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Versailles, par le départ du roi et de la cour, avait reçu un coup dont il ne s'est jamais relevé; et son palais, le plus magnifique de l'univers, serait maintenant en ruines, si, quarante ans plus tard, Louis-Philippe ne l'avait restauré pour en faire un musée à la gloire de la France.

Quant aux forfaits qui avaient souillé la matinée du 6 octobre, la justice en fit l'objet d'une procédure longue et laborieuse; mais le nom de Mirabeau, obscurément mêlé à un complot que l'on croyait avoir coïncidé avec ces crimes, fut un empêchement à ce qu'on voulût aller plus loin. Le Châtelet ayant demandé à l'Assemblée l'autorisation de comprendre dans ses poursuites Mirabeau et le duc d'Orléans, Mirabeau parla à la tribune pour sa propre défense, avec son éloquence accoutumée, et assez médiocrement pour celle de Philippe-Joseph. L'Assemblée, en refusant l'autorisation, les innocenta tous deux. La procédure n'eut pas d'autre suite.

VII

TRANSLATION DE L'ASSEMBLÉE A PARIS. SERMENT CIVIQUE.

Dès le lendemain du 6 octobre, Mounier ne voulut plus présider l'Assemblée; il ne voulut plus même en faire partie, et retourna en Dauphiné. Indignés de voir la royauté avilie et violentée, Lally-Tolendal et Bergasse s'éloignérent également.

L'Assemblée s'étant déclarée inséparable de la personne du roi, on préparait à la hâte son installation à Paris; et en attendant, le président recevait chaque jour, de la part des membres, de nombreuses demandes de passe-ports. Beaucoup de députés, surtout parmi les ecclésiastiques, s'épouvantaient de l'idée d'aller à Paris. L'abbé Grégoire voulait, et beaucoup de députés voulaient, comme lui,

qu'on assurât, par une pénalité spéciale et rigoureuse, l'inviolabilité de la personne des députés.

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Mirabeau ne voulut pas : « L'inviolabilité du député, dit-il, « ne doit s'entendre que des poursuites judiciaires ou ministérielles. Pour tout le reste, il n'y a point de différence entre un citoyen quelconque et nous. Vous voulez interdire les injures. Allons donc! je mourrais de peur, si l'on devait être puni pour m'avoir appelé un sot! » Et venant à une question non moins importante, celle de savoir si l'Assemblée devait accorder ou refuser à ses membres des passe-ports, c'est-à-dire la permission de partir, il dit : « Des hommes qui ont fait serment de ne pas se séparer ne doivent pas délibérer longtemps sur cette question. » L'Assemblée décida donc, sur sa proposition, qu'aucun passe-port ne serait accordé, à moins d'une demande motivée. Il y eut encore plusieurs demandes, toutes motivées sur des raisons de santé. « Il est plaisant de considérer,» dit un membre, « combien de nos collègues notre prochaine résidence à Paris a rendus malades. » C'est alors que l'archevêque de Paris, Juigné, quitta la France. Il ne revint pas.

Un passe-port fut demandé pour une cause toute différente. Le duc d'Orléans annonçait qu'il était obligé de se rendre en Angleterre, chargé par le roi d'une mission diplomatique. Sa conduite ou coupable ou du moins trèséquivoque pendant les journées des 5 et 6 octobre l'avait rendu odieux à Lafayette, qui le pressa de quitter Paris. Mirabeau l'excitait fortement à rester, et lui représentait qu'en partant il fortifiait les imputations répandues contre lui; mais Philippe-Joseph céda aux injonctions menaçantes de Lafayette, et le roi eut la bonté de couvrir d'un semblant de mission diplomatique cette fuite ou cet exil, qui dura dix mois. Dès lors, entre Mirabeau et le duc d'Orléans, tout fut rompu.

La translation de l'Assemblée à Paris eut lieu le 19.

Après la cérémonie de l'installation, pendant laquelle les deux idoles du jour, Bailly et Lafayette, reçurent et donnèrent beaucoup d'encens, l'Assemblée se transporta en masse au palais des Tuileries, pour complimenter le roi et la reine, et saluer le dauphin. La reine prit son fils par la main, et parcourut avec lui les groupes des députés dispersés dans l'immense salon. Il y avait encore confiance d'un côté, dévouement de l'autre. On espérait des jours heureux. On comptait sans la démagogie anarchique, que les journées des 5 et 6 octobre avaient armée d'une force terrible, et à qui les résistances obstinées de ceux qu'on appelait les aristocrates donnaient de jour en jour de nouveaux prétextes pour soulever les passions.

