, Dulphey, Plottes, Lacrost, etc. Quand, de votre pioche, vous heurtez une tombe et que vous l'ouvrez, vous n'éprouvez pas l'émotion que ressent le laboureur de Virgile quand, du soc de sa charrue, il frappe et met à nu les squelettes humains, et qu'il en compare les dimensions colossales à sa taille exiguë :

Grandia que effosis mirabitur ossa sepulcris.

Chez vous, l'archéologue l'emporte sur le paléontologiste. Ce sont les vêtements, les bijoux les ornements de toutes sortes, les armes gisant à côté des ossements qui attirent vos yeux et fixent votre attention. Vous constatez que, par le style, par l'exécution, plusieurs de ces objets diffèrent totalement de l'art romain et vous les rattachez à la période des envahisseurs des ve et vre siècles. Vous vous rappelez ce passage de Grégoire de Tours : « Les Franks portent des habits de toile serrés au corps et sur les membres,

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avec un large baudrier auquel ils pendent l'épée, » et vous avez la bonne fortune de mettre au jour « des plaques de baudrier en fer avec contre-plaque et boucle ovale et conique,... plaques rectangulaires et arrondies du côté opposé à l'anneau et pourvues de quatre bossettes en relief recouvertes d'argent et ornementées d'un grénetis », et vous identifiez cette pièce de l'armure des Franks avec celle décrite par le saint prélat. Creusant la terre autour de vous, dans la même région, vous trouvez encore et vous nous présentez des types très certains de l'époque barbare, mais vous nous en faites voir d'autres, et ils sont en grand nombre des poteries surtout - d'aspect franchement galloromain. Nous n'en sommes pas surpris. Les peuplades venues du nord adoptèrent facilement les usages des contrées du midi qu'ils avaient subjuguées. Il arriva, vraisemblablement, aux Burgondes en contact avec les Gallo-Romains, ce qu'il était advenu aux Gaulois touchés par la civilisation romaine. Ces derniers avaient compris, bien vite, que cette civilisation, pour eux, était un bienfait : « Ils la saisirent avidement, dit un sagace historien moderne, Fustel de Coulanges, et comme d'heureux enfants qui n'ont qu'à hériter du labeur paternel, ils mirent la main sur ce beau fruit que vingt générations de Grecs et de Romains avaient à produire. » De même, les Burgondes mordirent à belles dents au fruit de la civilisation gallo-romaine. Ils le savourèrent, la firent leur, abandonnant les coutumes, les mœurs de leur vie primitive qui ne fut pour eux qu'un passé dont ils perdirent bientôt le souvenir.

travaillé

Après les Sépultures barbares, vous nous offrez aujourd'hui une précieuse monographie sur l'abbaye de Tournus. Vous ne voulez pas en faire l'histoire après le chanoine Juénin, ni même la description, après M. Meulien. Votre but est seulement d'indiquer les époques de construction, de réparation et les modifications

apportées aux bâtiments claustraux. C'est là une œuvre modeste, mais éminemment utile, car, sans vous, par suite des démolitions et des désaffectations successives, il n'y aurait plus trace de plusieurs parties de ces bâtiments. La tâche que vous vous êtes imposée, vous l'avez, de tout point, remplie et vous avez ainsi couronné les beaux travaux que vous avez entrepris pour le vieil édifice, travaux non seulement d'écrivain, mais d'entrepreneur, mais de maçon, car nous savons et la ville de Tournus sait que vous n'avez pas hésité à prendre à votre charge, à faire à vos frais et, peut-être, à la sueur de votre front, des opérations de manœuvre, comme des enlèvements de terre, des fouilles, des déblaiements, car rien ne vous coûte quand il s'agit de votre chère abbaye. Vous l'entourez d'un culte pieux; elle est l'objet de vos pensées constantes, de vos soins continus. Vous la voulez et la faites belle, pour l'admiration de tous, vous connaissez son passé et vous ne permettriez pas qu'elle n'y fût point fidèle.

Vous connaissez aussi le passé de cette ville qui est votre berceau et vous gardez précieusement ses gloires dans un musée dont vous êtes non seulement le conservateur, mais le créateur, car c'est à vous qu'il doit sa naissance, c'est à vous qu'il doit sa prospérité. Vous en avez dressé le catalogue, vous en avez opéré le classement. Tout spécialement, vous vous êtes occupé de l'œuvre de Greuze, comprenant bien l'intérêt qu'il y avait pour votre cité à rassembler tous les documents qui concernent son plus illustre enfant le catalogue de cette œuvre est le travail d'un bénédictin. Vous avez réuni tout ce qui touche de près ou de loin à votre région, et cela, avec tant de zèle et tant de fruit que vous êtes une providence pour les chercheurs sûrs de trouver chez vous des trésors d'informations. Tenez, si vous voulez bien me pardonner un souvenir tout personnel, c'est grâce à vous que j'ai pu illustrer le Cardinal de Bouillon du cartouche

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