Page images
PDF
EPUB
[ocr errors]

Et dans ce haut éclat où Tu te viens offrir,

Touchant à tes lauriers, craindroit de les flétrir.

Ainfi, fans m'aveugler d'une vaine manie,

Je mefure mon vole à mon foible génie :1

1. Plus fage en mon refpect, que ces hardis mortels,
Qui d'un indigne encens profanent tes autels;

Qui dans ce champ d'honneur, où le gain les amene,
Ofent chanter ton nom fans force & fans haleine,
Et qui vont tous les jours, d'une importune voix
T'ennuyer du récit de tes propres exploits.

L'un en ftyle pompeux habillant une Eglogue;
De fes rares vertus Te falt un long prologue,
Et mêle en fe vantant foi-même à tout propos,
Les louanges d'un Fat à celles d'un Héros.

L'autre en vain fe laffant à polir une rime,
Et reprenant vingt fois le rabot & la lime,
Grand & nouvel effort d'un esprit fans pareil !
Dans la fin d'un Sonnet Te compare au Soleil.
Sur le haut Hélicon leur veine méprisée,
Fut toujours des neuf Soeurs la fable & la rifée.
Calliope jamais ne daigna leur parler,
Et l'égale pour eux refufe de voler.

Cependant à les voir enflés de tant d'audace,
Te promettre en leur nom les faveurs du Parnasse,
On diroit, qu'ils ont feuls l'oreille d'Apollon,
Qu'ils difpofent de tout dans le facré Vallon.
C'eft à leurs doctes mains, fi l'on veut les en croire,
Que Phébus a commis tout le foin de ta gloire :
Et ton nom du Midi jufqu'à l'Ours vanté,

[ocr errors]

Ne devra qu'à leurs vers fon immortalité.
Mais plutôt fans ce nom, dont la vive lumiere

Donne un luftre éclatant à leur veine groffiere,
Ils verroient leurs écrits, honte de l'univers,
Pourrir dans la pouffiere à la merci des vers.
A l'ombre de ton nom ils trouvent leur afyle;
Comme on voit dans les champs un arbrisseau débile,
Qui, fans l'heureux appui qui le tient attaché,
Languiroit triftement fur la terre couché.

Ce n'eft pas que ma plume injufte & téméraire Veuille blâmer en eux le deffein de Te plaire: Et parmi tant d'Auteurs, je veux bien l'avouer, Apollon en connoît qui te peuvent louer.

Oui, je fais qu'entre ceux qui t'adreffent leurs veilles,
Parmi les Pelletiers on compte des Corneilles.
Mais je ne puis fouffrir, qu'un Efprit de travers,
Qui pour rimer des mots penfe faire des vers
Se donne en Te louant une gêne inutile.
Pour chanter un Auguste, il faut être un Virgile.
Et j'approuve les foins du Monarque guerrier,
Qui ne pouvoit fouffrir qu'un Artisan groffier
Entreprît de tracer, d'une main criminelle,
Un portrait réfervé pour le pinceau d'Apelle.

Moi donc, qui connois peu Phébus & fes douceurs,
Qui fuis nouveau fevré fur le mont des neuf Sœurs :
Attendant que pour Toi l'âge ait mûri ma Muse,
Sur de moindres fujets je l'exerce & l'amufe :
Et tandis que ton bras, des peuples redouté,
Va, la foudre à la main, rétablir l'équité,
Et retient les méchans par la peur des fupplices,
Moi, la plume à la main, je gourmande les vices;
Et gardant pour moi-même une jufte rigueur
Je confie au papier les fecrets de mon cœur.

Ainfi, dès qu'une fois ma verve fe réveille,
Comme on voit au printems la diligente abeille,
Qui du butin des fleurs va composer fon miel,
Des fottifes du tems je compofe mon fiel.
Je vais de toutes parts où me guide ma veine,
Sans tenir en marchant une route certaine,
Et fans gêner ma plume en ce libre métier
Je la laiffe au hafard courir fur le papier.

Le mal eft, qu'en rimant, ma Mufe un peu légere,
Nomme tout par fon nom
& ne fauroit rien taire.
C'eft-là ce qui fait peur aux Efprits de ce tems,
Qui tout blancs au-dehors, font tout noirs au-de-

dans.

Ils tremblent qu'un Cenfeur, que fa verve encourage,
Ne vienne en fes écrits démasquer leur visage,
Et fouillant dans leurs moeurs en toute liberté,
N'aille du fond du puits tirer la Vérité.
Tous ces gens éperdus au feul nom de Satire,
Font d'abord le procès à quiconque ofe rire.
Ce font eux que l'on voit, d'un discours insensé,
Publier dans Paris que tout eft renversé,

Au moindre bruit qui court qu'un Auteur les me

nace

De jouer des Bigots la trompeufe grimace.

Pour eux un tel ouvrage eft un monftre odieux; C'eft offenfer les Loix, c'est s'attaquer aux Cieux. Mais bien que d'un faux zele ils mafquent leur foi

bleffe,

Chacun voit qu'en effet la vérité les bleffe.
En vain d'un lâche orgueil leur efprit revêtu
Se couvre du manteau d'une auftere vertu :

Leur cœur qui fe connoît, & qui fuit la lumiere, S'il fe moque de Dieu, craint Tartuffe & Moliere.

Mais pourquoi fur ce point fans raifon m'écarter? GRAND ROI, c'est mon défaut, je ne faurois flatter. Je ne fais point au Ciel placer un Ridicule, D'un Nain faire un Atlas, ou d'un lâche un Hercule, Et fans cefle en efclave à la fuite des Grands, A des Dieux fans vertu prodiguer mon encens. On ne me verra point d'une veine forcée, Même pour Te louer, déguifèr ma pensée : Et quelque grand que foit ton pouvoir fouverain, Si mon cœur en ces vers ne parloit par ma main, Il n'eft efpoir de biens, ni raison, ni maxime, Qui pût en ta faveur m'arracher une rime.

Mais lorsque je te vois, d'une fi noble ardeur, T'appliquer fans relâche aux foins de ta grandeur, Faire honte à ces Rois que le travail étonne, Et qui font accablés du faix de leur couronne : Quand je vois ta fageffe, en fes juftes projets, D'une heureufe abondance enrichir tes Sujets ; Fouler aux pieds l'orgueil & du Tage & du Tibre, Nous faire de la Mer une campagne libre; Et tes braves Guerriers fecondant ton grand cœur, Rendre à l'Aigle éperdu fa premiere vigueur, La France fous tes loix maîtrifer la Fortune; Et nos vaiffeaux domptant l'un & l'autre Neptune, Nous aller chercher l'or, malgré l'onde & le vent, Aux leux où le Soleil le forme en fe levant. Alors fans confulter fi Phébus l'en avoue, Ma Mafe tout en feu me prévient & Te loue. Mais bientôt la raifon arrivant au secours,

2

Vient d'un fi beau projet interrompre le cours,
Et me fait concevoir, quelque ardeur qui m'emporte,
Que je n'ai ni le ton, ni la voix affez forte.
Auffi-tôt je m'effraye, & mon esprit troublé
Laiffe là le fardeau dont il eft accablé :

Et fans paffer plus loin, finiffant mon ouvrage,
Comme une pilote en mer qu'épouvante l'orage,

[ocr errors]

Dès que le bord paroît, fans songer où je suis,

Je me fauve à la nage, & j'aborde où je puis.

« PreviousContinue »