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partialité lui firent décerner ensuite les honneurs de la présidence. Il ne démentit pas dans sa nouvelle charge les promesses que ses débuts avaient fait concevoir, et il s'acquitta de ses fonctions avec une compétence et une distinction auxquelles chacun s'est plu à rendre hommage.

Puis la politique le tenta. Je me trompe, il se laissa persuader par des amis, plus zélés que prévoyants peut-être, que les idées sagement progressives qui s'incarnaient en lui le réclamaient sur un autre théâtre. Mais il échoua et, sans regrets, sans amertume, avec toujours son beau sourire sur les lèvres, il se résigna à sa défaite, jurant qu'on ne l'y reprendrait plus.

Il se consacra, dès lors, tout entier à l'œuvre maîtresse de sa vie qui fut celle d'un honnête homme de bien. Directeur de la Caisse d'épargne de Mâcon de 1871 à 1893, il marqua d'une empreinte ineffaçable son passage dans cet établissement où il sut tempérer la gravité de ses fonctions par une exquise urbanité, et où sa bonhomie spirituelle lui gagna rapidement les cœurs de ses collaborateurs à tous les degrés.

La sympathie qui se dégageait de sa personne, sa fidélité constante aux liens de la camaraderie, sa foi profonde que les hommes ont besoin de s'unir pour devenir meilleurs, l'influence dejsa bonté parfaite et toujours prête à s'épancher au dehors, le désignaient pour occuper le premier rang de notre Association. amicale et fraternelle.

Il fut notre Président à différentes reprises. C'est pendant sa dernière présidence qu'un décret, sollicité par son initiative et préparé par ses actives démarches, fut rendu, qui reconnaissait à la Société des Anciens Élèves du Lycée Lamartine le caractère d'établissement d'utilité publique. Le ministre d'alors, qui était à la fois homme de cœur et homme d'esprit, glissa sous le pli renfermant l'ampliation de ce décret, le ruban d'officier d'Acadé

mie pour notre ami. De l'aveu de tous, cette récompense, accordée avec tant d'à propos, ne pouvait échoir à un plus digne.

A présent, il n'est plus, il est parti pour le grand voyage de l'éternité. Je souhaiterais qu'il me fût permis d'adresser quelques paroles de soulagement, sinon de consolation, à sa veuve, à ses enfants, à tous les siens consternés de son abandon involontaire. Mais hélas! la puissance de l'homme finit là où celle de Dieu commence, et nous ne pouvons que nous incliner respectueusement devant leur douleur profonde.

Henri Piot, adieu! Pourquoi ne dirais-je pas aussi au revoir, avec ceux que tourmente le mystère de notre destinée future, avec ceux qui se refusent invinciblement à penser que tout soit consommé par la destruction de nos organes périssables?

Ami cher et regretté, ami trop tôt disparu, adieu et, peut-être, au revoir !

PAUL MARITAIN,

Membre titulaire de l'Académie de Mâcon.

PROJET D'ÉTABLISSEMENT

D'UNE

FABRIQUE DE VERRES DE VENISE '

A MACON, EN 15832

I

A notre époque, où les municipalités soucieuses de développer et d'accroître la prospérité de la ville, feraient tout au monde, non seulement pour retenir les anciennes industries dans le pays, mais encore pour y en attirer de nouvelles, il est intéressant de jeter un regard en arrière et de voir comment nos bons échevins d'ancêtres se comportaient à l'occasion. Or, il leur arrivait en l'an de grâce 1583, et le vendredi 19 du mois d'août, de recevoir du nommé Philibert Quinsson « natifz et trafficquant de Mâcon », sergent de la milice de la compagnie de M. Bernard de Marbé, capitaine de la ville, une requête par laquelle il demandait l'autorisation, pour lui et pour quelques associés qu'il avait recrutés, d'établir une verrerie artistique. « Curieux, disait-il, d'apporter en ceste ville les comoditez de commerce qu'avec grande despence on est contrainct aller rechercher aux païs estrangiers, il a deslibéré dresser une verrerie pour, avec ses associez, travailler en cest art à la forme et façon de Venize. » Il avait déjà obtenu

