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payer mon tribut à l'usage, en me faisant écrire chez ceux de mes juges à qui j'évitai l'ennui de ma visite; et, tranquille autant qu'on peut l'être en se reposant sur son bon droit, j'attendis mon jugement.

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N° XVI. 19 novembre 1815.

UNE NUIT AU CORPS-DE-GARDE.

Quid est suavius quàm bene rem gerere bono publico!

PLAUTE, les Captifs, acte 3, sc. 2.

Quoi de plus honorable que qui tend à l'utilité publique !

de bien s'acquitter d'un devoir

La révolution a produit bien des maux : elle a causé de grands ravages, de grands malheurs, de grandes injustices; tout le monde en convient; la révolution a déraciné de honteux préjugés, d'intolérables abus: elle a amené des réformes indispensables et fondé des institutions utiles; voilà ce qu'on ne saurait nier, et ce dont il importe de convaincre des hommes dont la mémoire est sujette à tromper le jugement, et qui s'arment trop souvent des regrets du passé contre les espérances de l'avenir.

Au premier rang de ces institutions utiles fondées au sein de nos orages politiques, comme

le nid de l'alcyon au milieu des vagues, il faut compter l'établissement de la Garde nationale. Rien de plus noble dans son but, de plus géné― reux dans son exécution que cette association volontaire des habitans d'une même ville, où chacun, tour-à-tour soldat et citoyen, veille pour le repos de tous, et s'endort le lendemain dans une sécurité dont il trouve à son tour la garantie dans la vigilance des autres.

Je conçois tout ce qu'un pareil état de choses doit avoir eu de pénible, dans le principe, pour cette classe de Parisiens à qui il en coûte tant de se désheurer, comme dit le cardinal de Retz; qui, totalement étrangers à la discipline militaire, n'avaient jamais reçu d'ordres que de leurs femmes, et dont la pendule réglait invariablement les pacifiques habitudes; mais, d'un autre côté, j'ai vécu si long-tems parmi les nations sauvages, pour qui le mot patrie est synonyme de famille, où les charges et les bénéfices de la société sont si également répartis, où l'intérêt de l'individu est si étroitemént lié à l'intérêt de la peuplade, que je n'estime peutêtre pas assez les avantages de cette civilisation européenne à laquelle nous devons ces armées

régulières sur qui reposent au-dehors la défense et la gloire de la patrie, et ces légions de gendarmes, chargées dans l'intérieur du maintien de l'ordre et de la tranquillité publique.

Un petit billet que j'ai trouvé la semaine dernière chez mon portier a donné lieu à ces réflexions, et me fournira la matière de ce Discours : c'était un biliet de garde. En achevant de le lire, avec le secours de mes lunettes, je jetai malheureusement les yeux sur une glace en face de laquelle j'étais placé, et où je trouvai la preuve que le sergent-major de ma compagnie, en me commandant de service, n'avait pas consulté mon extrait de baptême. Pour toute réclamation, je résolus de me présenter en personne, et je mis à honneur de passer, à près de quatre-vingts ans, une nuit au corps-degarde. N'ayant pas dû compter sur l'invitation qui m'était adressée, je n'avais pas songé à me faire faire un uniforme; en conséquence, je me rendis au lieu qui m'était assigné, muni de deux ou trois gilets bien chauds, recouverts d'une redingote bleue, laquelle, à l'aide d'un petit chapeau à trois cornes et de deux baudriers en sautoir, me donnait une certaine tournure mi

litaire qui pouvait, à la rigueur, me tirer de la classe des bisets. *

Ma présence dans les rangs excita un mouvement de surprise auquel je m'étais attendu ; mes camarades, parmi lesquels je ne comptais pas de contemporains, paraissaient vouloir se contenter de cette preuve de mon dévouement, et l'officier, s'approchant de moi avec un respect tout-à-fait lacédémonien, m'autorisa trèsobligeamment à regagner mon logis ; je tenais à mettre à fin mon entreprise : je ne profitai point de la permission.

Notre poste était composé de vingt hommes, commandés par un sous-lieutenant. Nous partîmes de la cour de la Bibliothèque, où nous avions été réunis, pour nous rendre dans la rue du Lycée, près du Palais-Royal. Nous prîmes possession du poste avec tous les honneurs militaires; le sergent numérota ses hommes pour les factions, et, afin de m'en éviter la fatigue, on exigea que je fisse les fonctions de caporal.

Je venais de placer ma dernière sentinelle au bas du grand escalier du Palais, quand on vint

*Nom que l'on donne familièrement aux gardes nationaux qui ne peuvent ou ne veulent pas s'habiller.

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