Cependant l'abondance, qui était rentrée dans Paris avec la famille royale, avait promptement disparu. La population, redoutant la famine et ne pouvant plus accuser la cour impuissante et captive, s'en prenait aux boulangers, qui, disait-on, étaient payés par les aristocrates pour affamer le peuple. De continuels désordres avaient lieu devant leurs boutiques et dans leurs boutiques. Enfin, le surlendemain de l'installation de l'Assemblée à Paris, la terreur de la disette provoqua un assassinat tellement affreux, qu'il surpasse peut-être en horreur tout ce que nous avons raconté. Aussi amena-t-il enfin des mesures de répression. Voici ce fait :

Tout près du lieu où siégeait l'Assemblée (elle était installée provisoirement dans la chapelle de l'archevêché, palais qui en 1831 a été saccagé et détruit, et dont l'emplacement, à l'est de l'église métropolitaine, a été converti en une promenade plantée d'arbres), était l'établissement d'un boulanger nommé François, jeune homme actif, marié depuis six mois, plein de zèle pour l'exercice de sa profession, qui, dans les circonstances si critiques. où l'on se trouvait alors, devenait en quelque sorte l'accomplissement d'un devoir civique. Neuf heures du matin

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n'avaient pas sonné encore, et déjà il avait délivré six fournées de pain. Une femme arrive et lui en demande; il répond qu'il n'en a plus, et qu'il va commencer la septième fournée. « Vous cachez votre pain,» s'écrie-t-elle avec fureur,« pour ne pas en donner au peuple. Visitez toute la maison,» répond-il en continuant son ouvrage. Elle entre, elle trouve trois pains rassis, que les garçons avaient mis en réserve pour leur dîner, et six douzaines de petits pains frais, réservés par commande pour des membres de l'Assemblée. Cette femme saisit un de ces pains, sort de la boutique, et, furieuse, le montre, comme une preuve du crime de ce boulanger, aux passants, qui s'attroupent et qui s'inspirent de sa rage. On se précipite dans la boutique, on saisit François, en proférant le cri A la lanterne! François, en se débattant, en protestant de son innocence, demande à être conduit devant son district. On le traîne devant le comité de police, tout près de là, à l'hôtel de ville. Tous les voisins de François le suivent, pour déposer en sa faveur.

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Trois membres seulement du comité, à cette heure matinale, étaient déjà à leur poste. Ils entendent les accusateurs, l'accusé, les voisins. Ceux-ci attestent que, ces temps difficiles, François n'a cessé de donner des preuves de zèle, qu'il fait habituellement dix fournées par jour; qu'il cède souvent de la farine aux autres boulangers, qui, moins actifs que lui, se trouvent au dépourvu; qu'afin de servir plus rapidement le public, il loue le four d'un pâtissier pour faire sécher son bois. « Il méritait, dit un journal révolutionnaire de cette époque, une couronne civique........ le peuple demande sa tête ! »

En effet, les cris A la lanterne! retentissaient sur la place avec une fureur toujours croissante. Les trois membres du comité descendent sur la place, et, pour calmer la foule, annoncent que François va être conduit au Châtelet. « Vous voulez le faire échapper, leur crie-t-on; « ah!

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vous faites esquiver nos ennemis ! » On culbute le poste de la garde nationale, on monte dans la grande salle, on s'empare de François, on l'entraîne au dehors, on le pend à la lanterne, on coupe sa tête, on la met au bout d'une pique.

En ce moment sa jeune femme, enceinte de trois mois, arrivait éperdue, et demandait son mari avec des cris déchirants. Ton mari! le voilà!» dit un homme de la foule; et il penche vers elle, au bout de la pique, la tête sanglante. La malheureuse femme tombe sur le pavé, privée de sentiment. On l'emporte mourante.

L'affreux cortège va promener son trophée chez les boulangers de Paris.

La municipalité se réunit indignée. Elle envoie supplier l'Assemblée nationale de décréter instantanément une loi contre les émeutes; et, provisoirement, elle ordonne à Lafayette de dissiper tout attroupement par la force, et au prévôt de Paris de faire sur-le-champ arrêter et juger les auteurs de ce nouveau crime.

En même temps elle crée dans son sein un comité des recherches, avec mission de recevoir toutes les dénonciations qui seraient faites sur les trames, complots et conspirations, de faire arrêter toute personne suspecte, et d'instruire. Une récompense de trois cents à douze cents francs était promise aux dénonciateurs, et leur grâce, s'ils étaient complices, leur était accordée au nom du roi, qui, en effet, la promit. Ainsi, de l'indignation causée par ce meurtre horrible, naquit ce fameux comité des recherches, qui, ce premier moment passé, ne s'occupa que de poursuivre les ennemis de la révolution; et plus tard, l'Assemblée nationale aussi eut, dans le même but, son comité des recherches.

Cependant l'Assemblée, conformément à la demande de la municipalité, délibère d'urgence sur la nécessité d'une loi martiale contre les attroupements séditieux.

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