1. Lu à la séance du 1er mars 1900.

2. Archives de la ville de Mâcon, BB. 49, fos 32-34; HH. 9, nos 10-13. Archives du département de Saône-et-Loire, C. 468, fos 42 vo et 43.

des privilèges du Roi, l'exemption de toutes tailles, subsides et impositions pour les patrons, leurs ouvriers, leurs employés, leurs domestiques, et les marchands tant de gros que de détail. Mais il craignait de provoquer, par la consommation importante de bois qu'il devait faire, les « murmures » du « peuple ». Aussi s'engageait-il d'avance à ne s'approvisionner que dans les forêts situées au delà de Tournus et en dehors des limites du bailliage. Enfin il exprimait, dans le style imagé de l'époque, l'espoir « que de dresser ledict attelage, il réussiroit un grand bien au publicq ».

Le jeudi 25 août les échevins transmirent aux gens du Roi, pour avis, la requête de Quinsson. Puis ils se réunirent le mercredi 30 août et délibérèrent que l'établissement projeté serait « grandement préjudiciable à la ville et à tout le païs, d'aultant que l'on ne le pourroit dresser sans faire ung merveilleux desgatz de bois, lequel est desjà bien fort cher et rare, estant le pris d'icelluy acreu despuis vingt ans en çà des deux tiers, à l'occasion de ce que dez ledict temps il s'est essarté une infinité de forestz, tant taillis que d'haulte fustaie ». Déjà « les forneaulx propres pour la thuille, chaulx et carrons », et il n'y avait pas moyen de s'en passer! consommaient beaucoup de bois. Mais foin d'une verrerie « dont l'ouvrage est de volupté et plaisir seulement, sans aulcune nécessité! » Y songeait-on, d'ailleurs? S'exposer à manquer de bois! Le bois qui « est de telle nécessité qu'il est refféré comme ung cinquiesme élément, sans lequel il seroit bien difficille de pouvoir vivre! » Et puis, augmenter encore le nombre, déjà trop considérable, des privilégiés exempts d'impôts, dont les charges retombent sur le reste des habitants! Ah non! point de verrerie! Qu'elle aille plutôt s'installer aux pays boisés, en Champagne ou dans les Ardennes. La Saone et la Loire apportent au Mâconnais assez de verres et à bon marché !

Cette attitude surprit sans doute les gens du Roi qui décidèrent, le même jour, jeudi 25 août, d'en référer aux députés des États du Mâconnais.

Les échevins, de leur côté, s'adressèrent au lieutenant général, civil et criminel, du bailliage, lui demandant de s'opposer à ce que les verriers en question vinssent « se habituer en la ville et y exercer leur train », et les représentant comme «< ung grand péril », parce que « estrangiers, non régnicolles, portant les armes en grand nombre, les aultres habitans ne se pourroient tenir en seurté, et seroit à craindre qu'il n'y eust du rumeur ». Le lieutenant général transmit la requête aux États du Mâconnais que les gens du Roi avaient déjà saisi de l'affaire.

Les États en délibérèrent le 9 septembre, et émirent l'avis qu'il y a lieu d'autoriser à l'essai pendant trois ans l'entreprise Quinsson. Mais ils posèrent en même temps comme conditions. que seuls les « gentilzhommes exerceant l'art et science de verriers » seraient exempts d'impôts, à l'exclusion de leurs ouvriers, de leurs employés, de leurs domestiques, et des marchands, que les étrangers s'engageraient à « se contenir paisiblement et ne rien entreprandre et attempter contre le repoz et transquillité de la ville et service du Roy », enfin que les futurs verriers n'achèteraient aucun bois dans le Mâconnais, sous peine «< d'estre deschassés et expulsés de la ville, et privés de ladicte verrerie ».

Les gens du Roi ne purent que se ranger à l'avis des États (samedi 10 septembre 1583). En conséquence, et par sentence rendue le même jour, le lieutenant général du bailli, «< sans avoir esgard ez remonstrances des eschevins, comme non considérables en ceste part », autorisa, pour une période de trois ans, Quinsson et les verriers « Romains de nation, au nombre de sept hommes seullement et trois jeusnes enfants » qu'il avait fait venir ou qu'il se proposait de mander, déjà l'exode des

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