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Le Sujet de cette Satire eft le vrai & le faux honneur. L'Auteur, après avoir parlé des méprifes de la plupart des hommes, au sujet de ce qu'ils appellent l'honneur, établit enfin que le vrai & le folide honneur confifte dans la justice, fans laquelle toutes les auires prétendues bonnes qualités ne font que de faux brillans. Cette Satire fut commencée vers le mois de Novembre 1698.

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UI, l'honneur, VALIN COUR eft chéri
dans le monde :

Chacun pour l'exalter en paroles abonde ;
A s'en voir rêvetu, chacun met fon bonheur:
Et tout crie ici-bas, l'honneur! vive l'honneur !
Entendons difcourir fur les bancs des galeres
Ce forçat abhorré même de fes confreres :
Il plaint par un arrêt injustement donné,
L'honneur en fa perfonne à ramer condamné.
En un mot, parcourons & la mer & la terre:
Interrogeons marchands, financiers, gens de guerre,
Courtisans, magiftrats; chez eux, fi je les croi,-

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L'intérêt ne peut rien, l'honneur feul fait la loi. Cependant, lorfqu'aux yeux leur portant la lan

terne,

J'examine au grand jour l'efprit qui les gouverne,
Je n'apperçois par tout que folle ambition,
Foibleffe, iniquité, fourbe, corruption;
Que ridicule orgueil de foi-même idolâtre.
Le monde, à mon avis, eft comme un grand théâtre,
Où chacun en public, l'un par l'autre abusé,
Souvent à ce qu'il eft, joue un rôle oppofé.
Tous les jours on y voit, orné d'un faux visage,
Impudemment le fou représenter le fage,
L'ignorant s'ériger en favant faftueux,

Et le plus vil faquin trancher du vertueux.
Mais quelque fol efpoir dont leur orgueil les berce,
Bientôt on les connoît, & la vérité perce.

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On a beau fe farder aux yeux de l'univers A la fin fur quelqu'un de nos vices couverts, Le Public malin jette un œil inévitable; Et bientôt la cenfure, au regard formidable, Sait, le crayon en main, marquer nos endroits faux, Et nous développer avec tous nos défauts.

Du menfonge toujours le vrai demeura maître. Pour paroître honnête homme, en un mot, il faut l'être :

Et jamais quoiqu'il fasse, un mortel ici-bas,

Ne peut aux yeux du monde être ce qu'il n'est pas.
En vain ce mifanthrope, aux yeux triftes & fombres,
Veut par un air riant en éclaircir les ombres :
Le ris fur fon visage eft en mauvaise humeur ;
L'agrément fuit fes traits, fes careffes font peur;

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Ses mots les plus flatteurs paroiffent des rudeffes,
Et la vanité brille en toutes fes baffeffes.
Le naturel toujours fort, & fait fe montrer :
Vainement on l'arrête, on le force à rentrer :
Il rompt tout, perce tout, & trouve enfin passage.
Mais loin de mon projet, je fens que je m'engage :
Revenons de ce pas à mon texte égaré.

L'honneur par-tout, difois-je, eft du monde admiré:
Mais l'honneur en effet qu'il faut que l'on admire,
Quel eft-il, VALINCOUR, pourras-tu me le dire?
L'ambitieux le met fouvent à tout brûler,
L'avare à voir chez lui le Pactole rouler;
Un faux brave à vanter fa proueffe frivole;
Un vrai fourbe à jamais ne garder fa parole:
Ce poëte à noircir d'infipides papiers;
Ce marquis à favoir frauder fes créanciers ;
Un libertin à rompre & jeûnes & carême ;
Un fou perdu d'honneur à braver l'honneur même.
L'un d'eux a t-il raifon, qui pourroit le penfer?
Qu'est-ce donc que l'honneur que tout doit embraffer?
Eft-ce de voir, dis-moi, vanter notre éloquence;
D'exceller en courage, en adreffe, en prudence,
De voir à notre aspect tout trembler fous les cieux,
De pofféder enfin mille dons précieux ?
Mais avec tous ces dons de l'efprit & de l'ame,
Un roi même fouvent peut n'être qu'un infânie,
Qu'un Hérode, un Tibere effroyable à nommer.
Où donc eft cet honneur qui feul doit nous charmer?
Quoiqu'en fes beaux difcours Saint-Evremond nous
prône,

Aujourd'hui j'en croirai Séneque avant Pétrone.

