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Enfin, pour arrêter cette lutte barbare,

De nouveau l'on s'efforce, on crie, on les fépare;
Et leur premiere ardeur passant en un moment,
On a parlé de paix & d'accommodement.

Mais, tandis qu'à l'envi tout le monde y conspire
J'ai gagné doucement la porte fans rien dire,
Avec un bon ferment, que fi pour l'avenir,
En pareille cohue on me peut retenir,

Je confens, de bon cœur, pour punir ma folie,
Que tous les vins pour moi deviennent vins de Brie:
Qu'à Paris le gibier manque tous les hivers,

Et qu'à peine au mois d'Août l'on mange des pois verds.

SATIRE IV.

A MONSIEUR L'AB B É

LE VA Y E R.

La Satire IV a été faite en l'année 1664, immédiatement après la feconde Satire, & avant le Difcours au Roi. M. Despréaux en conçut l'idée dans une converfation qu'il eut avec l'Abbé le Vayer & Moliere, dans lequel on prouva par divers exemples que tous les hommes font fous, & que chacun croit néanmoins être fage tout feul. Cette propofition fair le fujet de cette Satire.

D'où vient, cher LE VAYER, que l'Homme

Ой

le moins fage

Croit toujours feul avoir la fageffe en partage;

Et qu'il n'eft point de Fou, qui par belles raisons Ne loge fon voifin aux Petites Maisons ?

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Un pédant enivré de fa vaine fcience,

Tout hérifié de Grec,'tout bouffi d'arrogance,
Et qui de mille Auteurs retenus mot pour mot,
Dans fa tête entaffés, n'a fouvent fait qu'un Sot,
Croit qu'un Livre fait tout
& que
La raifon ne voit goutte & le bon fens radote.

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fans Ariftote

D'autre part, un Galant, de qui tout le métier

Eft de courir le jour de quartier en quartier,
Et d'aller, à l'abri d'une perruque, blonde,
De fes froides douceurs fatiguer tout le monde,
Condamne la fcience, & blâmant tout écrit,
Croit qu'en lui l'ignorance est un titre d'efprit,
Que c'eft des gens de Cour le plus beau privilége;
Et renvoie un favant dans le fond d'un Collège.
Un Bigot orgueilleux, qui dans fa vanité
Croit duper jufqu'à Dieu par fon zèle affecté,
Couvrant tout fes défauts d'une fainte apparence,
Damne tous les Humains de fa pleine puiffance.

Un Libertin d'ailleurs, qui fans ame & fans foi,
Se fait de fon plaifir une fuprême loi,

Tient que ces vieux propos de Démons & de flammes,
Sont bons pour étonner des enfans & des femmes ;
Que c'eft s'embarrasser de soucis superfius,
Et qu'enfin tout Dévot a le cerveau perclus.

En un mot, qui voudroit épuifer ces matieres
Peignant de tant d'efprits les diverfes manieres,
Il compteroit plutôt combien dans un Printems,
Guénaud & l'antimoine ont fait mourir de gens ;
Et combien la Neveu devant fon mariage,
A de fois au public vendu fon pucelage.
Mais, fans errer en vain dans ces vagues propos,
Et pour rimer ici ma pensée en deux mots;
N'en déplaise à ces Fous nommé Sages de Grece ;
En ce monde il n'eft point de parfaite fageffe:
Tous les hommes font fous, & malgré tous leurs foins,
Ne different entr'eux que du plus & du moins :
Comme on voit qu'en un bois, que cent routes fé-
parent,

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Les voyageurs fans guide affez fouvent s'égarent,

L'un à droit, l'autre à gauche, & courant vaine

ment,

La même erreur les fait errer diversement :
Chacun fuit dans le monde une route incertaine,
Selon que fon erreur le joue & le promene ;
Et tel y fait l'habile, & nous traite de fous,
Qui fous le nom de fage eft le plus fou de tous.
Mais quoi que fur ce point la Satire publie,
Chacun veut en fageffe ériger fa folic,
Et fe laiffant régler à fon efprit tortu,
De fes propres défauts fe fait une vertu.
Ainfi, cela foit dit pour qui veut fe connoître
Le plus fage eft celui qui ne penfe point l'être ;
Qui toujours par un autre enclin vers la douceur,
Se regarde foi-même en févere Cenfeur,
Rend à tous fes défauts une exacte justice,
Et fait fans fe flatter le procès à fon vice.
Mais chacun pour foi-même est toujours indulgent.
Un avare idolâtre & fou de fon argent,
Rencontrant la difette au fein de l'abondance,
Appelle få folie une rare prudence,

Et met toute fa gloire & fon fouverain bien,
A groffir un tréfor qui ne lui fert de rien.
Plus il le voit accrû, moins il en fait usage.
Sans mentir, l'avarice eft une étrange rage,
Dira cet autre Fou, non moins privé de fens,
Qui jette furieux, fon bien à tous venans
Et dont l'ame inquiete, à soi-même importune
Se fait un embarras de fa bonne fortune.
Qui des deux en effet eft le plus aveuglé ?

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L'un & l'autre à mon fens ont le cerveau trou

blé,

Répondra chez Frédoc, ce Marquis fage & rude,
Et qui fans ceffe au jeu, dont il fait fon étude,
Attendant fon deftin d'un quatorze & d'un fept,
Voit la vie ou fa mort fortir de fon cornet.
Que fi d'un fort fâcheux la maligne inconftance
Vient par un coup fatal faire tourner la chance,
Vous le verrez bientôt les cheveux hériffés
Et les yeux vers le Ciel de fureur élancés,
Ainfi qu'un Poffédé que le Prêtre exorcise,
Fêter dans fes fermens tous les Saints de l'Eglife.
Qu'on le lie, ou je crains, à fon air furieux,
Que ce nouveau Titan n'escalade les Cieux.

Mais laiffons-le plutôt en proie à fon caprice,
Sa folie auffi-bien lui tient lieu de fupplice.
Il est d'autres erreurs dont l'aimable poison
D'un charme bien plus doux enivre la raison :
L'efprit dans ce nectar heureusement s'oublie.

Chapelain veut rimer, & c'eft là fa folie. Mais bien que fes durs vers d'épithetes enflés, Soient des moindres Grimauds chez Ménage fifflés, Lui-même il s'applaudit, & d'un efprit tranquille, Prend le pas au Parnaffe au-deffus de Virgile. Que feroit-il, hélas ! fi quelque audacieux Alloit pour fon malheur lui déciller les yeux, Lui faifant voir fes vers & fans force & fans graces, Montés fur deux grands mots comme fur deux échaffes ;

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