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nous requérir en toute hâte pour porter du secours à un malheureux renversé par un cabriolet qui lui avait cassé la jambe, au coin de la rue du Coq aussitôt on tire de dessous le lit de camp la civière dont chaque corps-de-garde est muni. On envoie chercher des porte-faix; il ne s'en trouve pas sur la place: deux de nos jeunes gardes nationaux, les plus étrangers à ce métier par leur rang dans le monde, s'offrent obligeamment à en servir; ils endossent la bricole, et je les suis avec quatre hommes armés. Nous arrivons; la foule se pressait autour du blessé gémissant entre les bras de quelques femmes qui lui prodiguaient des secours et sollicitaient pour lui la pitié publique, dont il avait déjà reçu de nombreux témoignages; nous nous faisons jour jusqu'à lui. Je donne ordre de le placer sur la civière il ouvre languissamment les yeux, et n'aperçoit pas plutôt la garde nationale, qu'à la grande surprise des spectateurs il se relève avec l'agilité d'un écureuil, et s'enfuit à toutes jambes. Nos camarades, non moins alertes que lui, se mettent à sa poursuite, l'amènent au corps-de-garde, où il nous fait l'aveu d'un genre d'industrie déjà signalé, au

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moyen duquel il mettait un impôt sur la pitié publique. Quelques jours de prison ne l'auront probablement pas décidé à renoncer à une profession qu'il exerce depuis plusieurs années avec autant d'habileté que de profit.

Installés dans notre corps-de-garde, le tambour se mit en devoir d'allumer le poële avec quelques coterets de bois vert, dont l'épaisse fumée nous força bientôt d'abandonner la place, et d'aller pendant quelques momens chercher un refuge dans le café voisin les camarades, en attendant l'heure de la faction, se mirent à jouer aux dames et aux dominos.

Les alertes sont fréquentes dans le voisinage du Palais-Royal : la première eut pour objet un filou qui s'était glissé à la Bourse, et qui, malgré nos recherches, parvint à se perdre dans la foule; la seconde fois, il était question d'un scandale donné en plein jour par quelques demoiselles qui n'ont d'immunités pour l'exercice de leur profession qu'après le coucher du soleil. Nous fumes requis, une heure après, pour prêter main-forte à des agens de police chargés d'une saisie chez un libraire à l'air calme et presque satisfait de celui-ci, pendant qu'on enlevait de chez lui une centaine d'exemplaires

d'un ouvrage mis à l'index, j'aurais parié que le contrebandier littéraire avait mis la plus grande partie de l'édition en sûreté, et qu'il avait compté sur cette visite de la police pour donner à un insipide libelle la vogue d'un livre défendu.

La nuit approchait ; chacun revenait au poste après avoir été dîner chez soi ou chez les restaurateurs des environs. Le tambour apportait au corps-de-garde les carricks, les manteaux, lés capotes et les bonnets fourrés dont les plus. prévoyans ont soin de se munir pour passer la nuit; ceux-ci marquaient, par un oreiller ou par une couverture, leur place sur le lit de camp; ceux-là jouaient à la triomphe ou au piquet sur le poële; d'autres fumaient; d'autres, en cercle autour de la lampe, écoutaient la lecture d'un journal que faisait à haute voix l'un des camarades; et l'officier, la cigare à la bouche, dans son grand fauteuil, donnait ses ordres pour le service de la nuit avec autant de sang-froid que Chevert au siége de Prague.

La première patrouille que nous fimes sortir et que je commandais, fut appelée par la clameur publique, sous les galeries du Palais-Royal, dans une maison de jeu où un jeune homme ve

nait de se brûler la cervelle, sans que cet événement eût interrompu la taille. Pendant que le commissaire de police dressait procès-verbal, dans la chambre voisine, d'une catastrophe dont la victime expirait sous nos yeux, un homme de notre escouade, que j'avais posé en faction à la porte de la salle où l'on jouait, s'amusa à perdre tout l'argent qu'il avait sur lui. A en juger par la fureur où l'avait mis la somme qu'il avait déjà perdue, il est permis de croire que si je ne l'eusse pas relevé à tems, il eût pu fournir au commissaire de police l'occasion d'un second procès-verbal : tant il est vrai qu'en fait de passion il faut éviter l'occasion qui séduit toujours, sans compter sur l'exemple, qui ne corrige presque jamais ! Nous ramenâmes au corps-degarde un officieux qui se trouva nanti, par hasard, de la montre du jeune homme mort qu'il s'était empressé de secourir.

En achevant notre tournée sous les arcades, nous réglâmes plus d'un différend entre les nymphes qui peuplent ces galeries et quelques officiers étrangers disposés à croire que le droit de conquête s'étend aussi sur cette espèce de muséum, dont l'enlèvement n'aurait pas produit d'aussi vives réclamations que celui du Louvre.

Vers une heure, tout était tranquille au corpsde-garde les lectures, les jeux, les chants avaient cessé; tout le monde, excepté moi, dormait d'un profond sommeil, et le silence de la nuit n'était interrompu que par le ronflement d'un gros biset, dans le nez duquel l'air s'engouffrait avec un bruit épouvantable. Tout-àcoup la sentinelle crie au feu; en un moment le poste est sur pied, et un détachement de dix hommes, dont je fais partie, se porte en hâte vers le lieu où se manifestait l'incendie.

Nous arrivâmes avant les pompiers, et notre premier soin, en approchant d'une maison en feu dont les habitans jetaient les hauts cris, où le danger s'accroissait par l'épouvante et par le désordre, fut d'enfoncer les portes et d'en faire sortir le plus promptement possible les femmes, les enfans, sur qui se porte le plus pressant intérêt et auxquels sont dus les premiers secours. C'est une justice à rendre aux Parisiens: il n'est pas d'hommes au monde plus sensibles à la pitié; la garde nationale, que l'on peut regarder comme l'élite des habitans de cette grande ville, ne pouvait manquer de donner en cette circonstance l'exemple du zèle et du courage : les postes voisins se joignirent au nôtre; les pom

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