Dans le monde il n'eft rien de beau que l'équité, Sans elle la valeur, la force, la bonté,

Et toutes les vertus dont s'éblouit la terre,

Ne font que faux brillans, & que morceaux de verre. Un injufte guerrier, terreur de l'univers,

Qui fans fujet courant chez cent peuples divers,
S'en va tout ravager jufqu'aux rives du Gange,
N'eft qu'un plus grand voleur que du Tertre & Saint-
Ange.

Du premier des Céfars on vante les exploits ;
Mais dans quel tribunal, jugé suivant les Loix,
Eût-il pu difculper fon injufte manie?

Qu'on livre fon pareil en France à la Reynie,
Dans trois jours nous verrons le Phénix des guer-

riers

Laiffer fur l'échafaud fa tête & fes lauriers.

C'est d'un Roi que l'on tient cette maxime augufte, Que jamais on n'est grand qu'autant que l'on eft jufte.

Raffemblez à-la fois Mithridate & Sylla;

Joignez-y Tamerlan, Genferic, Attila:

Tous ces fiers conquérans, rois, princes, capitaines, Sont moins grands à mes yeux que ce bourgeois d'Athènes,

Qui fut pour tous exploits, doux modéré, frugal,
Toujours vers la juftice aller d'un pas égal.

Oui, la justice en nous eft la vertu qui brille :
Il faut de fes couleurs qu'ici bas tout s'habille.
Dans un mortel chéri, tout injufte qu'il eft,
C'eft quelque air d'équité qui féduit & qui plaît.
A cet unique appas l'ame eft vraiment fenfible.

Même aux yeux de l'injuste, un injufte eft horrible;
Et tel qu'il n'admet point la probité chez lui,
Souvent à la rigueur l'exige chez autrui.
Difons plus: Il n'eft point d'ame livrée au vice,
Où l'on ne trouve encor des traces de juftice.
Chacun de l'équité ne fait pas son flambeau,
Tout n'eft pas Caumartín, Bignon, ni d'Aguesseau.
Mais jufqu'en ces pays, où tout vit de pillage,
Chez l'Arabe & le Scythe elle est de quelque usage ;
Et du butin acquis en violant les loix,

C'eft elle entre eux qui fait le partage & le choix.

Mais allons voir le vrai, jufqu'en fa fource même. Un dévot aux yeux creux, & d'abstinence blême, S'il n'a point le cœur jufte, eft affreux devant Dieu, L'Evangile au chrétien ne dit en aucun licu, Sois dévot. 'Il nous dit: Sois doux fimple, équitable. Car d'un dévot fouvent un chrétien véritable La distance eft deux fois plus longue, à mon avis Que du pôle antarctique au détroit de Davis. Encor par ce dévot, ne crois pas que j'entende Tartuffe, ou Molinos, & fa mystique bande. J'entends un faux chrétien, mal instruit, mal guidé, Et qui de l'Evangile en vain perfuadé,

N'en a jamais conçu l'efprit ni la justice ;

Un chrétien qui s'en fert pour disculper le vice, Qui toujours près des Grands, qu'il prend foin d'abufer,

Sur leurs foibles honteux fait les autorifer;
Et croit pouvoir au ciel, par fes folles maximes
Avec le facrement faire entrer tous les crimes.
Des faux dévots pour moi voilà le vrai héros.

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